L'urgence d'un «sujet extrêmement envahissant»
Une mission d'information parlementaire consacrée aux plantes exotiques envahissantes constate le manque de moyens et de résultats. Les députés veulent multiplier par dix les crédits dédiés.
Elles se reproduisent en nombre, ont une capacité de croissance et un pouvoir couvrant élevés, s'adaptent à toutes conditions climatiques, se régénèrent malgré les coupes, et peuvent même être allopathique, en empêchant la pousse de ses concurrentes par l'émission de substances chimiques. Ce ne sont pas des monstres, mais presque. Les plantes invasives, désormais désignées comme plantes exotiques envahissantes (PEE), sont un fléau national. Jusqu'à 10 % des 1 379 espèces végétales exotiques recensées en France sont considérées comme telles. Et depuis 1979, le rythme d'introduction en métropole va bon train, avec six espèces envahissantes tous les dix ans.
Leur dissémination et leur prolifération posent aujourd'hui des problèmes environnementaux, financiers et sanitaires. D'un point de vue écosystémique, ces plantes seraient responsables de 40 % des extinctions d'espèces, sur ces quatre cents dernières années. Cette perte de la biodiversité altère profondément le fonctionnement des écosystèmes qu'elles envahissent et entraîne des conséquences coûteuses, en termes de production agricole mais aussi de tourisme. En France, le coût annuel des invasions biologiques serait évalué à 38 millions d'euros (contre 26,8 milliards à l'échelle mondiale).
Quand l'éradication n'est plus possible...
Le sujet est pris au sérieux par l'État. Nadia Essayan (Modem, Cher) et Patrice Perrot (LREM, Nièvre) présentaient d'ailleurs, ce 21 juillet, les conclusions de la mission d'information sur la prolifération des plantes invasives. Ambroisie, renouée du Japon, ou jussie : «la suppression de ces plantes n'est plus à l'ordre du jour, il s'agit de les contenir», a regretté Nadia Essayan. Leur stratégie : financer, coordonner et sensibiliser.
Les rapporteurs de la mission suggèrent de renforcer les moyens de contrôle des douanes ainsi que le système de détection et de surveillance, ou encore de déployer plus largement le label «végétal local». Autre urgence : «améliorer la gouvernance», en confiant aux préfectures la coordination des actions menées par les Dreal, l'OFB et les communautés de communes. Les députés insistent cependant : «Il n'est pas question de réintroduire les phytos» pour les collectivités, comme le défend Patrice Perrot, y opposant des expériences de gestion alternative par l'écopâturage, ou la lutte biologique dans certaines collectivités. Des essais seraient même en cours en Savoie pour valoriser certains composés de la renouée du Japon en cosmétique.
300 ME nécessaires
Ces améliorations des méthodes d'alerte et de gestion nécessiteront au minimum selon les députés de multiplier par dix les crédits publics actuellement dédiés à la «connaissance et à la préservation de la biodiversité» pour atteindre 300 ME. Les rapporteurs soulignent que la secrétaire d'État à la Biodiversité Bérangère Abba, considérant les invasives comme «l'un des problèmes majeurs pour la biodiversité», se serait montrée plutôt favorable à cette augmentation. «Reste à voir comment tout cela se traduira dans le projet de loi de finances», observe Nadia Es- sayan. À la demande du gouvernement, la mission parlementaire aurait d'ailleurs été écourtée pour fournir à temps ses conclusions en vue du congrès mondial de la biodiversité organisé par l'UICN prévu à Marseille à l'automne.
La région a ses fléaux
En Hauts-de-France, quarante espèces de plantes sont avérées envahissantes, une quarantaine d'autres sont «potentiellement» envahissantes, et d'autres sont émergentes. Un guide paru en janvier 2020 les recense.
Avez-vous entendu parler de l'ambroisie à feuilles d'armoise, de l'euphorbe de Sarato, de la berce du Caucase, des renouées asiatiques ou encore des asters américains ? Si ce n'est pas le cas, vous les avez déjà sûrement vues, sans peut-être vous rendre compte de leur dangerosité pour le milieu. Ces plantes herbacées font partie de la quarantaine d'espèces ou groupes d'espèces recensées dans le guide des plantes exotiques envahissantes (PEE) des Hauts-de-France 2020 (après 2011 et 2015). «Nous devons mettre à jour ce guide, avec l'arrivée régulière de nouvelles espèces et la prolifération plus intense de certaines», note Benoît Delangue, du Conservatoire botanique national de Bailleul, co-auteur du guide.
La renouée du Japon originaire des régions d'Asie orientale, par exemple, est largement répandue en Hauts-de-France. «On estime que leur introduction en Europe a eu lieu au cours du XIXe siècle pour leurs propriétés esthétiques et mellifères. C'est à partir du XXe siècle que l'on constate leur expansion.» La plante vivace forme des fourrés denses pouvant atteindre 3 m ou 4 m. «Cette monopolisation de l'espace et des ressources est de plus favorisée par la production de substances toxiques au niveau des racines qui provoquent la nécrose des racines des autres espèces. Sa présence est souvent une conséquence directe de la perturbation du milieu liée aux activités humaines.» Les retournements du sol liés aux activités agricoles en font partie.
Autre exemple : celui de l'ambroisie à feuilles d'armoise. «Son pollen hautement allergisant fait d'elle l'une des plantes exotiques envahissantes les plus médiatisées en France ces dernières années.» En 2017, en Auvergne Rhône-Alpes, le coût global des soins apportés aux 600 000 personnes allergiques est estimé à 40,6 ME. Dans les champs où elle est fortement présente, la plante concurrence les espèces cultivées et peut avoir un fort impact sur les rendements. «Même si elle est encore peu présente dans le nord-ouest de la France, l'Ambroisie à feuilles d'Armoise semble s'y installer ces dernières années. Sa première observation dans les Hauts-de-France date de 1991.» Elle a été observée en 2002 à Loos près de Lille, mais semble particulièrement présente dans le sud de l'Aisne, notamment dans le Tardenois, la Champagne picarde et, plus ponctuellement, dans le département de l'Oise.
Une stratégie régionale
Pour lutter contre ces PEE, une stratégie régionale est mise en place. Elle est notamment définie wpar le Groupe d'expertise scientifique et technique (GESTe) sur les espèces exotiques envahissantes et s'articule en cinq axes : prévention de l'introduction et de la propagation, interventions de gestion des espèces et restauration des écosystèmes, amélioration et mutualisation des connaissances, communication, mobilisation et formation, gouvernance.
Une faune aussi envahissante
Il n'y a pas que des plantes exotiques qui ont décidé d'établir domicile en Hauts-de-France. La faune compte aussi ses envahisseurs. Quarante-deux espèces sont ainsi recensées. Par exemple, la pyrale du buis, introduite accidentellement en Europe dans les années 2000 via des végétaux importés d'Asie. La larve de ce papillon nocturne provoque de lourds dégâts dans les populations de buis. Le tamis de Sibérie, mignon écureuil asiatique vendu dans les animaleries à partir des années 1960, s'est adapté en milieu sauvage. L'espèce se régale des champs de céréales, et est un réservoir des bactéries responsables de la borréliose de Lyme. La Bernache du Canada, elle, a été introduite en Europe du Nord dès le XVIe siècle à des fins cynégétiques et comme oiseau d'ornement. L'oie, qui s'est reproduite en nombre, est particulièrement destructrice : piétinement de nids et agression des espèces autochtones, pollution de l'eau à cause des déjections, érosion des berges, destruction des fragiles roselières, dommages aux cultures agricoles...
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