«Des solutions technique et un prix attractif sont nécessaires»
Alors que les premiers arrachages de betteraves commencent dans des conditions plutôt sèches et chaudes, Alexis Hache, président de la CGB 60, fait le point sur les dossiers liés à la production betteravière.

L’usine de Roye a ouvert ses portes le 13 septembre et les autres vont suivre. Quel est le planning des ouvertures et comment se présente la campagne, du côté des planteurs et du côté des industriels ?
Alexis Hache : Effectivement, Bucy et Roye ont repris du service depuis le 13 septembre. Chevrières et Étrépagny devraient ouvrir le 22 septembre et Sainte-Émilie le lendemain. Les plannings d’arrachage sont arrivés chez les planteurs Tereos et Saint Louis Sucre fait les derniers ajustements.
Les premières betteraves réceptionnées à Bucy et Roye sont celles qui ont subi les traitements Goltix Duo et elles sont traitées en premier et écartées de la chaîne alimentaire puisqu’elles vont partir à la fabrication d’éthanol et leurs pulpes seront méthanisées.
Selon les derniers prélèvements réalisés en août, les betteraves ont beaucoup de feuilles et un rendement sucre inférieur à la moyenne des cinq dernières années. Néanmoins, depuis, il fait sec et les journées sont relativement ensoleillées, ce qui devrait faire augmenter le tonnage sucre, les betteraves ont assez de feuilles pour cela. On peut espérer gagner 1 tonne par hectare et par jour de poids racine.
Les arrachages précoces étant réservés aux betteraves Goltix Duo, les tardifs vont favoriser l’augmentation de la richesse en sucre. Les averses récentes devraient faciliter les arrachages. Espérons que la richesse ne soit pas trop impactée. En tout cas, des dates de démarrage au 22 septembre me semblent tout à fait correctes si l’on veut que les usines tournent entre 120 et 140 jours.
Quels sont les derniers développements du dossier Adama ? Combien de planteurs sont-ils concernés ? que vont devenir leurs betteraves ? Est-il prévu une indemnisation ?
A.H. : Les produits du fabricant Adama mis en cause sont le Goltix Duo, le Tornado Combi et le Marquis. Ce dernier ne concerne pas de planteurs de l’Oise, mais plutôt de la Marne et de l’Aisne. Les betteraves seront détruites et les producteurs indemnisés, les méthodes de calcul sont en cours de finalisation avec le fabricant qui prendra également en charge les pertes fixes des entreprises d’arrachage qui ne récolteront pas. Jusque là, nous avons à faire à un interlocuteur correct.
Pour ce qui est des betteraves Goltix Duo, l’État ne considère pas la molécule comme étant à risque mais demande une traçabilité. Pour éviter tout risque, comme je l’ai annoncé précédemment, les betteraves ne rentreront pas dans la chaîne alimentaire. 35 planteurs et 3 distributeurs sont concernés et les modalités d’indemnisation sont en cours de discussion. Les planteurs seront indemnisés à la juste valeur en comparant leur potentiel de l’année à la moyenne 2021 de l’usine. Bien entendu, les autres préjudices comme les désherbages et la destruction des betteraves seront pris en compte.
Le fabricant Adama, qui veut développer sa position sur le marché français, fait preuve de bonne volonté dans ce dossier. En tout cas, les planteurs touchés recevront bien leur premier acompte comme d’habitude et, d’ici le second acompte, nous aurons le temps d’affiner la matrice d’indemnisation afin que tout soit calé pour la fin de l’année civile.
En ce qui concerne la jaunisse 2020, tous les planteurs ont-ils été indemnisés ? Plus largement, qu’en est-il des néonicotinoïdes ? Des solutions alternatives pointent-elles ?
A.H. : Au départ, l’engagement de paiement était fixé pour fin mai, mais il a pris du retard et beaucoup ont été payés fin juin ou début juillet. Aujourd’hui, seuls 20 % des planteurs ne sont pas indemnisés, moins de 200 dans l’Oise. Cela correspond à des dossiers plus compliqués, avec des structures juridiques multiples et le recours à l’assurance. Il y avait parfois des incohérences entre les données des industriels et les surfaces déclarées. Le délai d’instruction est plus long et a été transféré par FranceAgrimer à la DDT de l’Oise. L’engagement de paiement est fixé au 20 septembre.
Même si la demande était simple à remplir et que les indemnisations sont globalement réglées, il faut rappeler que, sur les 750 millions d’euros de pertes dus à la jaunisse, seuls 80 millions vont être indemnisés aux planteurs.
