L'Oise Agricole 16 septembre 2022 a 16h00 | Par Agrapresse

Sécheresse 2022: ravages et mauvais présages

Prairies, maïs, pommes de terre. De premières estimations de récolte sont tombées cette semaine, qui intègrent les folles journées d’août, entre canicules, sécheresse et orages, selon les territoires. Elles donnent une première mesure de l’ampleur des dégâts.

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- © Elisabeth Hersand

Bienvenus dans le futur ! C’est le message envoyé par Météo France, qui dressait le 30 août un premier bilan de cet été tout à la fois exceptionnel au regard du passé, et normal selon les prévisions des prochaines décennies. À 2,3°C au-dessus des normales de la période 1991-2020, l’été 2022 s’installe à la deuxième place des étés (juin-juillet-août en météorologie) les plus chauds en France métropolitaine depuis le début des mesures en 1900. Il n’est devancé que par l’été 2003 (2,7°C au-dessus des normales), mais l’année de la grande canicule est souvent considérée comme un «ovni météo».

L’été 2022 est «une préfiguration» de l’avenir, a souligné Samuel Morin, directeur du Centre national de recherches météorologiques de Météo France, en présentant ce bilan. Vers 2050, «on s’attend à ce qu’à peu près la moitié des étés soient d’un niveau de températures comparable, voire supérieur». Le premier épisode de canicule a sévi dès juin, le plus précoce jamais vu dans le pays, suivi de deux autres de quatorze jours chacun en juillet et août. Une durée totale de trente-trois jours, du jamais vu. Résultat, les records sont tombés à la pelle, avec 87 températures maximales dépassées localement. Mais aussi 86 records de températures minimales, avec de nombreuses «nuits tropicales».

Au 30 août, 93 départements français étaient concernés par des restrictions d’eau (79 en état de crise, 12 en alerte renforcée et 2 en alerte), selon le ministère de la Transition écologique. En Europe, 64 % du territoire était encore en état d’alerte ou d’avertissement vis-à-vis de la sécheresse, il y a dix jours, selon l’évaluation le 22 août du centre commun de recherche de la Commission européenne se basant sur les données du programme Copernicus. Il s’agirait de la pire sécheresse qu’ait connue l’Europe depuis au moins 500 ans. Résultat, les cultures de printemps et les prairies ont beaucoup souffert. Le ministère de l’Agriculture et le cabinet Agritel ont actualisé leurs données fin août, donnant un premier aperçu des dégâts. Manquent encore les résultats de la filière betterave, qui restent très incertains. «Il y aura indéniablement un impact sécheresse sur les rendements», indique-t-on à la CGB (betteraviers), en se gardant toutefois de les chiffrer pour l’instant. «Nous constatons une très grande hétérogénéité des prévisions provisoires de rendements d’une région à l’autre et même à l’intérieur de plusieurs régions selon la pluviométrie estivale.»

Pomme de terre : des pertes de 200 M€

En pomme de terre, comme en betterave, tous les espoirs étaient permis il y a encore quelques semaines. Mais l’absence d’eau a fait plongé les rendements sous de lointaines références. Les rendements de la pomme de terre sont prévus en baisse d’«au moins 20 % par rapport à la moyenne des vingt dernières années», soit une perte de production de 1,5 Mt, d’après un communiqué. Cette «dégradation historique» pourrait même atteindre au minimum «- 30 % pour les pommes de terre non irriguées, avec des extrêmes déjà relevés à -50 %».

Face à une récolte qui s’annonce comme «la plus mauvaise depuis 2000», l’UNPT (producteurs, FNSEA) «appelle à la réaction immédiate des acteurs économiques et

des pouvoirs publics», a-t-elle déclaré le 26 août. Les producteurs, «et particulièrement ceux livrant à l’industrie et aux féculeries», s’attendent à des pertes financières supérieures à 200 M€, indique l’UNPT. Le syndicat appelle à «la revalorisation des prix payés aux producteurs et une meilleure répartition de la valeur ajoutée notamment avec la grande distribution, à l’assouplissement contractuel des volumes engagés non livrés par les producteurs et à l’amorce rapide d’une réflexion sur la mise en place d’un dispositif d’aide d’État exceptionnel».

