Les agriculteurs rémunérés pour services rendus à l’environnement ?
Dans sa proposition de réforme de la Pac, la Commission européenne proposait, fin 2017, de remplacer les mesures environnementales par des PSE (paiements pour services environnementaux). Ce chantier est plus ou moins avancé selon les services.
Prendre le risque de la bascule. C’est la préconisation des chercheurs spécialistes des mesures agri-environnementales. À l’occasion de la réforme de la Pac, l’Union européenne doit, pour eux, passer d’une logique de moyens, incarnée par les Maec, le verdissement et la conditionnalité, à une logique de résultats, comme avec les paiements pour services environnementaux (PSE) lancés en 2019 par la France.
«Ce serait difficile de justifier des PSE sans indicateurs de résultat, d’autant plus que les Maec ont été très critiquées ces dernières années», résume Harold Levrel économiste à AgroParisTech, et membre de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité.
Mais dispose-t-on des connaissances et des moyens techniques suffisants pour faire cette bascule ? Les obstacles sont de plusieurs ordres : connaissances des interactions entre agriculture et environnement, contrôlabilité des indicateurs, efficacité des mesures choisies. Selon que l’on s’intéresse à la réduction des émissions de gaz à effets de serre (GES) ou à la protection de l’eau, en passant par la préservation de la biodiversité, les chantiers sont plus ou moins avancés. Mais cela ne doit pas refroidir les pouvoirs publics, assurent les chercheurs interrogés.
Émissions de GES : le cas modèle
Phénomène plutôt bien connu, la réduction des émissions de GES est le service environnemental le plus proche de la logique de résultat. Souvent, la principale limite à la mise en place de services environnementaux est le «coût de transaction», explique Harold Levrel, «c’est-à-dire le coût nécessaire pour produire l’information qui déclenche le paiement». L’émission de GES fait partie des phénomènes pour lesquels les chercheurs ont établi des indicateurs dits «intermédiaires», basés sur des modèles scientifiques.
Cet indicateur a été produit dans le cadre de la recherche Eco-méthane, menée par l’association Bleu blanc-coeur. «Grâce à la recherche fondamentale, le profil des acides gras du lait a pu être relié aux émissions de méthane», détaille Pierre Dupraz, directeur de recherche au sein d’Inrae, et coauteur des travaux ministériels sur les PSE. Chaque mois, la composition du lait des producteurs sous contrat est analysée par infra-rouge. Les producteurs, en augmentant les omega-3 dans la ration grâce au pâturage ou à des compléments, peuvent bénéficier de primes. En 2019, les 617 exploitants engagés dans cette démarche auraient vu leurs émissions diminuer de 11,1 % en moyenne, soit environ 21,5 TCO2 eq évitées dans chaque ferme. Avec un coût de transaction limitée, puisque lié au dispositif existant du contrôle laitier.
Les émissions de GES agricoles font partie des indicateurs environnementaux les mieux connus. «Elles peuvent être estimées indirectement grâce à différents coefficients, souligne Sylvain Pellerin, directeur de recherche au sein d’Inrae, et pilote de l’étude 4p1000. Cette table de correspondance est utilisée par l’outil Cap2Er, qui permet aujourd’hui aux 391 éleveurs engagés dans la démarche Carbon Agri de valoriser leurs réductions d’émissions en crédit carbone, à des coûts de transaction modestes.»
«Les émissions totales du secteur agricoles européen, de l’ordre de 500 MTe CO2, pourraient ainsi représenter en réalité plus du double en fonction des hypothèses de calcul», complète Pierre Dupraz.
Stockage de carbone : l’écueil de la lenteur
Concernant le stockage de carbone dans le sol, c’est l’étude 4 pour 1 000, menée par Sylvain Pellerin, qui fait désormais référence. Publiée à la demande de l’Ademe et du ministère de l’Agriculture en juin 2018, elle avait notamment estimé un potentiel de stockage de 5 millions de tonnes de CO2 par an en grandes cultures, grâce à l’extension des cultures intermédiaires et à l’agroforesterie inter-parcellaire. Sur ces pratiques, précise Sylvain Pellerin, «on a un consensus scientifique, et on est assez sûrs du volume de carbone additionnel». Des critères d’autant plus intéressants qu’ils sont désormais «observables non seulement dans les parcelles, mais également par télédétection», comme le remarque Sylvain Pellerin. Le coût de ce stockage pour ces pratiques a même été chiffré : de 50 E/CO2 stocké pour les cultures intermédiaires, à 80 E/t de CO2 stockée en agroforesterie.
Au niveau de l’exploitation, la méthode Cap2Er se base, de son côté, sur des références établies en 2013 dans un article publié par Jean-Baptiste Dollé. Dans l’outil de l’Institut de l’élevage, le stockage est estimé sur la base de coefficients fixes à l’échelle nationale : 125 kg de carbone par an pour 100 m linéaires de haie, ou encore 570 kg de carbone par an par hectare de prairie permanente. Or, comme le souligne Pierre Dupraz, «la séquestration de carbone présente une grande hétérogénéité, et va dépendre de l’altitude, du climat et surtout de la profondeur du sol». Pour correspondre plus précisément à la capacité réelle de stockage, les chiffres de l’Idele pourraient faire l’objet d’une adaptation régionale.
