L'Oise Agricole 12 octobre 2020 a 11h00 | Par Anne Frintz

Arnica : des sommets vosgiens au laboratoire

Au lieu-dit Le Peupré, au Haut du Tôt (Vosges), Les jardins de Bernadette, producteurs de plantes à infusion et condimentaires, vendent depuis dix ans 2 à 3 % de leur cueillette aux laboratoires Phytodia d’Illkirch-Graffenstaden (Bas-Rhin). La collaboration, nourrie par une curiosité mutuelle, entraîne les premiers à tenter de domestiquer l’arnica montana et les seconds à analyser quelques confitures…

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Quand Alain Grandemange accueille Régis Saladin, le directeur fondateur des laboratoires Phytodia, sur ses plates-bandes, les deux content fleurettes. Ici, dans les sureaux.
Quand Alain Grandemange accueille Régis Saladin, le directeur fondateur des laboratoires Phytodia, sur ses plates-bandes, les deux content fleurettes. Ici, dans les sureaux. - © Ilona Bonjean

Sur un hectare, perché à près de 900 m d’altitude, dans les Vosges, sur le versant nord de la vallée de la Moselotte, Alain Grandemange cultive quarante variétés de plantes et en glane quelques autres, sauvages. Il les sèche ou les transforme pour élaborer des tisanes, des condiments, des sirops, des huiles essentielles, des eaux florales, des macérats huileux, des pétales décoratifs. En 2009, Alain a repris les jardins de sa maman Bernadette, cotisante solidaire à la MSA, plus de vingt ans après leur création. Il soigne les plantes qui y poussent en bio, avec deux salariés, dont son frère Marc, et plusieurs saisonniers. C’est lui qui a nommé son exploitation Les jardins de Bernadette (voir encadré). Presque toute la production, transformée sur place, est vendue en direct, sauf 2 à 3 %. À peine installé, Alain a rencontré Régis Saladin, directeur fondateur des laboratoires Phytodia, établis à Illkirch-Graffenstaden dans le Bas-Rhin. Le docteur, versé en phytothérapie de pointe, travaille alors pour la marque FORê dans le département des Vosges. Il parcourt les exploitations à la recherche de myrtilles et de sureau, entre autres. Les deux hommes ont une passion commune : les plantes. Ils viennent de deux univers différents mais complémentaires. Alain fait pousser les plantes et s’intéresse à l’alimentaire. Régis analyse les végétaux, les «comprend», dit-il. Il sait quelles autres utilisations en faire, notamment cosmétiques. La curiosité mutuelle des deux passionnés scelle leur collaboration.

 

Domestiquer l’arnica sauvage

Les baies du rosier sauvage (églantier, gratte-cul) appelées cynorhodons, la mélisse, le sureau et l’huile essentielle de sapin douglas des Jardins de Bernadette intéressent aujourd’hui les laboratoires Phytodia. Cette infime partie de la production d’Alain sort de son circuit court. Régis s’approvisionne encore auprès d’une dizaine d’autres exploitants locaux, dont trois voisins d’Alain, en quatorze plantes du cru. Il en est une, sauvage, que lui fournissait aussi Alain, mais dont la cueillette est interdite depuis deux ans. C’est l’arnica du Markstein, la plus concentrée d’Europe en principes actifs. Les hivers doux et la sécheresse au printemps ont raison d’elle. Régis, qui souhaite préserver celle qu’on appelle le trésor des Vosges et ses propriétés, a lancé il y a trois ans des essais de culture d’arnica chez des producteurs vosgiens, à différentes altitudes. Alain Grandemange est l’un de ceux qui tentent de domestiquer la fleur jaune, «sur un terrain pauvre, acide, mais avec beaucoup d’eau», dit-il, à partir de semence sauvage locale mais pas du Markstein. Chaque année, la conduite culturale varie. En 2020, «on s’approche du sauvage», commente Alain, qui l’a «laissée faire sa vie» sur deux ares. «Il y a moins de fleurs, elles sont moins belles mais elles devraient être de meilleures qualités qu’en 2019», observe-t-il. Il faut que la plante souffre, se défende des agressions extérieures pour développer les précieuses lactones sesquiterpéniques, les molécules aux effets anti-inflammatoires recherchés. En 2019, l’arnica cultivée aux Jardins de Bernadette a explosé : c’était littéralement «une belle plante», dixit Alain, qui l’avait «chouchoutée» sur un paillage d’aiguilles de résineux issues de sa distillation. Mais elle était moins pourvue en principes actifs que la fleur sauvage. En 2020, elle semblerait mieux dotée. Par contre, elle a subi la concurrence des graminées, n’étant pas désherbée et le sol fertile : il y a très peu de fleurs, trop peu, pour espérer récolter une partie conséquente des 200 kg dont ont besoin annuellement les laboratoires Phytodia pour leurs 1 000 litres d’huile de massage sèche, décontractante musculaire. En plus, la mouche de la fleur est très présente cette année «chaude». Elle pond dans les boutons floraux. Ses larves dévorent le capitule de l’arnica. «Il faut trouver le bon compromis entre rendement et plante active comme à l’état sauvage», conclut Alain.