Cet épisode de jaunisse 2020 va laisser des traces dans les trésoreries. Il aura été révélateur du nouveau risque qui pèse sur les exploitations agricoles, le risque réglementaire, qui a des conséquences sanitaires. On l’a vu dans ce dossier : avec la suppression des néonicotinoïdes, sans rôle d’assureur de l’État, on arrive à une impasse technique. Les solutions techniques existantes ne doivent être supprimées que lorsque les alternatives auront été trouvées, testées et que leur efficacité aura été prouvée.
À ce sujet, le PNRI (plan national de recherche et d’innovation) sur la jaunisse de la betterave s’est orienté dans trois directions. D’abord la génétique, la plus prometteuse, qui consiste à ce que les semenciers sortent des variétés qui soient tolérantes aux maladies, même s’il y a quand même perte de rendement. Ensuite, de nouvelles matières actives insecticides pourraient être mises à l’avenir sur le marché. Enfin, des solutions plus folkloriques sont testées, comme les lâchers de chrysopes ou des bandes tampons. Malheureusement, jusque là, elles n’ont pas montré leur efficacité. L’avenir de la filière betterave dépend surtout des solutions techniques et donc de la génétique et du prix qui sera payé aux planteurs.
Justement, comment se porte le marché du sucre aujourd’hui ? La crise sanitaire a-t-elle un impact ?
A.H. : On a vu une embellie mondiale sur le prix des matières premières, dont le sucre, mais qui ne s’est pas répercutée sur les cours européens du sucre ni sur les prix proposés aux planteurs. Pourtant, par exemple, en Grande-Bretagne, les producteurs se sont vus proposer un prix de 31 €/t, très attractif, pour une partie des tonnages contractés. Malgré les aléas climatiques que les planteurs prennent en compte chaque année, c’est bien un prix attractif qui peut les inciter à continuer la culture de la betterave. Car elle a un intérêt agronomique dans les rotations : une tête d’assolement, une culture de printemps, produite et transformée localement, une production d’éthanol ou de méthane avec les pulpes, un aliment intéressant pour les éleveurs, une filière industrielle locale. Les planteurs veulent de la transparence sur le prix. Pour les industriels privés, la grille est adossée aux cours européens. Pour les coopératives, certaines n’ont pas encore de grille de lecture, les planteurs coopérateurs doivent faire confiance et ils ont parfois eu le sentiment que le prix payé au planteur était la variable d’ajustement. Avec la nouvelle équipe en place chez Tereos, cela pourrait changer.
Toujours est-il que les industriels ont besoin de surfaces pour faire tourner leurs usines. Si, pour des raisons techniques, les planteurs font tourner les betteraves tous les 3 ou 4 ans au lieu de 2 ou 3, il faudra plus de surfaces chaque année. Et pour cela, les industriels doivent mieux partager la valeur. Nous demandons toujours plus de transparence dans la répartition de la valeur.
La crise sanitaire et les confinements ont poussé les Français à acheter plus de sucre de bouche et les industriels ont consommé moins de produits sucrés. On a vu aussi qu’en peu de temps, les industriels ont su fabriquer du gel hydroalcoolique au bénéfice de tous, ce qui n’a pas été le cas pour les masques. Quand on garde un tissu industriel, même en cas de crise, il sait s’adapter et permettre au pays de garder de l’autonomie.
L’autonomie alimentaire est indispensable et elle doit être autre chose que des mots dans la bouche des politiques. La France dépend trop du soja américain, du poulet brésilien, les aliments premier prix sont souvent importés, alors qu’on devrait être capable de les produire.
À force de faire peser des contraintes sur les producteurs, la France va finir par être importatrice nette de denrées de piètre qualité qu’on ne veut pas produire ici. L’Europe est importatrice nette de sucre cette année à cause des conditions de l’année, il ne faudra pas que de conjoncturel, cela devienne structurel. Autour de la betterave, il y a un éco-système : planteurs, éleveurs, méthaniseurs, semenciers, industriels...
On a abandonné le textile en France, l’électrique avec des batteries fabriquées à l’étranger... S’il n’y a plus de betteraves en France, le Brésil n’aura aucun problème à défricher la forêt amazonienne pour y produire de la canne à sucre.
Voilà les réflexions que doivent prendre en compte nos gouvernants, notamment en 2022 où nous demandons à nouveau une dérogation pour utiliser des NNI en enrobage. Avec ce que nous avons vécu en 2020, nous savons que le potentiel virulifère est bel et bien présent dans nos plaines et que la seule solution efficace à ce jour est le recours au traitement de semences.
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