«Sortir l'agriculture de l'antichambre climatique»
À la tête d'une délégation de 120 représentants de la World Farmers Organization (Organisation mondiale des agriculteurs), Arnold Puech d'Alissac s'est rendu à la Cop 27 en Égypte. Il nous livre ses impressions.
Vous revenez de la Cop 27 qui s'est tenue pendant deux semaines, du 6 au 20 novembre à Charm-el-Cheick en Égypte. Quel est votre sentiment au retour de ces négociations ?
L'agriculture n'était pas au coeur des négociations. Les échanges étaient centrés autour du fonds de 100 milliards de dollars que les pays du Sud réclament à ceux du Nord pour les dédommager des impacts que ces derniers font peser sur les premiers par leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), qui, elles-mêmes, accentuent le réchauffement climatique. L'OMA et d'autres structures non gouvernementales avons oeuvré pendant quatre jours pour convaincre le Premier ministre indien, Narendra Modi, de la nécessité de réduire les GES. Ce qui nous empêchait de créer un nouveau groupe spécifique sur l'agriculture. Sortir des énergies fossiles est, bien entendu, un défi et sans doute l'une des voies pour atteindre les objectifs fixés par les Cop précédentes.
Pourquoi ? Pouvez-vous expliquer ?
Au plan mondial, l'agriculture représente environ 27 % des émissions de GES auxquels s'ajoutent environ 7 % pour les systèmes alimentaires. Si l'Europe parvient, au prix d'efforts remarquables, à réduire son empreinte carbone, il n'en est pas de même pour des continents qui sont, de surcroît, au bord de la rupture alimentaire. Ce ne sont pas dans les zones où l'on pratique les brûlis et la déforestation, contribuant ainsi au réchauffement climatique que l'on s'alimente le mieux. À cela s'ajoute le fait que l'agriculture reçoit, toujours au plan mondial, un peu moins de 2 % de l'ensemble des financements pour le climat. Or, l'agriculture qui est la première victime du climat avec des épisodes extrêmes comme on l'a vu au Pakistan pris sous les eaux et les épisodes de sécheresse et de canicule qui ont frappé l'Europe cette année, est une des solutions pour redresser la barre. Elle a montré qu'elle est en transition pour être moins dépendante du carbone fossile, pour émettre moins de carbone, voire en stocker plus. C'est pourquoi j'aurais voulu que l'agriculture sorte des antichambres et des débats annexes pour qu'on la mette plus en avant.
Est-il possible selon vous de combiner d'une part, réduction de l'empreinte carbone et du réchauffement climatique et, d'autre part, sécurité alimentaire ?
Un adage veut que la sécurité alimentaire corresponde à la fin du mois et le réchauffement climatique corresponde à la fin du monde. Toujours est-il que cet objectif de parvenir à l'équilibre alimentaire mondial tout en contribuant à réduire l'empreinte environnementale de l'agriculture est tout à fait possible et qu'il nous faut convaincre les pays les moins engagés sur cette voie de s'y engouffrer.
Comment les convaincre ?
Trop peu de pays dans le monde permettent d'accéder à la propriété privée pour les agriculteurs. Beaucoup sont encore sous le régime de la propriété de l'État. L'accès au foncier, en propriété ou en location à long terme, est un levier important pour que la fonction nourricière de l'agriculture redevienne effective et efficace. C'est l'un des axes du programme The Climakers (*). Sous le titre "Farmers' driven climate change agenda", cette initiative a été conçue pour promouvoir un paradigme complètement inversé en appliquant une approche ascendante authentique, où les agriculteurs dirigent le processus politique mondial sur le changement climatique, par le biais d'un agenda renouvelé qui est dirigé par les agriculteurs, basé sur la science et orienté vers les résultats. Les solutions sont rassemblées et appliquées au niveau des exploitations agricoles. Cela va, par exemple, de la récupération de l'eau des toits à l'essor des cultures de légumineuses, le stockage carbone pour aboutir aux marchés du carbone.
Avez-vous abordé le manque d'engrais qui touche de nombreux pays, notamment des pays africains ?
Lors de nos discussions directes avec le Programme alimentaire mondial (PAM), chacun d'entre nous avons exprimé nos réelles inquiétudes. Nous sommes, quoiqu'on en dise, dépendants des engrais russes et aussi très contraints par la flambée des prix de l'énergie sans laquelle, nous ne pouvons pas produire d'engrais. À ce jour, près de 70 % des entreprises européennes fabriquant de l'ammonitrate sont à l'arrêt. Déjà 260 000 t devraient être acheminées par bateau dans les pays qui en manquent le plus. Un premier navire est parti pour le Malawi le 21 novembre avec 20 000 t d'engrais. Mais chaque année, le continent africain manque peu ou prou de deux millions de tonnes d'engrais. En ce moment, les alternatives sont réduites tant pour eux que pour les agriculteurs des autres continents.
Avez-vous bon espoir que les agriculteurs mondiaux parviennent à relever le défi climatique ?
Même si je regrette toujours que l'agriculture ne soit pas associée comme acteur principal, et à sa juste place, à la lutte contre le réchauffement climatique, nous poursuivons nos démarches. Nous avons convenu de poursuivre pendant quatre ans, le dialogue dit de Koronivia devient «SHIP» SHarm el cheik Implémentation Plan, à nous de faire que ce SHIP (bateau en français) ne devienne pas une galère. La sécurité alimentaire est dans le titre de ce groupe de travail à égalité avec la lutte contre le changement climatique, c'est une victoire de la raison sur le dogmatisme de la Commission européenne qui est encore obnubilée par les contraintes qu'elle s'est fixées dans la stratégie «de la Fourche à la Fourchette» Nous savons compter sur le soutien de nombre d'experts qui expliquent que sans nous, et sans un soutien aux pays les plus pauvres, les objectifs seront compliqués à atteindre.
À la Cop 15, «l'accent doit être mis sur l'agriculture», selon l'Iddri
Lors de la Cop15 qui s'ouvrira le 7 décembre à Montréal, «nous voulons mettre l'accent sur l'un des secteurs qui a les effets les plus importants sur la biodiversité : l'agriculture», indique Juliette Landry, chercheuse au sein de l'Iddri, cercle de réflexion lié à Science-Po. Lors du sommet canadien, rappelle-t-elle, les pays membres de la Convention sur la diversité biologique (CDB) devront se prononcer sur un nouveau cadre international en matière de biodiversité. Les discussions porteront sur une vingtaine de cibles visant à atteindre quatre grands objectifs, dont la conservation des espèces et écosystèmes ou l'utilisation durable des ressources. L'agriculture sera en particulier concernée par la cible 7, «réduire les pollutions», ainsi que par la cible 10, la «gestion durable» des espaces. «Il faudra a minima un objectif sur la réduction des pesticides dans la cible 7, ainsi qu'une mise en avant de la biodiversité comme facteur de production dans la cible 10», résume Juliette Landry. Des premiers chiffres avaient été définis par les coprésidents de la CDB, avec une réduction de deux tiers des pesticides, une baisse de moitié des fuites d'engrais dans les milieux, et l'élimination de tout flux plastique dans les océans, mais ils restent à débattre entre les États. «L'enjeu sera ensuite que chaque pays s'approprie ces cibles pour la traduire dans une stratégie nationale», prévient Juliette Landry.
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