L'Oise Agricole 30 juin 2022 a 08h00 | Par A.G.

Pesticides : vers des objectifs plus contraignants pour les États membres

Malgré les pressions de toute part, la Commission européenne a présenté le 22 juin sa proposition de transformer la directive européenne sur l’utilisation durable des pesticides en un règlement plus contraignant qui obligerait les États membres à se fixer des objectifs de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires en vue d’atteindre une baisse de 50 % au niveau de l’UE en 2030.

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L’interdiction d’utilisation de produits phytopharmaceutiques
dans les zones sensibles et à moins de 3 m de celles-ci.
L’interdiction d’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les zones sensibles et à moins de 3 m de celles-ci. - © Kuhn

Après plusieurs reports, liés entre autres à la guerre en Ukraine, la Commission européenne a finalement présenté le 22 juin sa proposition de règlement sur l’utilisation durable des pesticides qui doit permettre d’atteindre l’objectif de réduction de 50 % d’ici 2030 de leur utilisation et des risques qui y sont liés (par rapport à la moyenne 2015-2017) conformément à la stratégie De la ferme à la table. Première nouveauté : la révision proposée transforme l’actuelle directive (SUD) en un règlement (SUR) rendant les obligations bien plus contraignantes pour les États membres. Avec ses objectifs chiffrés obligatoires et son interdiction d’utilisation des pesticides dans les zones sensibles (dont Natura 2000), sur le papier, le texte sur la table est resté très ambitieux malgré le retard pris par sa publication (signe en général d’une dissolution des ambitions initiales). Mais c’est dans les détails (dérogations, flexibilités) et surtout à l’issue d’un processus de discussions dans les institutions européennes qui promet bien des débats, que sa réelle portée pourra être mesurée que ce soit en termes de contraintes ou de mesure d’accompagnement.

Des objectifs pondérés

Le règlement prévoit que les États membres fixent, dans des plans d’action nationaux, leurs propres objectifs contraignants. Mais ces objectifs pourront s’écarter du seuil de - 50 % (à la hausse comme à la baisse) dans les limites d’une formule qui permet aux États membres de tenir compte des progrès historiques réalisés avec les efforts enregistrés depuis 2011, mais aussi de l’intensité d’utilisation. Cette notion d’intensité a été ajoutée au dernier moment pour répondre aux inquiétudes de certains États membres d’Europe centrale et orientale notamment. Mais pour maintenir un niveau d’ambition suffisant, un plancher minimum de 35 % est fixé.

Dans les grandes lignes : une baisse de 35 % peut être autorisée lorsque l’intensité d’utilisation pondérée du risque des produits phytopharmaceutiques d’un État membre est inférieure à 70 % de la moyenne de l’UE. Un objectif de 50 % devrait être fixé lorsque l’intensité de l’utilisation au cours se situe entre 70 % et 140 % de la moyenne, et de 65 % si l’intensité est supérieure à 140 %.

À titre d’exemple, le commissaire européen à l’Agriculture donnait le 21 juin sur Twitter des chiffres sur l’utilisation de pesticides en kilo par hectare (kg/ha) en 2019 : 8,9 kg/ha aux Pays-Bas, 4,5 kg/ha en France (cinquième position), 3,8 kg/ha en Allemagne, 3,7 kg/ha en Espagne et en queue de peloton 0,6 kg/ha en Roumanie.

Mais à cette intensité s’ajoute également un paramètre prenant compte de la réduction de l’utilisation entre la moyenne des années 2011, 2012 et 2013 et celle des années 2015, 2016 et 2017. Enfin, une pondération est appliquée en fonction des catégories de substances utilisées. L’UE les classe en quatre groupes : les substances actives à faible risque, les substances actives les plus dangereuses, toutes les substances actives approuvées et, enfin, les substances actives qui ne sont pas approuvées. Ces pondérations visent à encourager l’utilisation de produits contenant des substances actives à faible risque et à décourager l’utilisation de produits jugés les plus dangereux en particulier, les substances non approuvées mais utilisées via des autorisations d’urgence au niveau national.

Natura 2000 et Pac

Deuxième grande proposition du texte : l’interdiction d’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les zones sensibles (Natura 2000 notamment) et à moins de 3 m de celles-ci. Mais le règlement autorise le recours «au cas par cas» à des dérogations. De même, l’application par voie aérienne devrait être interdite «avec des dérogations limitées». «L’application de produits phytopharmaceutiques à partir d’un aéronef (y compris l’application par des avions, des hélicoptères et des drones), est généralement moins précise que les autres moyens d’application et peut donc potentiellement avoir des effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement», justifie le texte.

