L'Oise Agricole 20 janvier 2022 a 09h00 | Par R.M.

«Le sucre importé doit respecter la réciprocité»

Élisabeth Lacoste, directrice de la Confédération internationale des betteraviers européens (CIBE), dénonce les accords de libre-échange conclus par l'UE qui fragilisent les producteurs européens en accordant des concessions toujours plus importantes aux pays tiers, notamment d'Amérique centrale. Cette situation, explique-t-elle, entraine ainsi une concurrence déloyale en raison d'une divergence des normes de production.

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Les planteurs de betteraves ont besoin de prix de betteraves soutenus pour la campagne à venir après quatre années de prix bas, affirme la directrice de la CIBE, Élisabeth Lacoste.
Les planteurs de betteraves ont besoin de prix de betteraves soutenus pour la campagne à venir après quatre années de prix bas, affirme la directrice de la CIBE, Élisabeth Lacoste. - © Pixabay

L'UE ne cesse d'accorder de nouvelles concessions d'accès à son marché du sucre notamment aux pays d'Amérique centrale, comment les producteurs européens peuvent-ils préserver leurs intérêts face à ces menaces ?

Il est clair que le sucre a été une monnaie d'échange dans de nombreux accords de libre-échange de l'UE, notamment avec les pays d'Amérique centrale. Ceci doit cesser. Les concessions accordées sont sans lien avec les besoins européens et font pression sur notre marché. Pire, en ce qui concerne celles accordées à l'Amérique centrale et aux pays andins, ces concessions augmentent automatiquement chaque année, et ceci sans limite dans le temps et quel que soit le niveau de la demande européenne. Et il semble que la Commission souhaite persister dans ces erreurs et continuer à accorder de nouvelles concessions dans le cadre des accords actuellement en négociation.

De plus, les écarts de compétitivité s'accroissent entre les producteurs de l'UE obligés de respecter des standards de plus en plus élevés, notamment avec le Pacte Vert, et leurs concurrents des pays tiers. Contrairement à ce qui était prédit par la Commission européenne, ces derniers n'ont absolument pas élevé leurs standards de production suite aux accords, pire, pour beaucoup, ils ne respectent pas les mesures de durabilité sociale ou environnementale auxquelles ils s'étaient formellement engagés.

Le sucre importé doit respecter la réciprocité, c'est-à-dire les standards de production et pas seulement les standards sanitaires. Cela commence à bouger lentement au niveau de certains États membres, dont la France, et au niveau de certains députés européens car c'est une question fondamentale de cohérence avec le Pacte Vert. Mais la Commission traîne les pieds, s'abritant derrière la sacro-sainte OMC et des résultats agrégés du commerce extérieur positifs qu'il ne faudrait pas mettre en difficulté, et s'auto-limite dans ses propositions. On le voit avec la proposition législative sur la déforestation importée qui se limite à six produits en oubliant la canne à sucre et le sucre de canne qui font pourtant partie des dix commodités agricoles à l'origine de la déforestation dans le monde.

Quelles sont vos principales attentes dans le cadre de la douzième conférence ministérielle de l'OMC prévue dans les prochains mois ?

Pas grand-chose malheureusement, la question des stocks publics, notamment par les pays en développement, ne devrait pas évoluer. Les positions des pays membres de l'OMC sur le soutien domestique ou les restrictions à l'export demeurent trop divergentes pour envisager des avancées. Et le bon fonctionnement de l'OMC, en particulier de son système de règlement des différends, reste suspendu aux décisions américaines. Le panel OMC contre les subventions de l'Inde à son secteur sucrier a été initié en 2019, le résultat du groupe de travail spécial a été communiqué mi-décembre 2021 et l'Inde a déjà dit qu'elle ne se plierait pas à ce jugement... Le mal a été fait et le problème indien peut encore persister. Que peut-on attendre face à de telles situations ? Le secteur sucrier européen a subi l'imposition indue de droits anti-dumping par l'Égypte pendant un an, stoppant les exportations de sucre de l'UE vers son premier client, avant qu'un éventuel recours à l'OMC n'ait pu être envisagé. De même, le Canada impose indûment depuis 1995 des droits anti-dumping sur le sucre européen, pour protéger son industrie de raffinage de sucre brésilien, qu'aucun règlement bilatéral n'a pu lever. Le recours à l'OMC serait le bienvenu mais nous savons d'avance que c'est une procédure lourde et lente. Les mesures de défense commerciale propres de l'UE sont actuellement revues et renforcées. Mais peuvent- elles permettre de répondre efficacement à des partenaires qui ne respectent pas les règles du jeu ? Sans détermination politique des institutions européennes, de telles disputes ne trouvent malheureusement pas de solutions.

Alors que la demande de sucre au niveau mondial a retrouvé des couleurs, la propagation rapide du variant Omicron pourrait finalement nuire à cette relance. Quelles sont vos prévisions pour le marché européen durant la campagne 2021-2022 ?

Au niveau européen, 2021-2022 devrait être la quatrième campagne consécutive avec un déficit commercial net en sucre. La production de l'UE devrait être plutôt correcte en 2021-2022, mais elle fait suite à une campagne 2020-2021 catastrophique. Les prix sont également à la hausse. Cependant, la dynamique haussière en Europe est plus faible, le prix moyen en octobre 2021 n'était que 3 % au-dessus du seuil de référence de l'UE. Cette rigidité du marché européen qui semble structurelle n'incite pas les planteurs de betteraves à augmenter leur surface. Ces derniers ont besoin de prix de betteraves soutenus pour la campagne à venir après quatre années de prix bas. Des incertitudes pèsent également sur le niveau de la consommation en Europe qui devrait être en baisse en 2021. La dernière vague de Covid-19 pourrait contrarier la reprise de la consommation. Ceci reste néanmoins à confirmer. Les producteurs européens retrouvent l'équilibre après quatre années difficiles, mais les coûts de production agricole et industriel augmentent et la hausse des prix est nécessaire.

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