L'Oise Agricole 17 juillet 2025 a 09h00 | Par A.P avec AgraPresse

Un nouveau cadre qui inquiète le monde agricole

Le 16 juillet, Bruxelles a levé le voile sur la future Pac : un fonds unique, plus de marge pour les États, moins de garde-fous communs. Derrière cette «simplification», agriculteurs et élus redoutent une renationalisation qui fragiliserait soixante ans de politique agricole commune.

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Le budget de la Pac (même s'il sera difficile à comparer avec le précédent, compte tenu de nombreuses flexibilités introduites) devrait enregistrer une nouvelle baisse.
Le budget de la Pac (même s'il sera difficile à comparer avec le précédent, compte tenu de nombreuses flexibilités introduites) devrait enregistrer une nouvelle baisse. - © dr

Le 16 juillet, la Commission européenne a officiellement dévoilé sa proposition de nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) pour 2028-2034 et le projet de réforme de la Politique agricole commune (Pac) qui l’accompagne. Ces an-nonces, largement anticipées par des fuites ces dernières semaines, confirment une évolution majeure : la volonté de simplifier la gestion budgétaire européenne en regroupant près de 540 programmes sectoriels, dont la Pac, dans 27 plans nationaux ou régionaux.

La Pac ne fera pas exception. Elle devrait être intégrée à un fonds unique par État membre, même si un «titre spécifique» lui est conservé dans le règlement. La Commission justifie cette approche par un objectif de simplification administrative et de réduction des coûts de gestion, tout en laissant plus de flexibilité aux États pour adapter les soutiens aux réalités locales. Mais cette orientation marque une rupture : la structure à deux piliers (Feaga pour les aides directes, Feader pour le développement rural) disparaît au profit d’un budget global, plus souple mais moins lisible.

Une enveloppe incertaine

Selon les premières informations, une enveloppe minimale serait garantie pour le soutien au revenu agricole. Les aides à l’hectare, le soutien couplé et l’aide spécifique au coton resteront financés à 100 % par l’UE. En revanche, toutes les mesures agro-environnementales, le paiement pour contraintes naturelles ou certaines exigences réglementaires seront cofinancées : chaque État membre devra apporter au moins 30 % du financement, sauf pour les jeunes agriculteurs, pour lesquels Bruxelles fixe un taux de soutien maximal de 85 %. Autre nouveauté : la Commission avance l’instauration d’une dégressivité des aides à partir de 20 000 € par bénéficiaire, avec un plafonnement à 100 000 €. L’objectif est de réorienter une partie des fonds vers les petites et moyennes exploitations. Mais pour certains observateurs, cette mesure risque de frapper de plein fouet les exploitations intermédiaires, souvent familiales, qui constituent l’ossature du monde rural.

À ce stade, le volume global du budget Pac post-2027 reste inconnu, même si un ajustement à l’inflation est évoqué. Des organisations comme Farm Europe estiment qu’au moins 411 milliards d’euros seront nécessaires pour maintenir le soutien au niveau actuel, ce qui semble compromis.

Une renationalisation qui inquiète

Autre point sensible : la flexibilité accrue laisse craindre une renationalisation de la Pac. Chaque État pourra piocher dans une liste de mesures européennes pour bâtir son plan national, sous réserve de recommandations de Bruxelles. Si cette approche vise à mieux cibler les soutiens, notamment pour répondre aux défis environnementaux ou socio-économiques locaux, elle affaiblit le caractère commun de la politique agricole. La fusion des écorégimes et des mesures agro-environnementales en «actions en faveur de l’environnement et du climat», cofinancées et ajustables annuellement ou pluriannuellement, s’inscrit aussi dans cette logique de souplesse. Pour les exploitants, cela pourrait se traduire par plus d’incertitudes sur les montants perçus et les critères d’accès.

La réforme propose aussi un sou-tien renforcé pour le renouvelle-ment générationnel : starter pack pour l’installation, aides à l’investissement, soutien aux services de remplacement. Un volet sur la gestion des risques prévoit un soutien pour les pertes dépassant 20 % du revenu moyen, ainsi que de nouvelles mesures pour les congés maladie, maternité ou vacances. Dans le même temps, la Commission européenne propose d’amen-der le règlement sur l’Organisation commune des marchés (OCM). Elle entend créer des stocks stratégiques de produits agricoles pour renforcer la sécurité alimentaire face aux crises. Elle souhaite aussi développer un secteur spécifique pour les cultures protéiques afin de réduire la dépendance européenne aux importations de soja ou de tourteaux. Par ailleurs, le projet prévoit de protéger les dé-nominations liées à la viande pour garantir une information claire au consommateur, et d’harmoniser les règles sur le chanvre, en reconnaissant les variétés dont la teneur en THC est inférieure à 0,3 %.

Mobilisation du monde agricole

Face à ces annonces, la réaction du secteur agricole ne s’est pas faite attendre. Le think tank Farm Europe et le syndicat italien Coldiretti ont organisé une manifestation dès le 15 juillet. Les organisations et coopératives agricoles européennes (Copa-Cogeca) se sont réunies devant la Commission à Bruxelles le jour même de la présentation officielle. Leur mot d’ordre : «Non à la dissolution de la Pac dans un fonds unique». L’eurodéputée PPE, Céline Imart, a dénoncé une «disparition pure et simple» de la Pac, devenue «une simple procédure» vidée de son ambition collective. Pour beaucoup, la «renationalisation» marque une rupture avec l’esprit même de la Pac, conçue dès 1962 comme une politique intégrée, garante de la sécurité alimentaire européenne et d’un revenu agricole stable.

La bataille politique et budgétaire ne fait que commencer. Les détails techniques doivent encore être précisés à la rentrée, tandis que les négociations entre États membres et Parlement européen promettent d’être tendues.

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