«Les pesticides doivent désormais être utilisés en dernier recours lorsque tous les autres moyens de lutte ont été épuisés.» C’est le nouveau mantra de la commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakides. Pour y parvenir, la Commission européenne veut amplifier le déploiement des méthodes de lutte intégrée contre les ravageurs et table sur le développement de l’agriculture de précision.

Afin d’accompagner les transitions, une dérogation temporaire (de cinq ans) va être adoptée au titre de la Pac pour permettre aux États membres de soutenir (dans le cadre des écorégimes du 1er pilier, des mesures agroenvironnementales du 2e pilier et des aides aux investissements) la mise en oeuvre des méthodes de lutte intégrée. Faisant partie des exigences de base de la Pac, elles ne peuvent en effet pas actuellement bénéficier d’aide supplémentaire.

Des solutions technologiques

Suffisant pour rassurer le secteur agricole ? La Commission admet, dans l’étude d’impact qui accompagne sa proposition, que ces dispositions pourraient se traduire par une hausse des coûts de production en raison notamment des exigences de déclaration plus strictes et plus détaillées et de la baisse attendue des rendements en raison d’une moindre utilisation des pesticides. «Les consommateurs de l’UE pourraient voir les prix des denrées alimentaires augmenter, ce qui pourrait conduire à une hausse des importations des pays non-membres de l’UE dont la réglementation sur l’utilisation des pesticides est moins stricte», reconnaît-elle aussi. Mais elle compte sur le développement de solutions techniques, citant les nouvelles techniques génomiques de sélection végétales et l’agriculture de précision, pour éviter tout problème de compétitivité. «Il est nécessaire de prévoir un cadre législatif qui incite au développement de l’agriculture de précision», souligne le règlement. Et, comme depuis des années, Bruxelles promet l’accélération de l’autorisation des molécules à faible risque. Et de préciser qu’une vingtaine de ces molécules ont été déjà autorisées depuis 2019.

Suivi renforcé mais décalé

Pour mesurer les progrès réalisés, il va falloir renforcer le système européen de suivi de l’utilisation des pesticides et de l’évaluation des risques qui vont avec. L’UE est déjà en train de réformer son système de collectes de données. Chaque État membre devra élaborer et publier sur un site Internet un plan d’action national contenant diverses informations, dont les objectifs nationaux de réduction à l’horizon 2030. La Commission européenne se réserve le droit de demander aux États membres de relever leur niveau d’ambition s’il n’est pas jugé suffisant. En dernier recours, elle pourrait, en théorie, utiliser la procédure d’infraction de l’UE. Sur une base annuelle, les États membres devront présenter des rapports sur les progrès et la mise en oeuvre de ces plans (incluant des données quantitatives relatives à l’utilisation, la formation des professionnels, le matériel d’application et la lutte intégrée contre les ravageurs). La Commission européenne analysera ces progrès tous les deux ans. Les données indiquant si les objectifs de 2030 en matière de réduction de l’utilisation et des risques liés aux pesticides ont été atteints ne seront donc probablement dis- ponibles qu’en 2032.

Ce suivi se fera principalement par le biais des indicateurs de risque harmonisés adopté en 2019. Des indicateurs décriés par les ONG qui estiment qu’ils ne prennent pas suffisamment en compte la dangerosité des molécules. Certains pays, dont la France, comptent d’ailleurs bien ouvrir le débat sur ces indicateurs en vue d’en trouver de «plus robustes».

Place désormais à des discussions au Parlement européen et au Conseil qui promettent d’être compliquées, que ce soit sur la formule permettant de fixer les objectifs nationaux, les dérogations possibles ou les indicateurs de risque. La République tchèque qui prendra la présidence du Conseil de l’UE le 1er juillet a déjà indiqué qu’elle ferait du dossier l’une de ses priorités. Mais rien ne dit qu’elle parviendra, fin 2022, à une position des États membres. Au Parlement européen, les débats entre commission de l’Environnement (qui devrait avoir la charge du dossier) et commission de l’Agriculture devraient, elles aussi, être âpres. À l’échelle du temps que prendra ce processus – normal à l’échelle européenne – de décision, le retard de quelques mois pris par Bruxelles pour présenter sa proposition sera vite oublié.

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