«L’euro a aidé à créer un sentiment d’appartenance européen»
Le 1er janvier dernier, l’euro, monnaie commune de dix-neuf pays au sein de l’Union européenne, a fêté ses 20 ans. Rentré dans les habitudes de millions de citoyens européens, l’euro a traversé de nombreuses crises, mais demeure aujourd’hui une monnaie de référence sur le plan mondial. Explications avec Nicolas Barbaroux, maître de conférences en économie à l’Université Jean-Monnet de Saint-Étienne (Loire).
Vingt ans après son lancement, comment se porte aujourd’hui l’euro ?
Nicolas Barbaroux : C’est une monnaie qui se porte bien parce qu’elle a atteint ses objectifs, le principal étant d’étendre les échanges au niveau européen en favorisant la libre circulation. C’est chose faite puisqu’aujourd’hui, plus de 60 % des échanges extérieurs de l’Union européenne sont facturés en euros. L’autre objectif était la stabilisation de l’inflation. Grâce à la création de la Banque centrale européenne (BCE), nous avons atteint un taux d’inflation nettement inférieur à 2 %, ce qui n’était pas le cas auparavant pour tous les pays de l’Union européenne. Le troisième objectif était de faire baisser les taux d’intérêt dans toute la zone euro afin de relancer le marché de l’immobilier, ce qui est chose faite aujourd’hui. Le dernier objectif était plus sociologique : à travers la création d’une monnaie unique, il y avait l’idée de construire une communauté européenne forte. Et c’est indéniable, l’euro a aidé à créer un sentiment d’appartenance européen.
On entend souvent dire que l’euro a fait baisser le pouvoir d’achat, qu’en est-il vraiment ?
N.B. : En tant qu’économiste, je dirais que c’est une fausse affirmation car lorsque l’on regarde la manière dont est mesuré le pouvoir d’achat, on s’aperçoit qu’on a une stabilité, voire un gain du pouvoir d’achat d’après les données d’Eurostat. Mais quand on regarde cela avec l’œil du citoyen, on remarque un peu l’inverse, notamment à l’époque où il fallait encore convertir les prix du franc à l’euro. Le système d’arrondi semblait alors défavorable aux consommateurs. Il y a aussi eu un sentiment de confusion sur les premières fiches de paie : plutôt que de gagner 10.000 francs, on gagnait 1.524 euros et certains ont alors pu avoir le sentiment de payer plus en gagnant moins.
L’euro a notamment résisté à la crise de 2008. Est-ce que cela en fait une monnaie solide ?
N.B. : C’est une monnaie solide dans le sens où l’euro existe toujours. En 2008, les institutions ont su réagir au moment où la crise des subprimes, qui est devenue la crise de la dette publique grecque, a éclaté. La BCE a réagi tardivement, mais a réagi quand même. Aujourd’hui, l’Eurosystème est doté de mécanismes de sauvegarde comme l’union bancaire, ce qui n’existait pas auparavant. L’euro a montré sa capacité de résilience et s’est en quelque sorte renforcée.
Quels sont les avantages pour dix-neuf pays de disposer d’une monnaie unique ?
N.B. : Il y a déjà un changement sociologique parce qu’on abandonne sa culture, sa monnaie et une partie de son histoire. On accepte aussi une perte de souveraineté puisque la monnaie devient gérée par la BCE qui prend ses décisions en se basant notamment sur les taux d’intérêt dans une recherche de l’intérêt global. L’avantage de n’avoir qu’une seule monnaie, c’est que les frais de conversion disparaissent : c’est donc plus facile d’acheter quand on voyage dans la zone euro et ça facilite les échanges. Tous les pays de la zone euro ont aussi bénéficié de taux d’intérêt en baisse, ce qui a permis de développer le marché de l’immobilier. Notons enfin que l’euro a permis, en parallèle des accords de Schengen, de favoriser les déplacements des hommes au sein de l’Union européenne.
Quel est le poids de l’euro face à une monnaie comme le dollar ?
N.B. : Ce qui donne le poids d’une monnaie par rapport aux autres, c’est sa stabilité et la confiance qu’on lui accorde. On mesure cela à la manière dont les accords internationaux sont libellés et on remarque que la plupart sont faits en dollars. De par son histoire, le dollar reste la monnaie hégémonique mais l’euro, qui réunit 340 millions d’Européens, est la deuxième monnaie de référence au niveau international.
L’euro peut-il être menacé par la dématérialisation de l’argent et le développement des cryptomonnaies ?
