L'Oise Agricole 16 mai 2021 a 11h00 | Par Propos reccueillis par Sébastien Joly

«Il a tenté de remettre sur pied une agriculture meurtrie»

Comme beaucoup d’hommes d’État de la IIIe République, Henry Chéron a été effacé de la mémoire collective. Progressiste, il est pourtant à l’origine de beaucoup d’avancées sociales. Il est aussi l’initiateur des Chambres d’agriculture.

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Le 15 juin 1923, Henry Chéron à l’exposition agricole, photographie de presse, agence Rol. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-13 (1023).
Le 15 juin 1923, Henry Chéron à l’exposition agricole, photographie de presse, agence Rol. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-13 (1023). - © Agence de presse

Comment l’officier de police judiciaire que vous êtes a-t-il été amené à s’intéresser à Henry Chéron ?

Cédric Le Cannelier : L’officier de police judiciaire que je suis est avant tout, et ce depuis ma prime jeunesse, passionné par l’histoire. Dès le collège, j’ai commencé à effectuer des recherches historiques et à rédiger des fiches thématiques et synthétiques que je conservais par-devers moi.

Comment ai-je été amené à m’intéresser à Chéron ? Par le plus grand des hasards, au gré de recherches que j’effectuais sur les élections cantonales dans le département du Calvados, sous la IIIe République, c’était en 2014. Lors de chaque renouvellement électoral dans le 2e canton de Lisieux, je tombais sur Chéron qui, selon les époques, était député, ministre, sénateur, encore ministre.

Le bonhomme a piqué ma curiosité et j’ai donc commencé à jeter un œil sur son œuvre politique. J’avoue avoir été déçu par le manque de littérature existant à son sujet. C’est alors que ma compagne, le plus naturellement du monde, m’a dit : «pourquoi n’écrirais-tu pas un livre sur lui ?» Après un court moment d’hésitation, je lui ai répondu chiche et je me suis lancé dans l’inconnu.

Comment avez-vous travaillé ? À partir de quelles sources ?

C. Le C : Tout d’abord, j’ai collecté le maximum d’informations concernant ce personnage, dans la presse locale et nationale de la fin du XIXe siècle jusqu’en 1936, date de sa disparition.

Ensuite, je me suis documenté dans les bibliothèques ainsi que dans les archives municipales et départementales, puis dans les bibliothèques universitaires. J’ai ainsi pu compulser des ouvrages sur la période et des travaux universitaires. Une fois toute cette matière brute réunie, j’ai dû la structurer, la mettre en forme, construire un plan. J’ai décidé d’articuler cette biographie en trois parties, elles-mêmes subdivisées en trois sous-parties.

En procédant ainsi, je voulais donner une architecture homogène à mon travail. J’ai joué les enquêteurs ou les journalistes en recoupant mes sources et surtout, en travaillant à charge et à décharge, le but étant de donner une image fidèle du personnage, avec ses qualités et ses travers.

Henry Chéron a œuvré dans de nombreux domaines. Très célèbre en son temps, il a pourtant été oublié de la mémoire des Français. Comment l’expliquer ?

C. Le C : Chéron n’est malheureusement pas le seul homme d’État - j’assume ce terme plutôt que celui d’homme politique - à avoir été totalement effacé de notre mémoire politique collective. Gambetta, Jaurès ou Clémenceau évoquent encore quelque chose à nos contemporains.

Quid de Painlevé, Barthou ou bien encore Paul-Boncour ? C’est plus généralement la IIIe République qui a été oubliée, ou plutôt effacée de la mémoire des Français. Celle que ses détracteurs surnommaient la «gueuse», bien qu’à l’origine de nombreuses évolutions sociales et sociétales - j’en relate un certain nombre dans mon ouvrage - n’a pas pu ou pas su se renouveler institutionnellement et politiquement. L’impéritie de nos gouvernants et des chefs de nos armées en juin 1940 ne furent que le coup de grâce pour ce régime à bout de souffle.

Cet homme politique a occupé de nombreuses fonctions politiques, à plusieurs reprises, ministre dont celui, en 1922, de l’Agriculture. Qu’est-ce que le monde rural lui doit ?

C. Le C : Au sortir du premier conflit mondial et dans une France encore fortement rurale, le ministre de l’Agriculture était un homme clé au sein d’un gouvernement. Chéron est resté à la tête de ce ministère de janvier 1922 à mars 1924. Ce laps de temps lui a permis de lancer un très grand nombre de chantiers en faveur du monde agricole.

