L'Oise Agricole 18 mai 2023 a 09h00 | Par Dominique Lapeyre-Cavé

«L’agriculture peut relever les défis: nourrir la population et stocker le carbone»

Voilà presque trois années qu’Agnès Duwer est aux manettes d’Agora en tant que directrice générale. Contexte géopolitique, marchés agricoles, travail mené et feuille de route de la coopérative, elle se livre en toute franchise.

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Agnès Duwer, directrice générale d'Agora.
Agnès Duwer, directrice générale d'Agora. - © DLC

La campagne de commercialisation de la récolte 2022 est bien avancée. Comment s’est-elle déroulée pour Agora?
Agnès Duwer : La récolte 2022 a été rapide et s’est déroulée en conditions sèches, tout le contraire de la précédente. Ce grand écart en deux années nous rappelle à quel point nos métiers sont tributaires des conditions météorologiques. Même si nous avons rencontré quelques problèmes de qualité sur 30 % des lots environ, vendre la récolte aura été finalement assez simple. En termes de logistique, nous avons bien exécuté dès le début de la moisson, avec un dégagement assez précoce. Aujourd’hui 12 mai, 93 % des 980.000 tonnes récoltées sont sortis grâce à un excellent travail des équipes.
D’un point de vue qualitatif, nous avons su nous adapter à l’export et n’avons pu que constater la chute des cours au fil du temps. Après les sommets connus, il faut se rendre à l’évidence : la volatilité des cours est devenue la norme. Heureusement que l’outil collectif qu’est la coopérative est là pour amortir ces effets.


Le contexte géopolitique et notamment la guerre russo-ukrainienne influencent fortement les marchés des produits agricoles. Cette donnée a-t-elle modifié, selon vous, durablement les circuits d’approvisionnement?
AD : le conflit entre la Russie et l’Ukraine a fortement pesé sur les marchés l’année dernière, on n’avait jamais vécu une telle situation : arrêt des exportations mer Noire, puis établissement d’un corridor, renouvelé ou pas, hausse record des cours, volatilité… Les marchés sont devenus lourds, des fonds se sont désengagés et les cours baissent inexorablement. Mais il suffit d’un événement dans un coin de la planète, Chine, Russie, Turquie… pour que tout change. Les cours peuvent remonter ou continuer à baisser. Il n’y a pas que El Nino qui influence les cours, la géopolitique aussi.
Tout va très vite et très loin, mais cela concerne toute l’économie, pas seulement les marchés agricoles. Le monde dans lequel nous évoluons se complexifie et il met à rude épreuve les nerfs des Hommes.
Pour ce qui est des approvisionnements en engrais, nous avons sollicité nos adhérents dès juin 2022 pour qu’ils nous communiquent leurs besoins pour la campagne suivante. Avec notre union d’achats Inoxa, nous avons anticipé pour évaluer précisément les quantités dont nous avions besoin pour nos adhérents et ainsi prendre des positions. C’est ainsi que nous avons pu apporter à nos adhérents ce dont ils avaient besoin. C’est tout le rôle des coopératives : sécuriser les approvisionnements et garantir un prix moyen afin que nos adhérents puissent réaliser leur acte de production. Il y a eu beaucoup de tensions sur le marché des engrais et parfois des problèmes de qualité que nous sommes en train de régler avec nos fournisseurs. Construire la demande par anticipation a bien fonctionné, nous avons pu relever le défi grâce à une bonne mobilisation de la profession, que ce soit au niveau local ou national. J’ai néanmoins peur que ce type de campagne ne se reproduise, la France est un petit consommateur d’engrais, avec seulement 5 % de la consommation mondiale, et puis les engrais vont subir des évolutions réglementaires comme les produits phytosanitaires, nous devons l’intégrer. Je suis d’ailleurs surprise que dans un tel contexte de prix des intrants, les agriculteurs ne s’orientent pas plus vers des outils d’aide à la décision, pourtant bien utiles pour optimiser les intrants. Nous devons les inviter à se tourner plus vers nos services et nos expertises en ce domaine.