N.B. : Officiellement non car l’euro reste la seule monnaie qui est acceptée par la loi monétaire dans la zone euro. Le seul risque, c’est qu’un grand nombre de personnes transfèrent leur argent vers les cryptoactifs et que l’euro soit moins utilisé. Mais aujourd’hui, seulement 0,5 % de la masse monétaire prend la forme de cryptoactifs donc on en est assez loin. Les cryptomonnaies ne sont pas encore stables et ont besoin d’une monnaie étatique sur laquelle s’appuyer pour éviter la faillite. Malgré tout, l’Union européenne fait de la veille sur ces cryptomonnaies et réfléchit même à la création d’un euro numérique qui serait sous-jacent à ces cryptomonnaies.
L’euro, une histoire riche et ancienne
Il y a vingt ans, les Européens découvraient l’euro. Si l’euro a été mis en circulation en 2002, son histoire a commencé bien avant. Dès la fin des années 1960, l’ambition de construire une Union économique et monétaire est devenue un thème récurrent dans les débats sur l’Union européenne. Avec le rapport Delors de 1996, tout s’accélère. L’ancien ministre et président de la Commission européenne français propose un plan en trois étapes pour préparer l’Union économique et monétaire et la zone euro, sur une période allant de 1990 à 1999. La première étape consiste en l’achèvement du marché unique par l’abolition des restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres. La deuxième étape prévoit la création en 1998 d’un organisme capable de prendre des décisions collectives : la Banque centrale européenne (BCE). L’étape finale voit la création d’une monnaie unique remplaçant les monnaies nationales ainsi que le transfert de compétences aux institutions européennes.
L’euro en vue d’ici 2024 pour la Bulgarie, la Croatie et la Roumanie
Après une décennie de préparation, l’euro est lancé le 1er janvier 1999. Pendant les trois premières années, il n’est utilisé qu’à des fins comptables et pour réaliser des paiements électroniques. Les pièces et les billets ne sont mis en circulation qu’à partir du 1er janvier 2002. Les onze premiers pays à adopter l’euro sont la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Finlande, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal. Plusieurs vagues d’adhésions se succèdent ensuite : la Grèce en 2001, la Slovénie en 2007, Chypre et Malte en 2008, la Slovaquie en 2009, l’Estonie en 2011, la Lettonie en 2014 et enfin la Lituanie en 2015.
Si le rythme a quelque peu ralenti ces dernières années, de nouvelles adhésions devraient intervenir dans les prochaines années. D’après le calendrier prévisionnel, la Croatie, la Bulgarie mais aussi sans doute la Roumanie seront les prochains pays à adopter l’euro d’ici 2024.
Pièces et billets : un design qui fait sens
Dessinés par l’Allemand Reinhold Gerstetter, les billets que nous utilisons tous les jours reprennent des graphismes très codifiés. Chaque billet de l’édition «Europe» représente un style architectural propre à une époque : le style classique pour les billets de 5 €, roman pour ceux de 10 €, gothique pour les 20 € et Renaissance pour ceux de 50 €. Plus compliqués à trouver, notamment en France, les billets de 100 € rendent hommage au style baroque quand le billet de 200 € fait référence au style industriel du XIXe siècle. Le billet de 500 € a lui été supprimé en 2019 car il était très utilisé pour le commerce illégal.
Les pièces de monnaie aux couleurs nationales
Dessinées par Luc Luycx, de la Monnaie royale de Belgique, les pièces de 10, 20 et 50 centimes et celles de 1 et 2 € affichent une carte de l’Union européenne sur l’avers (face avant). Sur les pièces de 1, 2 et 5 centimes est représenté un globe marquant la position de l’Europe par rapport aux autres continents. Le côté revers (face arrière) des pièces symbolise, lui, le pays d’émission. Chaque État membre est donc libre d’y faire figurer des personnalités ou des emblèmes nationaux. La France a choisi le symbole républicain de Marianne pour ses pièces de 1, 2 et 5 centimes. Les pièces de 10, 20 et 50 centimes sont frappées de la Semeuse, d’Oscar Roty, qui symbolise le rayonnement des valeurs françaises dans le monde. Les pièces de 1 et de 2 € reprennent enfin un arbre stylisé représentant l’Hexagone. Le 1er janvier 2022, pour les 20 ans de l’euro et le début de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, une nouvelle pièce de 2 € a été mise en circulation, arborant un chêne et un olivier symboles de la force, de la sagesse et de la nature, le tout encadré d’un hexagone et des douze étoiles du drapeau européen.
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