L'Oise Agricole 02 novembre 2022 a 15h00 | Par Louise Tesse

Cédant-repreneur: faire entendre sa voix

En un quart de siècle, le paysage de la transmission en agriculture a été redessiné. Si le passage de relais d'une génération à l'autre était courant par le passé, un jeune agriculteur sur cinq n'est aujourd'hui pas originaire du milieu. Rencontre entre deux générations.

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- © Stéphane Leitenbeger

Laisser sa place. Pour les cédants, la transmission est un véritable cap à passer. Le clap de fin d'une vie professionnelle qui s'accompagne d'un autre clap, annonçant une nouvelle histoire, celle du repreneur qui prolonge l'aventure.

Le choix de l'élu
C'est ainsi que les sociologues Dominique Jacques-Jouvenot et Florent Schepens nomment la désignation du repreneur par le cédant. «Derrière une entreprise, il n'y a pas qu'un outil économique, souligne Pauline Singez, chargée de mission installation/transmission pour les Chambres d'agriculture des Hauts-de-France, c'est aussi un patrimoine, un territoire.» Transmettre son exploitation, la céder à celui ou celle qui la reprendra après soi, implique de se préparer. Parler, échanger, partager. Entendre la voix de l'un, la voix de l'autre pour se trouver, chacun, une voie à emprunter.

La voix du cédant
La transmission en agriculture s'est longtemps gérée presque exclusivement en famille. En 1969, 92% des agriculteurs âgés de 21 à 34 ans étaient eux-mêmes fils d'agriculteurs. À l'aube du XXIe siècle, ils étaient encore 87%. Les créations de Gaec sont souvent le moyen de s'associer entre parents et enfants avant que le plus ancien ne cède totalement la place à l'autre. En quelques décennies, le paysage agricole a été redessiné avec d'un côté, de plus en plus d'agriculteurs sans successeur, et de l'autre, de nouveaux agriculteurs en quête d'un métier qui donne un sens à leur vie. À partir des années 1980, l'arrivée de candidats hors cadre familial a permis de combler le manque de la famille agricole à trouver sa propre succession.

La loi de modernisation de l'agriculture de 1995 a pris en compte ce mouvement d'ouverture du milieu agricole vers l'extérieur, avec la création des répertoires départ installation (RDI). Lorsque la transmission ne se fait pas dans un cadre familial, «c'est une phase de rupture, de renoncement qui oblige à imaginer autre chose que la succession familiale», remarque Pauline Singez qui cite quelques pistes : trouver les ressources en soi, se faire aider d'un conseiller spécialisé, analyser les solutions possibles, restructurer son projet initial.
Aujourd'hui, l'installation dite «hors cadre familial» représente 21% des installations aidées en Hauts-de-France. Mais que l'on reste en famille ou non, derrière la cession d'une exploitation il y a un passage de relais, d'une génération à l'autre. «Plus qu'un patrimoine économique circulant de main en main, se séparer de ce patrimoine signifie perdre sa place de professionnel pour entrer dans un autre rôle, celui de retraité, écrit Dominique Jacques Jouvenot. Le cédant se sépare d'un bien qui doit lui survivre...»

La voix du repreneur
Le sociologue poursuit : «Le successeur hérite donc de ce bien avec le devoir de le faire vivre, de le faire fructifier et de le transmettre à son tour.» Qu'il soit descendant du cédant ou non, l'héritier devient le nouveau maillon d'une chaîne intergénérationnelle. Il arrive avec ses propres projets, ses envies, ses attentes dans un contexte sociétal qui a profondément - et rapidement - changé. «L'agriculteur d'aujourd'hui n'est pas l'agriculteur de demain, résume Pauline Singez. Le monde change et les événements internationaux, notamment climatiques, ont engendré une prise de conscience collective. Les candidats à l'installation veulent changer les modes de production, mais également les modes de commercialisation.»
Le rythme soutenu semble plus difficile à supporter, les jeunes agriculteurs sont en attente d'une meilleure adéquation entre leur vie professionnelle et leur vie privée en s'octroyant plus de temps pour les loisirs, la famille, les vacances. Ils recherchent un autre rapport au travail où ils sont leur propre chef, où ils peuvent trouver du sens. Ils souhaitent créer de nouveaux projets, construits à leur image. Ainsi, quelle que soit leur origine, les profils des candidats à l'installation agricole sont très divers et les projets multiples : intégration de nouvelles technologies, lien social et solidaire, pratiques agro-écologiques, productions atypiques...

Deux générations
«Réussir ce passage entre deux générations nécessite donc la mise en oeuvre de tout un art qui repose sur la gestion de la bonne distance entre les acteurs familiaux, et sur la maîtrise de permutation des places professionnelles entre les acteurs au travail», analyse Dominique Jacques Jouvenot. Les plus jeunes comptent sur les plus anciens pour la transmission d'un savoir, fruit de toute une vie de labeur. Si certaines pratiques et connaissances s'apprennent sur les bancs de l'école, d'autres se développent au contact des anciens. Les changements de pratiques, de productions, d'intégration sur le territoire, dans les différents réseaux peuvent créer des ruptures dans la succession. Le futur installé, malgré ses nouvelles idées, devra prendre le temps d'écouter l'histoire de l'exploitation, l'implication de l'agriculteur et de sa famille sur ses terres. Des périodes de transition où cédants et repreneurs travaillent côte à côte peuvent faire l'objet d'un contrat.

«Même sans lien de parenté, le candidat à l'installation est héritier de cette histoire et il est important de la comprendre pour que la transition soit la plus apaisée possible, continue Pauline Singez. Même sans approuver tous les choix passés, il est important d'être sensible et de reconnaître le travail de l'autre.» Le repreneur ne doit pas se positionner contre le cédant, mais considérer le travail mené et l'accompagner au mieux vers son nouveau projet de vie. Des solutions existent pour faciliter le passage de relais.

Des périodes de transition où cédant et repreneur travaillent côte à côte peuvent faire l'objet d'un contrat. La Chambre d'agriculture propose un suivi pour encadrer cette «période d'essai». «Cédant et repreneur font un bout de chemin ensemble pour mettre en place leur projet, précise Pauline Singez. Les deux partenaires construisent une relation, confrontent leurs projets pour les faire évoluer et élaborent un contrat qui doit permettre à terme la transmission.» En 2021, une initiative régionale a permis de faire se rencontrer cédants et candidats lors d'un Farm'dating initié par les Chambres d'agriculture. Une première rencontre hors les murs de l'exploitation peut conduire à une seconde, sur place, pour écrire - peut-être - une nouvelle page de la vie de l'exploitation.

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