Même ces références plus précises ne pourront cependant permettre de s’affranchir de la limite majeure à une évaluation des variations de stocks de carbone : la durée nécessaire pour que toutes ces mesures fassent effet. «Avant de voir une différence dans la concentration en carbone, et qu’elle soit significative, il faut au moins cinq ou dix ans», détaille Sylvain Pellerin. Pour le carbone, le problème n’est donc pas tant celui de l’état de la science, ni le coût de la mesure, mais bien le phénomène en tant que tel.
Eau : impossible de tout contrôler
«Historiquement, beaucoup de paiements pour services environnementaux ont émergé de la part d’entreprises privées ou de communes sur la qualité de l’eau», souligne Lise Duval, consultante, docteur en économie et coauteur des méthodes ministérielles sur le PSE aux côtés de Pierre Dupraz. Comme elle le rappelle, New-York, Munich, ou Lons-le-Saunier expérimentent depuis le début des années 1990 en rémunérant les agriculteurs pour éviter des traitements de dépollution coûteux. Faudrait-il en conclure que la fourniture d’une eau de qualité est un service environnemental mieux connu que les autres ? Loin de là, explique l’experte.
«Sur le carbone, on arrive bien à lier les pratiques au résultat, mais sur l’eau c’est resté imparfait. Personne n’est allé jusqu’à retirer les aides en cas de pollutions détectées», analyse Lise Duval. La principale limite, dans ce cas, se trouve dans les interactions entre les exploitations. Si les projets se concentrent sur les zones de captages prioritaires, difficiles de garantir que les ruissellements d’azote ou de phytos en provenance des parcelles adjacentes ne traversent pas les champs soumis à un paiement. Ni que des molécules persistantes et interdites depuis plusieurs années comme le lindane ne ressurgiront pas des sols. Rares sont donc les situations dans lesquelles une amélioration de la qualité de l’eau en bas de la parcelle peut être observée rapidement.
Le service rémunéré en bout de chaîne est en revanche clair : une eau de qualité. Et c’est sans doute parce que cet indicateur final est bien identifié que, dès 1991, la mairie de Lons-le-Saunier n’a pas hésité à rémunérer à hauteur de 371 E/ha les agriculteurs pour réduire les engrais de 20 % et arrêter les épandages d’atrazine sur les 70 ha de son captage. Plus récemment, Eau de Paris a annoncé en février 2019 qu’une partie de la rémunération de son PSE sera basée sur l’atteinte d’un objectif de concentration en nitrates dans la nappe de 37,5 mg/l, qui donnera lieu à un bonus collectif s’il est atteint.
Biodiversité : miser sur les espèces clés
Côté biodiversité, «on a fait le choix de prendre des espèces faciles à observer, souvent des espèces prédatrices au bout des chaînes trophiques», explique Xavier Reboud, directeur de recherche à l’Inrae. Ces espèces dites «clé de voûte» ou «indicatrices», comme les chauves-souris, les papillons, les oiseaux, ne sont pas présents si leurs proies sont trop rares, et les dénombrant.
Le projet «Landwirtschaft für Artenvielfalt» (cultiver pour la diversité), lancé en Allemagne en 2012 par les magasins Odeka, une association de producteur et le WWF, permet à soixante-dix huit agriculteurs dans trois régions d’être accompagnés pour s’engager à protéger des espèces remarquables comme l’alouette, le tarier des bois, ou certaines plantes sauvages. Sous réserve d’adapter leurs pratiques, les agriculteurs peuvent alors bénéficier de premium sur les produits vendus.
Les démarches de type de comptage sont aujourd’hui facilitées par des appareils, comme la bien-nommée Bat box, qui analyse les ultrasons des chauves-souris. «On n’aurait aucun problème à indiquer à l’agriculteur combien de chauve-souris sont présentes sur son territoire en temps réel, et à lui retourner cette analyse sur son smartphone», se réjouit Xavier Reboud. Plus simplement, les cartes de prédation sont un autre outil d’analyse à moindre coût de la présence d’auxiliaires.
Pour qu’un changement de pratique soit directement relié à la présence de ces espèces, un enjeu demeure : «Celui des masses critiques», décrit Xavier Reboud. Pour des espèces qui se déplacent parfois sur plusieurs centaines de kilomètre, les évolutions techniques doivent être effectives dans de nombreuses fermes, et sur des surfaces continues.
C’est pour cela que l’OFB et la Chambre d’agriculture d’Alsace ont ajouté depuis 2014 un indicateur collectif à leur projet en faveur de la conservation du grand hamster. Pour les 2 700 hectares engagés en 2019 dans cette MAE, les agriculteurs doivent garantir collectivement un taux de 26 % de surface favorable au grand hamster, dont une couverture en céréales d’hiver et de la luzerne, avec des paiements oscillant entre 450 et 500 E/ha. Un bonus individuel a également été mis en place à hauteur de 256 E par parcelle présentant un terrier.
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