Selon le Sénat, la loi climat «ne satisfait personne»
Engrais azotés, menus végétariens, définitions des produits Egalim : lors des travaux en commission qui se sont terminés le 3 juin, les sénateurs ont révisé significativement les dispositions majeures du projet de loi Climat dans le secteur agricole. Son examen a débuté le 14 juin et doit durer deux semaines.
La loi climat des députés ? «Un texte mal écrit qui ne satisfait personne pour satisfaire tout le monde», a tranché Philippe Tabarot, sénateur LR des Alpes-Maritimes et rapporteur du projet de loi Climat pour la commission du développement durable lors d'une conférence de presse le 4 juin. «Bien qu'il s'agisse du dernier texte du quinquennat sur l'environnement, cette loi n'est pas à la hauteur de l'urgence climatique», a appuyé Daniel Grémillet (LR, Vosges). Par le travail en com-mission, les sénateurs ont donc souhaité «rehausser l'ambition du texte» par rapport à la copie de la chambre basse, comme le résume la présidente de la commission des affaires économiques Sophie Primas (LR, Yvelines).
Pourtant, au moins sur le volet agricole, leurs modifications entraînent des assouplissements sur la plupart des sujets les plus suivis par la profession comme par les ONG, au risque de déclencher une nouvelle salve de critiques sévères de la part de ces dernières. En matière de lutte contre l'artificialisation, dispositif salué unanimement par la profession, l'opposition de gauche, et les associations, les sénateurs ont retiré l'obligation de respect de l'objectif de -50 % en dix ans à l'échelle régionale dans les Sdraddet. «Nous disons qu'il vaut mieux passer par les PLU et les Scot. Les documents régionaux doivent rester de l'ordre de l'orientation», estime Jean-Baptiste Blanc (LR, Vau- cluse), rapporteur de la commission des affaires économiques sur ce volet. Pour ces documents locaux, l'objectif sera également plus incitatif que prescriptif, et les collectivités «pourront fixer des objectifs qui prennent mieux en compte leurs spécificités».
Un plan Eco'Azot
Sur les engrais azotés, un amendement du rapporteur de la commission du développement durable Pascal Martin (Union centriste) décale à un horizon de trois ans, contre deux initialement, la mise en place d'une éventuelle taxe. «Nous conservons le même objectif mais nous voulons le rendre accessible aux agriculteurs», assure Anne-Catherine Loisier (Union centriste, Cote-d'Or), soulignant que ses collègues demandent la mise en place d'un plan «Eco'Azot», inspiré d'Ecophyto.Les sénateurs sont également revenus sur l'autre sujet ayant fait l'objet de nombreux débats par tribunes interposées : les menus végétariens. «Il faut que l'on tienne compte de la période Covid : on ne peut pas faire comme si l'expérimentation pré- vue par Egalim s'était déroulée dans des conditions normales», défend Anne-Catherine Loisier. Loin d'imposer un menu végétarien quotidien comme le souhaitaient les membres de la Convention citoyenne et les ONG, les sénateurs entendent donc prolonger l'expérimentation du menu hebdomadaire de deux années supplémentaires.
Anne-Catherine Loisier, qui avait également été rapporteure de la loi Egalim pour la commission des affaires économiques, a aussi revu la liste des produits durables au sens d'Egalim. «Avec les problèmes d'approvisionnement que nous connaissons, nous avons élargi la gamme pour faciliter le quotidien des gestionnaires», plaide-t- elle. Revenant sur les amendements de son homologue députée Célia de Lavergne, la sénatrice a conservé un horizon à 2030 pour l'ouverture des pro-duits Egalim à la certification environnementale de niveau 2, tout en leur ajoutant les produits issus des «circuits courts», et des certifications privées «sous le contrôle du ministre chargé de l'agriculture». L'examen en séance a débuté le 14 juin, et durera deux semaines avant une commission mixte paritaire prévue pour la première semaine de juillet. «Nous l'avons répété à plusieurs reprises au gouvernement : si cette date est maintenue, nous irons à l'échec. Comment voulez-vous que nous préparions en deux jours cette commission ?», s'agace Jean-François Longeot (Union centriste - Doubs), président de la commission du développement durable.
Le ministère de la Transition écologique sera ferme sur le volet agricole
Le cabinet de la ministre de la Transition écologique a indiqué le 14 juin à la presse que les principales dispositions du volet agricole feront partie de ses «points durs» sur la loi Climat, alors que les sénateurs démarrent l'examen en séance publique. Sur le menu végétarien, «nous n'allons pas expérimenter de deux ans en deux ans jusqu'au bout», affirme le cabinet, regrettant la proposition des sénateurs de rallonger le dispositif prévu par Egalim de deux années supplémentaires. En matière d'engrais, «le Sénat propose une trajectoire bien moins ambitieuse que l'équilibre que nous avions trouvé», déplore l'entourage de Barbara Pompili. Un amendement déposé par le gouvernement rétablit donc la rédaction initiale de l'article, en supprimant le plan Eco'Azote proposé par les sénateurs sur le modèle d'Ecophyto. Dernier point «bloquant» : la lutte contre l'artificialisation. Pour le gouvernement, la suppression des objectifs régionaux contraignants «met en danger l'ensemble du dispositif et les objectifs nationaux». Le ministère indique en revanche accueillir avec «beaucoup de bienveillance» la proposition du sénateur écologiste Joël Labbé d'interdire les utilisations d'engrais dans les espaces verts, hors usages agricoles.
