Les «carences» de l'État sur le climat reconnues
Saisis par les associations de l'Affaire du siècle, les juges du tribunal administratif de Paris ont reconnu dans une décision du 3 février les «carences fautives de l'État à mettre en oeuvre des politiques publiques» de réduction d'émissions de gaz à effet de serre.
Même à travers l'écran, on sent une joie immense chez l'avocate. «Le voir écrit noir sur blanc c'est une grande émotion», se félicite Me Clémentine Baldon, représentante de la Fondation Nicolas Hulot dans cette procédure lors d'un point presse le 3 février. Le ton est en revanche plus mesuré du côté ministère de la Transition qui, dans un communiqué du même jour, «prend acte de la décision du tribunal administratif». Rappelant les écarts entre le premier budget carbone et les émissions effectives en 2019, les juges viennent officiellement de donner raison aux associations réunies autour de l'Affaire du siècle (Notre Affaire à tous, Oxfam France, Greenpeace, FNH), en reconnaissant les «carences fautives de l'État à mettre en oeuvre des politiques publiques lui permettant d'atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre».
«Cette reconnaissance existait auparavant pour les personnes privées mais elle s'applique désormais aux personnes publiques. C'est le préalable important et nécessaire à la reconnaissance d'une faute et par la suite à des injonctions», détaille Me Hugo Partouche, avocat de l'association Notre affaire à tous. Des injonctions qui pourraient alors forcer le gouvernement à renforcer son action. «Il faut que des politiques structurantes soient mises en oeuvre, c'est cela notre objectif», insiste Cécile Duflot, présidente de Oxfam France.
Un euro pour préjudice moral
La décision condamne en conclusion l'État français à verser un euro symbolique aux requérants au titre du préjudice moral, considérant que ses carences ont porté «atteinte aux intérêts collectifs» défendus par ces organisations. Les juges n'ont toutefois pas endossé entièrement les conclusions des quatre associations. L'État,soulignent-ils notamment, «ne peut être regardé comme ayant contribué directement à l'aggravation du préjudice écologique», au contraire de ce que les associations dénonçaient.
Sur ce point, les associations n'obtiendront donc pas l'euro symbolique demandé. Une demande de réparation éventuelle liée aux carences pourrait cependant être prononcée d'ici deux mois, en fonction des «observations supplémentaires» que les juges ont exigées de la part des ministères. Autre déception pour les organisations : la requête de la Fnab, également membre de l'Affaire du siècle, a été écartée, faute de demande de réparation du préjudice écologique.
Un tournant pour le droit climatique
Les 38 pages du jugement devraient faire date. Tout d'abord parce qu'elles reconnaissent juridiquement l'ensemble des données climatiques du Giec et des organismes français disponibles à ce jour, en évoquant les sécheresses, pertes de biodiversité et précipitations extrêmes qui pourraient résulter d'une augmentation de la température de plus de 1,5 °C à l'horizon 2050. Mais le document deviendra également une référence sur la manière d'envisager le droit climatique.
Accord de Paris, Convention européenne des droits de l'homme, Charte de l'environnement, Code de l'environnement : «La défense de l'État a consisté à isoler les textes, mais le raisonnement du tribunal considère que les textes s'analysent tous ensemble. Il y a aujourd'hui un corpus et on ne peut plus raisonner de manière isolée pour comprendre l'intensité des obligations de l'État», insiste Hugo Partouche.
Le texte pourrait également peser sur l'examen de la loi Climat et résilience qui devrait être dévoilée au Conseil des ministres en février, avant d'être examinée par l'Assemblée début mars. «Nous appelons le gouvernement à revoir son projet, et espérons que les parlementaires en tireront également les conséquences dans leurs amendements», lance Célia Gautier, de la FNH. Les ONG espèrent, par exemple, que cet appel pourrait accélérer l'advenue d'une redevance sur les engrais azotés, repoussée jusqu'ici à 2024.
Des émules à l'étranger
La victoire des ONG françaises en inspirera-t-elle d'autres à l'étranger ? «Depuis ce matin, de nombreuses organisations internationales s'emparent du sujet», assure Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace. Les organisations françaises s'étaient elles-mêmes appuyées sur une décision de la cour suprême de justice néerlandaise.
En décembre 2019, celle-ci avait statué en faveur de l'association Urxgenda, en demandant au gouvernement néerlandais de renforcer son action climatique, au nom des conventions européennes et internationales. Le cas français pourrait à son tour faire des émules dans les pays voisins comme l'Espagne, voire au-delà, incitant d'autres gouvernements à revoir leurs politiques climatiques. Dans un récent rapport, le Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue) a recensé près de 1550 recours climatiques dans le monde en 2020, dont plusieurs à l'initiative d'agriculteurs.
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