L'Oise Agricole 28 novembre 2024 a 08h00 | Par Alix Pénichou

Ergot, insectes et protéines, les indubitables défis de la filière blé locale

Comment satisfaire les marchés intérieurs et l'export, et ainsi créer plus de valeur ? Tel est le sujet sur lequel planche le forum blé tendre Nord-Seine-Normandie depuis mai 2022. Pour les partenaires, la priorité doit être portée sur la qualité sanitaire et la teneur en protéines. Ils présentaient les résultats de leurs travaux lors d'un colloque, le 13 novembre à Amiens.

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- © Pixabay

Des insectes difficiles à gérer une fois dans les tas de blé, la présence d'ergot, cette maladie productrice d'alcaloïdes toxiques pour l'homme et les animaux, et un taux de protéines bien souvent en-deçà des attentes des clients. Voilà les principaux défis techniques que la filière blé tendre doit relever dans notre région. C'est en tout cas les conclusions que dressent les partenaires du forum Blé tendre Nord-Seine-Normandie. Un colloque de restitution avait lieu le 13 novembre à Amiens.
«Le travail a été engagé depuis mai 2022, alors que notre filière est fragilisée par des moissons catastrophiques et une concurrence accrue. C'est la première fois que tous les acteurs de la chaîne - une vingtaine de représentants de producteurs, organismes de collecte, acteurs de la première transformation du blé tendre comme l'amidonnerie, la meunerie française et d'exportation, les fabricants d'alimentation animale - se réunissent autour d'un objectif commun : créer de la valeur», présente Thierry Dupont, président de la coopérative Agora et président du Forum Blé tendre Nord-Seine-Normandie. Ce colloque est animé par Arvalis, Intercéréales et l'AGPB. «Notre objectif commun est de renforcer l'adéquation entre l'offre et la demande, pour mieux répondre aux besoins des marchés locaux comme nationaux et internationaux au profit de tous les maillons de la filière», ajoute-t-il.
Cinq colloques ont été créés, pour cinq bassins de production en France. Le nôtre, qui s'étend de Caen à Reims, est le plus important, avec 45 % de la production nationale. «La diversité des valorisations ainsi que la qualité des infrastructures, notamment portuaires, assurent autant une relation privilégiée avec nos clients locaux que l'accès aux marchés nationaux et internationaux», poursuit Thierry Dupont. Mais il ne s'agit pas de se reposer sur ses lauriers. 60 % de cette production de blé est exportée, via les ports de Dunkerque, Rouen et Caen, vers la Chine, les pays du Maghreb et du Bénélux. Or, la concurrence est plus forte année après année.
«La compétitivité de blé des pays de la mer Noire et d'Europe de l'Est est désormais inscrite dans les moeurs. Notamment, la Russie affiche une ambition stratégique tournée vers l'export, et l'Ukraine bénéficie d'une aide pour l'export de ses produits agricoles. Ces pays exportateurs challengeurs dictent les prix et font grimper la concurrence», pointe Oriane Vialle-Guérin, responsable veille des marchés des céréales chez Intercéréales. Dans ce contexte, pouvoir répondre aux exigences des clients est donc indispensable.


Des clients plus exigeants
Pour le bassin Nord-Seine-Normandie, les principaux segments de marché sont, pour 80 % de la production, l'amidonnerie, la nutrition animale (meunerie et export), la meunerie pour l'Algérie et le Maroc, et la Chine, dont l'utilisation du blé n'est pas toujours claire. Les 20 % restants sont à destination de la meunerie française, Nord UE, Égypte et Afrique Subsaharienne. «Globalement, les marchés sont de plus en plus exigeants sur la teneur en protéines, et nous avons du mal à y répondre. Un plan protéines avait été engagés, mais nous nous sommes relâchés sur ce point», analysent Alexis Decarrier et Charlotte Boutroy, d'Arvalis.
L'Algérie est un des exemples les plus parlants. «Il s'agissait de notre principal client il y a quelques années. Nous y exportons 30 % de moins par rapport à la période 2013-2019, car ce pays a revu son cahier des charges. Il est beaucoup plus exigeant en termes de poids spécifique (PS) affiché à 78, de taux de protéines (TP) à 11,5 %, de force boulangère (W) à 180 et d'humidité inférieure à 14 %. D'après nos probabilités, si la collecte moyenne reste la même, nous aurons du mal à accéder à ce marché dans les dix prochaines années.» Pour le taux de protéines particulièrement, le constat est le même pour l'export vers la Chine, l'Égypte, l'Afrique subsaharienne ou pour le segment de la meunerie Française.


On ne discute pas la qualité sanitaire
Autre gros point de vigilance : la présence d'ergot, d'insectes et de mycotoxines très problématiques pour toutes les filières, y compris l'amidonnerie et la nutrition animale. Paul Jacquelin d'Usipa/Tereos, témoigne pour les amidonniers : «lorsqu'on reçoit un lot de blé avec une qualité en-dessous de ce que l'on souhaite, on peut toujours discuter. Mais pas quand il s'agit de la qualité sanitaire. Si on détecte de l'ergot au trieur optique, le camion est refusé, et on est obligé de le notifier à la DGCCRF (Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes).» L'ergot, champignon parasite contenant des alcaloïdes toxiques pour les humains et les animaux, est lié à la mauvaise gestion de l'enherbement. «Le poids du désherbage écrase même la problématique de la météo. Or, nos solutions de lutte sont de plus en plus réduites. Il ne nous reste que les leviers agronomiques, mais chacun a ses contraintes. Il n'y a pas de solution miracle», analyse Alexis Decarrier.


La baguette française rayonne
Pour la meunerie, en plus de ces points de qualité, la diversité est aussi essentielle. «Pour produire une baguette, du pain de mie ou de la brioche, le blé n'est pas le même. Une farine, c'est un mélange d'environ six variétés de blé, pour sublimer la qualité finale du produit», atteste Jean-Jérôme Javelaud, vice-président de l'ANMF (Association nationale de la meunerie française). Anne-Laure Paumier, d'Intercéréales, ajoute qu'à l'export, les besoins sont les mêmes. «Dans les pays tiers, le blé exporté est quasi-exclusivement à destination de la meunerie. Et les exigences grimpent partout. Nous bénéficions d'une image très positive avec, dernièrement, notre baguette classée au patrimoine immatériel de l'Unesco. C'est un gros atout que nous devons faire perdurer.»
Les experts proposent des leviers techniques pour viser l'adéquation offre/demande. «Il nous faut faire évoluer les surfaces cultivées des variétés selon la note de PS et de protéines pures.» Chevignon et Extase sont les deux variétés dominantes de la sole régionale du fait de leur forte productivité, mais la protéine se retrouve souvent diluée par le rendement. Des solutions techniques existent pour allier rendement et protéines (cf. p. 5). «Le "besoin qualité" pourrait limiter cet effet s'il était plus largement appliqué en fin de montaison.»

La filière blé tendre Nord-Seine-Normandie en chiffres


1re région productrice de blé tendre
10 millions de tonnes par an en moyenne
34.000 exploitations agricoles, pour 75 % de la surface céréalière régionale
2,8 MEUR de valeur ajoutée
650 entreprises de collecte et de première transformation
100.000 emplois générés

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