Anne-Catherine Loisier, rapporteure du PJL Climat au Sénat
«Le menu végétarien est rentré dans les moeurs»
Rapporteure du projet de loi Climat pour la commission des affaires économiques du Sénat, Anne-Catherine Loisier (UDI, Côte d'Ôr) revient sur les deux dossiers chauds du volet agricole, les menus végétariens et la taxe sur les engrais. Elle dresse sa feuille de route pour l'examen en séance publique, qui a débuté le 14 juin.
Qu'avez-vous pensé de la version de la loi climat des députés sur les sujets agricoles ?
Il y a dans ce texte beaucoup d'effets d'annonce, avec des mesures qui ne sont pas normatives. Je m'interroge par exemple sur l'intérêt d'inscrire dans la loi une expérimentation du menu végétarien avec des collectivités volontaires. Il était par ailleurs difficile de mesurer les effets de ces mesures par rapport aux engagements de la France sur sa trajectoire d'émissions, nous avons donc essayé de prévoir des mesures quantifiables par rapport à ces objectifs.
Le rapport sur l'expérimentation des menus végétariens était plutôt concluant. Pourquoi demander de poursuivre durant encore deux années ce dispositif d'Egalim ?
À ce stade, le menu végétarien est rentré dans les moeurs, ce combat est dépassé. Beaucoup de collectivités se sont engagées volontairement, et il y a une forte adhésion à la démarche. La question désormais est de le mettre en oeuvre. Or, après dix-huit mois de fermeture des cantines, je ne vois pas comment nous pourrions tirer réellement les leçons de l'expérimentation. Nous demandons donc de la poursuivre, tout en essayant en parallèle d'encourager l'agriculture française pour qu'elle puisse approvisionner les cantines.
C'est au prix de cet effort que nous bouclerons l'objectif bas carbone. En quoi avez-vous modifié les propositions des députés sur les engrais ?
Nous avons le même objectif, mais nous voulons le rendre faisable. Tout le monde reconnaît le travail de qualité des agriculteurs et compatit avec eux, mais à la première occasion, on leur remet une taxe franco-française. En plus de la trajectoire imposée par le gouvernement, nous proposons d'accompagner les producteurs vers l'objectif de réduction des utilisations, grâce à un plan d'action national inspiré d'Ecophyto. En concertation entre les syndicats, les associations et les organismes de recherche, ce plan donnera plus de chance aux agriculteurs d'atteindre les objectifs, et nous évitera de devoir continuer à importer des produits européens qui ne suivent pas les mêmes règles que les nôtres.
Qu'avez-vous pensé de l'amendement de votre collègue écologiste Joël Labbé d'imposer une part de 8 % de légumineuses dans l'assolement français ?
J'avais émis un avis de sagesse. Je suis d'accord au fond avec le ministre pour dire que nous ne pouvons pas tout écrire dans la loi. Mais il me semble nécessaire de sou-ligner que certains sujets ne doivent pas être laissés de côté dans le PSN (déclinaison française de la future Pac, ndlr), comme les protéagineux mais également les zones défavorisées, le volet assurantiel,... L'idée est d'ouvrir le débat en séance et de rappeler au ministère que faire des articles pour fusionner les stratégies nationales ne suffit pas, et que nous aimerions parler du terrain.
Quelles sont vos priorités pour la séance ?
Nous allons beaucoup insister sur la souveraineté alimentaire, et sur la définition des produits durables au sens d'Egalim. De nombreuses collectivités ne parviennent pas à atteindre les 50 % faute de produits disponibles, ce qui se traduit par une explosion des importations. Et certains voudraient encore imposer une taxe sur les engrais azotés, tout en demandant plus de légumes pour des menus végétariens, alors que seuls 30 % sont d'origine française actuellement dans les cantines. Nous pensons donc que les gestionnaires ont besoin de plus d'outils, et nous allons élargir la gamme des produits Egalim aux Projets alimentaires territoriaux (PAT), ainsi qu'aux démarches environnementales certifiées par le ministère de l'agriculture. Nous devons pouvoir recourir aux produits issus de nos terroirs sous labels privés, pour réduire nos importations. À la fin, si toutes les cantines de France utilisent des produits des agriculteurs installés dans un périmètre de 50 km, nous auront réussi à sanctuariser des débouchés, tout en améliorant le lien entre producteur et consommateurs.
Pensez-vous que Julien Denormandie vous appuiera sur l'ensemble de ces sujets ?
Il sera difficile de faire passer des choses sur lesquelles des équilibres ont été trouvés entre les ministères. Je pense notamment que le gouvernement voudra rester sur ses effets d'annonce sur les menus végétariens. Sur les engrais, en revanche, je pense que mes collègues pourront comprendre l'accompagnement que nous proposons, et que nous pourrons avancer. Au fond, les lignes dures ne seront pas forcément sur le volet agricole sur cette loi mais plutôt sur les volets transports et énergie.
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