 

Échange de bons

procédés

Régis Saladin achète les fleurs d’arnica séchées sauvages à Alain uniquement, plus de 100 €/kg. «Heureusement, elles se gardent bien», s’exclame l’agriculteur, qui a encore du stock. Mais les expérimentations chez lui sont gratuites. Qu’importe ! «Je la cultive par plaisir. C’est une plante parmi toutes celles du jardin, une petite partie de la production», souligne Alain. Régis partage les résultats précis des analyses de l’arnica en phase de domestication dans les Vosges, avec les trois producteurs participants. Pour le reste du monde, c’est confidentiel. D’autres laboratoires se fournissent depuis longtemps en arnica de culture en Roumanie ou en Turquie. Hors de question pour Régis. Le tout local, c’est l’ADN des laboratoires Phytodia et ces arnicas lointaines cultivées ne sont pas assez concentrées en principes actifs, affirme-t-il. Elles sont d’ailleurs deux à trois fois moins chères que l’arnica vosgienne, qu’elle soit sauvage ou en cours de domestication, et qui est la plus chère des plantes que se procurent les laboratoires Phytodia, avec la renouée bistorte. Les plantes les moins chères qu’achètent les transformateurs, tournent autour de 10 €/kg. « On s’enrichit les uns, les autres. C’est un échange, un partenariat », résume Régis. «Des expériences avec des copains», renchérit Alain. Régis analyse d’ailleurs gracieusement certaines plantes et préparations d’Alain. Par exemple, «ma maman disait toujours que sa confiture de cynorhodons est riche en vitamine C», commence l’exploitant. «Mais la vitamine C est thermolabile. Il n’est plus censé y en avoir, après cuisson», continue Régis. Contre toutes attentes, les analyses ont donné raison à Bernadette : sa recette conserve la vitamine C. Alain qui l’a reprise a pu afficher : «naturellement riche en vitamine C». Travailler avec un laboratoire, c’est un échange de bons procédés.

L’arnica aux Jardins de Bernadette : une histoire de famille

Il y a trente ans déjà, dans les années 1990, au lieu-dit Le Peupré, Bernadette, la mère d’Alain Grandemange, avait planté une souche locale d’arnica montana. L’essai florissant avec un grand laboratoire avait rapidement pris fin car la ressource étant disponible à l’état sauvage. À l’époque, il était plus rentable d’aller la cueillir sur les chaumes du Markstein. Alain a redémarré cette culture en 2015, par intérêt personnel. Les essais avec les laboratoires Phytodia ont commencé deux ans plus tard. Alain prépare, depuis peu, un macérat huileux d’arnica, vendu en direct. Alsarnica, l’huile de massage de Phytodia, n’est pas vendue dans les Vosges, pour ne pas faire de concurrence aux producteurs locaux.

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