Ukraine : une puissance agricole ralentie par la guerre
L'onde de choc du conflit entre l'Ukraine et la Russie s'amplifie. Après deux semaines de guerre, la planète céréalière tremble à la fois pour les disponibilités en grains de l'ancienne et de la future récolte. L'Ukraine, grand pays exportateur, ne livre plus depuis sa façade maritime s'étendant en mer Noire. Et le gouvernement a introduit des restrictions à l'export de certains produits agricoles pour cette année. Qu'en sera-t-il de la campagne suivante ? Le scénario d'une demi-récolte se profile.
«La guerre en Ukraine sera catastrophique pour la sécurité alimentaire et la faim dans le monde.» Ce cri d'alarme lancé par Vladyslava Magaletska, ancienne vice-ministre ukrainienne de l'Alimentation et de l'Agriculture, donne la mesure du conflit avec la Russie. «L'Ukraine et la Russie pèsent environ 25 % du blé et 67 % de l'huile de tournesol exportés à l'international», souligne-t-elle, interrogée par le rédacteur en chef du magazine agricole ukrainien Zerno pour Agra Presse.
Conséquence de leur retrait, les marchés s'affolent. Les prix mondiaux des denrées alimentaires ont atteint un niveau record en février, essentiellement tirés par les huiles végétales dans un contexte d'offre restreinte aggravé par la crise russo-ukrainienne, a annoncé le 4 mars la FAO. «Le risque de voir l'Ukraine stopper toutes ses exportations alimentaires est très élevé : Kernel, un des plus gros opérateurs, l'a déjà fait, poursuit Vladyslava Magaletska. Les principaux ports d'Odessa, Kherson et Mykolaïv sont bloqués.»
De son côté, le gouvernement ukrainien a introduit des restrictions à l'export de certains produits agricoles pour 2022, a indiqué l'agence de presse Inter-fax, citant une décision des autorités. Selon un décret publié le 6 mars, une licence décernée par les autorités est désormais nécessaire pour exporter le blé, la viande de volaille, les oeufs, l'huile de tournesol. Des quotas ont également été introduits pour l'exportation de bétail, de viande de bétail, de sel, sucre, avoine, sarrasin, seigle, millet, d'après l'AFP.
Des fermes à l'arrêt, d'autres continuent
Sur le terrain, la situation apparaît de plus en plus tendue. Un agriculteur, aux portes du Donbass pro-russe, se disait le 7 mars plutôt épargné par les combats. «Ces jours-ci, on épand les engrais», raconte-t-il, sous couvert d'anonymat. La ferme, qui s'étend sur des dizaines de milliers d'hectares, dispose aussi de semences et phytos pour mener à bien la campagne de production. Aucun souci non plus en termes de financement. «De la trésorerie a été mise de côté, par précaution. Cette guerre, pourtant, on n'y croyait pas trop.» Des tirs de roquettes interrompent par séquence les travaux dans les champs. Mais le principal sujet du moment, c'est de pouvoir livrer la dernière récolte de tournesol, dont une partie reste bloquée en silos.
D'autres voient leur activité davantage perturbée. L'agroholding IMC, qui s'étend sur 120 000 ha au nord-est de l'Ukraine, est en grande partie au point mort. «Nos divisions Poltava et Cherkasy commencent à fonctionner, mais celle de Chernihiv et Sumy, environ
100 000 ha, sont en zone de combat, témoigne le CEO Alex Lissitsey, interrogé par le magazine Zerno. Impossible de dire à quelle vitesse cela va changer, si les champs seront minés, dans quelles conditions IMC abordera le début des travaux de printemps. Mais il est clair que l'année sera critique. À notre avis, l'Ukraine gagnera cette guerre et nous arriverons à une demi-récolte au minimum.»
Une production de grains réduite de 50 %
Une production ukrainienne de grains réduite de 50 % : le scénario d'IMC tient compte des multiples difficultés en lien avec la guerre. «L'Ukraine est face à une situation dramatique en termes de semis», explique Alex Lissitsey. Dans la plupart des régions, les travaux ne sont pas menés à cause des combats, selon lui. L'est, le sud et le nord de l'Ukraine sont touchés.
«La campagne de production ne se déroule qu'à partir de la région de Vinnytsia (centre), de l'ouest du pays, et en partie du côté de Poltava et Cherkasy, mais tout dépend de la date à laquelle les combats prendront fin. Même si tout se termine demain ou après-demain, il faudra beaucoup de temps pour rétablir les infrastructures et permettre un semis et une logistique efficaces, car absolument toutes les chaînes sont interrompues, des pièces de rechange aux produits phytos. Le problème du carburant, que les agriculteurs en zone de guerre ont détruit ou donne? à l'armée, sera particulièrement aigu.» Sans oublier les problèmes de main-d'oeuvre, une partie des effectifs ayant intégré les troupes. Toutefois, dans la plupart des grandes régions agricoles, les agriculteurs restent sur le terrain, affirme Yuri Goncharenko, rédacteur en chef de Zerno.
Effet domino sur la fourniture de semences
L'an prochain, les pays d'Europe de l'Est pourraient aussi souffrir d'un manque de semences de maïs, habituellement multipliées en Ukraine par des coopératives françaises, alerte pour sa part le président de la Coopération agricole, Dominique Chargé. La guerre en Ukraine pourrait pénaliser les semis de semences souches au printemps 2022, puis leur multiplication en 2023, et donc «avoir des conséquences sur la disponibilité en maïs consommation à l'automne 2024», résume le responsable coopératif. Les surfaces concernées sont encore «en cours d'évaluation».
Le conflit entraîne «des problèmes de disponibilité de main-d'oeuvre, car les Ukrainiens ont pris les armes», mais aussi «des matériels endommagés, car ils ne veulent pas qu'ils tombent dans les mains des Russes», ainsi que des risques accrus de défaut de paiement. Les coopératives semencières présentes (notamment Euralis, Maïsadour) sont «exposées à la fois via leur activité - en termes de chiffre d'affaires et de marge -, mais aussi via leurs infrastructures (multiplication de semences, traitement et conditionnement)».
Le spectre de nouvelles «émeutes de la faim»
Autre conséquence : la guerre en Ukraine pourrait entraîner «des émeutes de la faim» dans le bassin méditerranéen, anticipe le président de la Coopération agricole, Dominique Chargé, dans un entretien à Agra Presse le 4 mars, à l'issue d'une réunion avec les ministres Bruno Le Maire (Économie) et Julien Denormandie (Agriculture) le même jour. Les pays d'Afrique du Nord souffrent déjà de «stocks très bas», de «perspectives de récolte très faibles» et d'une «dépendance aux céréales importées de la mer Noire», souligne M. Chargé.
«Entre les difficultés [logistiques] pour sortir les produits et la baisse de la production, la conjonction peut être explosive, confirme Sébastien Windsor, le président de l'APCA (chambres d'agriculture). Si la situation ne se débloque pas d'ici juin, il pourrait y avoir de vraies difficultés d'approvisionnement en Algérie et en Égypte, à la période de soudure en juin-juillet.» Rappelant l'importance des pays de la mer Noire sur l'échiquier céréalier global, M. Windsor estime que «la baisse de la production mondiale ne peut qu'amener des tensions sur les prix et l'approvisionnement». «C'est une évidence qu'il y aura des conséquences en cascade sur l'ensemble de l'approvisionnement des marchés alimentaires mondiaux», abonde Dominique Chargé.
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