Il a tout d’abord tenté de remettre sur pied une agriculture meurtrie dans sa chair et dans ses terres par le premier conflit mondial. Il a permis de généraliser le crédit agricole. Il a encore permis l’électrification massive des campagnes. Cela peut sembler anodin, mais Chéron est à l’origine du bulletin météorologique radiophonique. Enfin, c’est lui l’initiateur des Chambres régionales et départementales d’agriculture.

Une forte personnalité, teintée d’une pointe d’humour, naviguant entre radicalisme et conservatisme, mais aussi, parfois contestée. Comment pourrait-on qualifier Chéron ?

C. Le C : Certains de ses détracteurs le qualifièrent de radis, rouge à l’extérieur et blanc à l’intérieur. Certes, Chéron commença sa carrière politique en se déclarant radical indépendant. Dans les faits, c’était un progressiste, c’est‑à‑dire qu’il était un modéré et non un radical.

Chéron fut d’ailleurs l’un des vice-présidents de l’Alliance républicaine démocratique (ARD), peu de temps après la fondation de cette dernière. L’ARD était une formation politique de centre droit, adversaire du Parti républicain radical et radical-socialiste (PRRRS). Chéron était donc un social-libéral proche de Poincaré. Cela ne l’empêcha cependant pas d’appartenir à des gouvernements de gauche durant les années 1930. Sa probité et son professionnalisme étaient reconnus de tous. Ses colères étaient craintes, mais ceux qui le côtoyaient, ne retenaient de lui que sa bonhomie, son autodérision et son humour ravageur.

C’est un homme qui a incarné véritablement la IIIe République. Quel héritage a-t-il laissé ?

C. Le C : Son héritage est avant tout social. Comme parlementaire et comme ministre, il fit en sorte de réformer notre pays en profondeur. Dès 1906 et son élection à la Chambre des députés, il constitua un groupe parlementaire en faveur du droit des femmes.

Il légiféra pour améliorer leur sort, notamment celui des femmes en couche. Il œuvra encore pour lutter contre l’alcoolisme, véritable fléau national. Il prit à bras-le-corps la question des retraites ouvrières et paysannes, tout comme celle de la participation dans les sociétés.

Comme sous-secrétaire d’État à la Guerre, puis à la Marine, il se fit fort d’améliorer les conditions sanitaires et sociales des militaires et des marins. Cela lui valut d’ailleurs d’être qualifié affectueusement de «Bonne fée barbue» par ceux-ci. Lorsqu’il arrivait à la tête d’un nouveau ministère, il se faisait fort de s’occuper en premier lieu des conditions de travail et de santé de chacun de ses fonctionnaires.

C’est une première expérience littéraire pour vous. Vous a-t-elle donné le goût de l’écriture, de la recherche historique ? De nouveaux projets en tête peut-être ?

C. Le C : C’est effectivement une première expérience littéraire. C’est une révélation. Grâce à ma compagne je suis devenu totalement addict ! Si, comme je vous l’ai dit en préambule, j’ai depuis tout jeune effectué des recherches historiques, c’est effectivement grâce à ma moitié que je me suis découvert cette passion pour l’écriture.

Des nouveaux projets en tête ? Assurément. Deux manuscrits sont en cours d’écriture. J’ai mis de côté, pour un temps, le premier pour me consacrer au second. Les achèverai-je un jour ? Je l’ignore. Entre les premiers mots couchés sur le papier et la sortie prochaine de mon ouvrage à compter du 6 avril prochain, ce sont sept années qui se sont écoulées. Combien de temps mettrai-je pour achever l’écriture de ces deux manuscrits ? Je l’ignore. Parviendrai-je à les voir éditer ? Je l’ignore aussi !

- © agence de presse

Cédric Le Cannelier, enquêteur et historien

Né à Caen en 1977, Cédric Le Cannelier quitte sa région natale après des études en histoire pour l’Île-de-France où il exerce la profession de fonctionnaire de police. Enquêteur spécialisé dans le domaine économique et financier affecté en Normandie, il demeure passionné par l’histoire et la politique, ce qui le conduit à écrire ce premier ouvrage, Henry Chéron, le Gambetta normand. Cédric Le Cannelier a effectué un court séjour dans le département de l’Allier, au sein du commissariat de police, à Montluçon. C’était en 2002, lors d’un stage dans le cadre de sa formation de gardien de la paix au centre de formation de la police d’Aubière (Puy-de-Dôme).

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