«Les néonicotinoïdes sont un totem pour le gouvernement»
Le président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) de l'Oise revient sur les annonces du gouvernement concernant le Movento, alors que se profile l'arrivée des pucerons d'ici la fin du mois d'avril, et continue de s'indigner de la «distorsion de concurrence» entre pays européens.
À l'heure actuelle, peu de semis ont été réalisés pour le département, notamment à cause de l'importante pluviométrie des dernières semaines. Cette situation risque-t-elle d'être préjudiciable au rendement final ?
Nous sommes encore dans des dates optimales pour semer nos betteraves, mais il ne faudrait pas que ces conditions s'éternisent. Nous avons en effet une épée de Damoclès au-dessus de notre tête : l'arrivée des pucerons. Leur présence est déjà avérée dans des départements plus au sud. La météo semble clémente pour cette fin de semaine et la semaine à venir, on peut donc espérer que tout se passe bien.
L'Institut technique de la betterave alerte sur un risque élevé de jaunisse en 2024 et prévoit une arrivée des pucerons autour du 28 avril, ce qui n'est pas sans rappeler les conditions connues en 2020. Quels conseils, quels gestes conseillez-vous d'adopter ?
On a déjà plusieurs alertes. Avant l'ITB, l'institut technique anglais a signalé l'arrivée de pucerons et a permis à nos collègues britanniques d'obtenir une dérogation pour un enrobage de semences néonicotinoïde. On sait donc que la pression jaunisse sera forte et qu'il faudra être extrêmement méticuleux dans la surveillance et dans le traitement des betteraves. On a d'ailleurs avec la CGB déjà invité à remélanger les cordons de silo de betteraves et, surtout, de détruire les betteraves quand il y a des repousses de collets dans les cultures ou sur les tas. Nous atteignons même déjà les dates limites pour le faire. Il faut également se rendre sur place, surveiller et suivre l'alerte puceron de l'ITB. Le réseau mis en place depuis la fin des néonicotinoïdes reste très actif et devrait nous permettre de savoir quand les pucerons seront là. Pour autant, cela ne résout pas notre problème sur le fond. Économiquement, les conséquences peuvent être terribles. En 2020, on a perdu 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires avec un sucre qui ne valait pas très cher. Quand je transforme les betteraves perdues en sucre et en coproduits, la perte correspond à tout ce qui n'a pas pu être produit. On peut craindre, si ça se passe mal, une nouvelle perte à hauteur d'un milliard d'euros. Or il faut bien comprendre que le chiffre d'affaires sert à payer toute la filière. Lorsqu'on perd 40 % du rendement betteravier, on ne perd «que» 40 % du chiffre d'affaires mais 100 % de notre revenu.
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire, a annoncé le 5 avril dernier, lors d'un déplacement dans le Nord, à Lorgies (voir page 6 de cette édition, ndlr), qu'une dérogation concernant le Movento serait octroyée afin que les betteraviers puissent utiliser le produit Movento (spirotétramate) pour lutter contre les pucerons : trois traitements et, si la situation le justifie, deux passages supplémentaires seront autorisés. Les producteurs peuvent-ils s'estimer assurés d'un risque de jaunisse contrôlé ?
Nous avions déjà obtenu des autorisations concernant des passages supplémentaires de Movento en 2020. J'étais là lors du déplacement de la ministre et, pour moi, on est dans un hors-sujet total ! Ce qu'il nous fallait et qu'il nous faudrait, ce sont les mêmes moyens de production que nos voisins européens, notamment allemands et hollandais, à savoir deux molécules interdites en France : la flupyradifurone et l'acétamipride. Malheureusement le gouvernement s'arc-boute sur un totem que sont les néonicotinoïdes et les molécules associées. Or l'erreur est là car ces produits sont disponibles pour nos concurrents et ils ne se privent pas de s'en servir. Nous sommes pourtant bien davantage exposés qu'eux au risque puceron. Les Allemands et les Polonais ont un climat continental mais peuvent utiliser les bons outils. On est vraiment dans une distorsion de concurrence ! Le gouvernement peut penser ce qu'il veut, la loi Pompili (loi «Biodiversité» de 2016 interdisant l'usage des néonicotinoïdes, ndlr) est une surtransposition des normes européennes. En 5 ans, il y a eu en France 5 fermetures d'usines et nos concurrents continuent de prendre des parts de marché. La situation n'est plus acceptable. Les annonces de vendredi ne sont qu'un coup médiatique de la ministre. Obtenir des autorisations pour cette campagne sera très compliqué mais on a de bons espoirs pour la campagne suivante.
Le Parlement européen a acté un accord visant à encadrer les importations de sucre provenant d'Ukraine au-delà de 320.000 tonnes. Cette décision répond-t-elle aux attentes de la filière ?
Là encore on se retrouve dans une situation de distorsion de concurrence complète. Les Ukrainiens utilisent des fongicides et des néonicotinoides parmi les plus forts, déjà interdits chez nous depuis plusieurs années, et produisent des betteraves OGM ! Il y a un problème à ne pas mettre de barrière à ces sucres-là. D'autant qu'historiquement, les Ukrainiens ne vendaient pas tellement de sucre en Europe, de l'ordre de 20.000 tonnes. Sous couvert de soutenir le peuple ukrainien, ce que l'on peut comprendre, on torpille le marché européen. Plutôt que de l'importer en Europe, organisons la logistique du sucre ukrainien vers leurs clients historiques. Car la place laissée vide est comblée par les Russes !
En ce moment se déroule aussi des discussions sur les accords interprofessionnels sur les conditions d'achat de betteraves...
Nous sommes aujourd'hui en opposition avec une partie des groupes sucriers qui nous ont posé un ultimatum au 15 avril, ce qui n'est jamais arrivé dans l'histoire de ces accords. Certains sucriers voudraient s'exclure et travailler en dehors de ces accords, entrainant un retour de balais de camion dans certaines villes. Avec les difficultés que l'on connaît, il est inadmissible que des industriels mettent en porte-à-faux un accord national donnant aux betteraviers un cadre commun et un moyen de se comparer.
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