Ce contexte ainsi que la mise en place de la nouvelle Pac a-t-il modifié les pratiques des adhérents Agora (choix des cultures, des intrants, orientation technico-économique…)?
AD : Nous avons noté des évolutions dans les surfaces cultivées avec par exemple une augmentation régulière de la sole en tournesol qui semble trouver sa place dans les rotations, mais pas forcément en lien avec la Pac. Notre pôle agroécologie accompagne une cinquantaine d’adhérents vers le label HVE (haute valeur environnementale), il y a une réelle dynamique. Tous les agriculteurs n’ont pas le même niveau d’informations, ni la même volonté ni les mêmes moyens pour aller vers le changement des pratiques.


Quels sont les chantiers que mène Agora?
AD : Depuis mai 2021, le conseil d’administration a arrêté une feuille de route appelée Agora 2030. De septembre 2020 à mai 2021, elle a été co-construite au travers d’ateliers entre les élus et les managers de la coopérative. Ces axes reposent sur trois principes sur lesquels s’appuie la coopérative : la gouvernance, l’équilibre économique et la responsabilité globale (RSE). Ce socle de travail est la base de cinq axes de développement que sont l’agroécologie, l’orientation des marchés, l’engagement des adhérents, les partenariats et l’innovation. Cette feuille de route a été présentée aux adhérents.
Depuis, des plans d’actions opérationnels ont été construits et présentés en mai 2022 au conseil d’administration et se mettent en oeuvre. Par exemple, pour les axes 1 et 2, des clubs ACS (agriculture de conservation des sols) ont été créés, 58 adhérents se sont engagés dans la démarche «Sols vivants» avec notre partenaire Nestlé, 200 produisent du colza bas carbone et 50 se dirigent vers HVE. Notre projet devient concret grâce à l’adhésion de nos agriculteurs.
Autre point sur lequel nous travaillons, la livraison directe des semences depuis notre plateforme chez l’adhérent, sans passer par les silos. Nous avons de bons retours et allons poursuivre.
Plus généralement, nous adaptons le modèle de la coopérative au contexte actuel qui évolue très vite. Par exemple, la démarche carbone se développe et nous nous mobilisons pour que les adhérents en bénéficient. Nos jeunes adhérents analysent bien ce contexte et vont s’engager, ce qui nous fait dire que nous ne sommes qu’au début d’un changement de pratiques agricoles dans l’acte de production. L’évolution de la Pac pousse à ces transformations que nous allons accompagner. Par exemple, la démarche carbone avec Nestlé, c’est positif pour l’agriculture qui est une activité qui contribue positivement. Mais nous ne devons pas oublier que l’agriculteur doit vivre de son travail et c’est une belle occasion de le faire au-delà de la production alimentaire.


Comment voyez-vous ces évolutions au sein d’Agora?
AD : Le cycle de production agricole dure un an et nous devons en tenir compte dans notre pilotage. Nous compilons les résultats des nouvelles pratiques que mettent en oeuvre nos adhérents. Ils doivent s’adapter à ces nouvelles contraintes tout en continuant à dégager un revenu agricole, à améliorer leurs performances économiques. L’agriculture est clairement une solution au défi climatique et pour accompagner nos adhérents dans cette transition, nous avons initié un programme de formation pour nos conseillers technico-économiques, au travers d’un parcours certifiant d’une douzaine de journées. La formation de tous, élus et collaborateurs, c’est la clé de la réussite. Nous devons être en phase avec le contexte et emmener nos adhérents dans la bonne direction, sur la base du volontarisme bien entendu.
C’est ainsi que nous pourrons coller aux demandes du marché, de plus en plus exigeant en termes de qualité et de plus en plus divers. N’oublions pas que nous subissons aussi la concurrence d’autres pays producteurs. Nous avons la chance d’être dans un secteur d’activité qui nous permet de relever le double défi qui se pose au Monde : nourrir la population et stocker le carbone pour lutter contre le changement climatique. Tous les secteurs de l’économie ne peuvent pas en dire autant !


Nous sommes à quelques semaines du début de la moisson. Dans quel état est la plaine?
AD : La plaine est belle à l’heure où je vous parle. Globalement, l’état des lieux est prometteur, excepté quelques secteurs où l’on constate de la verse. La pluie est finalement arrivée dans nos régions, c’est une chance que nous devons savoir apprécier par rapport à nos collègues du Sud qui subissent une sécheresse exceptionnelle. Mais tout peut changer très vite, avec trop d’eau ou, au contraire, des conditions séchantes en fin de cycle. Les agriculteurs ont l’habitude de dire «tant que ce n’est pas dans la benne», moi je dis : tant que ce n’est pas dans le silo !

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