Amender l'accord, la voie étroite poussée par Paris
Le 18 septembre, après avoir reçu le rapport Ambec sur l'accord UE-Mercosur, le Premier ministre Jean Castex a conditionné la reprise des négociations à des garanties sur la déforestation et l'Accord de Paris. Le flou subsiste sur la manière d'amender cet accord signé par Bruxelles et le Mercosur.
Comment faire aboutir l'accord commercial UE-Mercosur et, «en même temps», s'assurer que les échanges qu'il favorisera n'aggraveront pas la déforestation ? C'est la voie étroite que cherche à emprunter l'exécutif... et elle semble loin d'être tracée. Le 18 septembre, à l'occasion de la publication du rapport Ambec, le Premier ministre Jean Castex a rappelé l'opposition de la France à cet accord «en l'état», dans la droite ligne d'Emmanuel Macron. Le chef du gouvernement a formulé trois exigences pour poursuivre les négociations. D'abord, «qu'un accord d'association avec le Mercosur ne puisse en aucun cas entraîner une augmentation de la déforestation importée au sein de l'UE». Ensuite, «que les politiques publiques des pays du Mercosur soient pleinement conformes avec leurs engagements au titre de l'Accord de Paris» sur le climat. Et enfin, «que les produits agroalimentaires importés bénéficiant d'un accès préférentiel au marché de l'Union européenne respectent bien, de droit et de fait, les normes sanitaires et environnementales de l'UE», ajoute le gouvernement en assurant qu'un «suivi de ces produits sera effectué».
Au moins 5 % de déforestation supplémentaire
Le même jour, le gouvernement recevait officiellement le rapport de la commission Ambec, du nom de l'économiste de l'environnement Stefan Ambec (Inrae, Toulouse School of Economics) qui la préside. Missionné par Édouard Philippe en juillet 2019, ce groupe d'experts indépendants a analysé l'accord sous l'angle du développement durable. Et ses conclusions sont sévères : le deal conclu par Bruxelles et les pays du Mercosur en juin 2019 constitue «une occasion manquée pour l'UE d'utiliser son pouvoir de négociation pour obtenir des garanties solides répondant aux attentes environnementales, sanitaires, et plus généralement sociétales». D'après les experts, les exportations de viande bovine prévues par l'accord (99 000 t) pourraient provoquer une hausse de la déforestation de 5 % en six ans. Un chiffre qui correspond à la surface supplémentaire de pâturages nécessaire pour répondre à l'augmentation de production de viande bovine. Mais ce calcul «ne prend en compte que la surface de déforestation nécessaire pour élever le morceau d'aloyau (exporté en Europe) et non la bête entière», pointaient la Fondation Nicolas Hulot et l'Institut Veblen le 17 septembre. D'après les ONG, la déforestation supplémentaire serait «en réalité de 25 %». L'impact réel de l'accord UE-Mercosur pourrait même être supérieur : comme le reconnaissent les auteurs du rapport Ambec, leur évaluation n'inclut ni les cultures nécessaires pour l'alimentation des bovins, ni la déforestation induite par les autres volets de l'accord (exportations de volailles et d'éthanol notamment).
Taxe carbone aux frontières européennes
D'après le rapport Ambec, la conclusion de l'accord UE-Mercosur provoquerait un surplus d'émissions de gaz à effet de serre (GES) «entre 4,7 et 6,8 millions de tonnes équivalent CO2». En prenant en compte la déforestation, «le bilan net entre les gains économiques et les coûts climatiques serait [...] négatif». Dans les autres domaines, la commission Ambec estime que les importations prévues pourraient «fragiliser les producteurs agricoles européens», et «faire craindre un assouplissement de certaines normes (sanitaires et phytosanitaires) dans le cadre du dialogue».
Partant de ce constat, les experts formulent onze recommandations visant à atténuer l'impact sur les filières européennes (clause de sauvegarde améliorée) et à muscler les garanties environnementales, notamment sur le volet climatique. Ils appellent notamment à ce que le mandat de négociation commerciale de la Commission européenne prenne en compte le projet de taxe carbone aux frontières du Vieux continent. «Il y a une ambition forte dans le Green Deal d'atteindre la neutralité carbone», y compris pour l'agriculture, explique Hervé Guyomard (Inrae), membre de la commission Ambec. «Il ne faudrait pas que les efforts que nous demanderions aux éleveurs français se fassent au profit d'émissions importées. C'est là que la taxe carbone peut permettre d'imposer ces mêmes efforts aux agriculteurs qui exporteraient vers l'Europe.»
«Inimaginable de détricoter» l'accord
Comme attendu par de nombreux acteurs, les conclusions du rapport «confortent la position de la France de s'opposer au projet d'accord d'association en l'état», a confirmé Matignon le 18 septembre. Aucune précision en revanche sur la manière de mettre en oeuvre les améliorations demandées, si ce n'est que des «propositions concrètes» seront élaborées «en lien avec d'autres États membres de l'Union européenne». «Notre objectif n'est pas de stopper toute démarche», car la France ne veut pas «jeter à la poubelle dix ans de travail», a précisé le ministre délégué au Commerce extérieur, Franck Riester, le 22 septembre. La Commission européenne et les pays du Mercosur ont conclu l'accord commercial le 28 juin 2019, vingt ans après le début des discussions.