Maïs : au plus bas depuis plus de vingt ans

Autre culture malmenée, le maïs. La production française s’annonce au plus bas sur plus de vingt ans, a indiqué le 30 août la société de conseil Agritel, pointant les effets de la sécheresse et de fortes températures. Agritel prévoit une récolte à 10,8 Mt, contre 12,7 Mt estimé au 1er août par le service statistique du ministère de l’Agriculture (Agreste). «L’ensemble des zones» de production décrochent en rendement, a précisé en conférence de presse l’analyste en chef Nathan Cordier, le maïs irrigué ayant subi des chaleurs excessives en période de floraison. Agritel table sur une moyenne nationale de 78 q/ha, au plus bas depuis la sécheresse de 2003. S’ajoute une baisse des surfaces, à 1,46 Mha (contre 1,55 Mha l’an dernier) d’après Agreste, le maïs étant «de plus en plus délaissé par les producteurs» à cause d’aléas climatiques récurrents, de problèmes d’irrigation et de coûts de production en hausse, selon Nathan Cordier.

Concernant le tournesol, Agritel estime la récolte à 1,75 Mt (contre 1,92 Mt prévu au 1er août par Agreste), avec un rendement compris entre 20 et 21 q/ha (à comparer aux 27,4 q/ha de l’an dernier). Cette chute est atténuée par une forte hausse des surfaces, d’environ 140 000 ha sur un an.

 

Prairies : près d’un tiers de moins que la normale

Dans les pâtures également, le sec et le chaud ont fait des ravages. Au 20 août, la production cumulée des prairies permanentes est inférieure de 31 % à la normale (période de référence 1989-2018), d’après la dernière note de conjoncture d’Agreste, publiée le 30 août. «C’est, à cette période, le rendement le plus faible depuis 2003», souligne le service du ministère de l’Agriculture. Les régions fourragères situées aux extrémités nord et sud-est du pays sont les plus touchées. Ce sont celles qui connaissent le déficit hydrique le plus important depuis le début de l’année.

«En cumulé, la pousse de l’herbe atteint 40 % du niveau normalement atteint en cette période de l’année en Paca et est proche de 60 % en Occitanie, dans les Hauts-de-France et le Grand-Est», commentent les auteurs de la note. Dans les autres régions, elle varie entre 66 et 78 %». Le déficit de pousse dans les prairies est la «conséquence directe» des fortes chaleurs et de la sécheresse qui sévissent depuis la fin juin. Pour compenser les pertes de production «colossales» liées à la sécheresse, les éleveurs de ruminants en ont appelé, le 25 août, à l’État, estimant avoir besoin de «2 à 4 milliards d’euros», dans un communiqué commun des associations spécialisées d’éleveurs de ruminants de la FNSEA. La FNB (éleveurs de bovins viande), la Fnec (caprins), FNO (ovins) et FNPL (bovins lait) réclament «un soutien de l’État».

Face à la sécheresse, l’Inao accorde des dérogations à deux AOP

Deux demandes de dérogation temporaire déposées par des AOP laitières du Sud-Est – l’une des régions les plus touchées par la sécheresse – ont été approuvées, le 31 août, a appris Agra Presse auprès de l’Inao (institut national de l’origine et de la qualité) qui a la charge d’évaluer les dossiers. Elles ont été déposées par l’AOP Banon et l’AOP Bleu du Vercors-Sassenage. Un arrêté sera pris prochainement. «Les discussions de ce matin ont porté sur les types de fourrages autorisés à l’automne. Ce serait les fourrages de la même zone, mais peut-être pas sous la même forme», explique le président du Cnaol, Hubert Dubien. Le délégué général de l’organisation représentative des 51 AOP laitières, Sébastien Breton, ajoute que d’autres demandes pourraient suivre : «La moitié des appellations d’origine y réfléchissent.» La sécheresse rend difficile pour les producteurs de remplir les critères des cahiers des charges. Le déficit de la pousse de l’herbe (- 31 % en moyenne sur le territoire national selon Agreste) soulève la question du temps de pâturage, mais aussi de la possibilité d’acheter du fourrage provenant de l’extérieur de la zone de production de l’AOP ou encore du taux de matières sèches dans les fourrages. «Ce sont des modifications à la marge qui touchent très peu de points des cahiers des charges, insiste Hubert Dubien. Les opérateurs font tout pour les éviter».

En vin aussi, des adaptations ont été nécessaires. Deux arrêtés du 10 août concernant les AOC «Beaumes de Venise» et «Muscat de Beaumes de Venise» prévoient «à titre exceptionnel et compte tenu de la situation liée aux suites de la crise Covid-19 conjuguée aux mauvaises conditions météorologique» que la disposition relative à la récolte manuelle des raisins ne s’applique pas pour la récolte 2022. Contactée, la Cnaoc (producteurs) rappelle qu’il ne s’agit pas d’une première pour cette appellation. Aucune autre dérogation n’est prévue en vin, selon elle.

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