Comme le rappelle Yann Laurans, directeur du programme Biodiversité de l'Iddri et co-auteur du rapport Ambec, «un accord d'association comporte deux parties : d'une part, un énorme fichier Excel de plusieurs milliers de lignes correspondant aux produits et aux règles de quota et de tarifs ; d'autre part, un texte expliquant comment gérer tout ça». À titre personnel, il estime «inimaginable de détricoter la première partie à moins de repartir pour dix ans de négociations». «Chacune des lignes est négociée pied à pied en échange d'une autre ligne», explique-t-il.
En revanche, il serait possible de «négocier quelque chose qui vienne accompagner la seconde partie, qui s'ajoute au texte existant, peut-être en modifier quelques éléments, éventuellement sur une base volontaire». Ce qui supposerait d'«innover sur le plan institutionnel». D'après cet économiste, l'abandon définitif de l'accord UE-Mercosur «n'est pas le souhait des ONG brésiliennes, car on abandonnerait tout moyen de pression sur les autorités du Mercosur».
Des États-membres dans l'expectative
Dans le cadre d'un conseil des ministres de l'Agriculture, les États membres ont fait part, le 21 septembre, de leurs doutes quant au respect par les pays du Mercosur du chapitre développement durable inscrit dans le cadre de l'accord de libre-échange UE-Mercosur signé en juillet 2019. Dans une position attentiste, l'UE préfère évaluer le degré d'engagement de ses partenaires à l'accord avant d'aller plus loin. «L'UE n'est pas dans une phase active sur l'accord commercial avec le Mercosur. Nous attendons de voir comment le contenu de l'accord sera mis en oeuvre surtout concernant le chapitre développement durable», a indiqué la ministre allemande à l'Agriculture, Julia Klöckner le 21 septembre, dans le cadre du conseil des ministres de l'Agriculture de l'UE à Bruxelles. Un point de vue également soutenu par le commissaire européen au Commerce, Valdis Dombrovskis, qui a expliqué le même jour à l'issue d'une réunion informelle avec les ministres du Commerce à Berlin, que l'UE attendait des pays du Mercosur, en particulier du Brésil, qu'ils s'engagent clairement à respecter les questions de durabilité incluses dans l'accord, avant toute ratification.
Sceptiques
En parallèle, la France, qui présentait le 18 septembre un rapport critique envers l'accord, et l'Autriche ont ouvertement exprimé leur réserve concernant une quelconque ratification. Vienne a notamment indiqué qu'elle ne pouvait «soutenir un accord commercial qui aurait un impact significatif et déstabiliserait les marchés agricoles de l'UE». Et d'ajouter qu'«un certain nombre de points clés n'ont jamais été traités de manière adéquate par la Commission, par exemple le manque de détails sur le paquet d'aide d'un milliard d'euros promis à l'agriculture». Un scepticisme que partage également Julia Klöckner qui émet de sérieux doutes quant à la ratification en l'état de l'accord, surtout par rapport «à ce que fait le Brésil en brûlant des terres pour produire des denrées dans des conditions non autorisées dans l'UE». Selon elle, «nous devons veiller à ce que les normes environnementales ne deviennent pas un désavantage».
Des avantages à commercer
Concernant la limitation des importations des produits sensibles, tels que le boeuf et le riz, «nous pensons que cet objectif a été atteint lors des négociations avec le Mercosur», a assuré le commissaire à l'Agriculture, Janusz Wojciechowski, devant les ministres des Vingt-sept. Et d'ajouter que «les négociateurs de l'UE sont déterminés à assurer une protection adéquate pour ces produits sensibles, qui ont une valeur économique et sociale considérable pour divers États membres». D'autre part, Janusz Wojciechowski a souligné que «des avantages supplémentaires importants sont attendus de l'augmentation des possibilités d'exportation de produits alimentaires transformés, du renforcement de la protection des indications géographiques et de la suppression des obstacles sanitaires et phytosanitaires pour les exportations de l'UE». La Commission européenne travaille actuellement sur une mise à jour de l'étude de 2016 sur les impacts cumulatifs pour le secteur agricole européen des accords commerciaux signés par l'UE afin de prendre en compte les derniers développements des négociations commerciales de l'UE, en particulier pour intégrer les résultats des négociations avec le Mercosur, le Japon et le Mexique. Cette mise à jour est attendue pour l'automne. Concernant les autres négociations commerciales en cours, l'UE poursuit de façon constructive ses pourparlers avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Toutefois, le commissaire Wojciechowski a indiqué que les négociations avec le Chili et l'Indonésie ont «connu un certain ralentissement».
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