L'Oise Agricole 05 novembre 2021 a 09h00 | Par L'Oise Agricole

De la ferme à la table: le commerce des grains menacé?

La FNA (négoce) et le Synacomex (export de grains) dénoncent les baisses de production estimées par des études d'impact sur la stratégie De la ferme à la table. Soufflet met en garde contre le risque d'une volatilité accrue des marchés. Armbruster se dit déjà «en stand-by» dans ses investissements.

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La stratégie européenne viserait, à l'horizon 2030, une hausse des surfaces bio à 25 %, une baisse de l'utilisation
des engrais de 20 %, et des phytos de 50 %... Des objectifs inatteignables selon la profession.
La stratégie européenne viserait, à l'horizon 2030, une hausse des surfaces bio à 25 %, une baisse de l'utilisation des engrais de 20 %, et des phytos de 50 %... Des objectifs inatteignables selon la profession. - © Pixabay

«Nous sommes inquiets», à propos de la stratégie De la ferme à la table, «d'une transition agro-écologique trop rapide, aux conséquences non évaluées, non chiffrées», a insisté Antoine Pissier, président de la FNA (négoce agricole). Réuni le 26 octobre lors d'une conférence, le commerce des grains s'est penché sur le Pacte vert de la Commission européenne, «un choc à venir pour les entreprises», selon le thème choisi par la FNA et le Synacomex (export de grains).

Les grandes lignes du projet sont les suivantes à l'horizon 2030 : hausse des surfaces bio à 25 %, baisse de l'utilisation des engrais de 20 %, des phytos de 50 %, a résumé Philippe Mitko, président du Cocéral (commerce européen des grains). Avec, au final, des baisses de production que Bruxelles espère voir compensées par des baisses de consommation. Cela suppose des changements de régime alimentaire, réductions de gaspillage, un apport des nouvelles technologies pour lesquels l'«évolution sera extrêmement lente», a-t-il considéré. «Il y a un problème de timing», selon lui. Ce changement vers une amélioration de la durabilité «va prendre une génération».

 

De l'export à import

Diverses études permettent de mesurer l'impact De la ferme à la table. Le Cocéral en a publié une au printemps. Son scénario «moyen» anticipe une production européenne réduite, à l'horizon 2030, de 19 Mt de blé (- 15 %), 9 Mt de maïs (- 13 %), 8 Mt d'orge (- 16 %), soit - 40 Mt de céréales (- 14,5 %), et côté oléagineux - 5 Mt (- 17 %) dont le colza à - 4,3 Mt. Résultat, l'UE passerait d'une situation exportatrice de céréales (+ 17,6 Mt de balance commerciale) à importatrice (- 18,4 Mt), soit une dégradation de ses échanges nets de 36 Mt. Les importations européennes de colza, actuellement autour de 5 à 6 Mt, grimperaient à plus de 10 Mt.

«Ça me déprime», de tels chiffres, s'est exclamé Jean-François Lépy, DG de Soufflet Négoce. À ses yeux, De la ferme à la table réduirait à néant les efforts d'investissement du groupe. «Soufflet est attaché, depuis très longtemps, à être compétitif», ce qui passe par «des chaînes optimisées, des cadences de fret massifiées pour faire des économies d'échelle», a-t-il souligné. Le groupe exporte ainsi des céréales jusqu'au Maghreb, en Afrique de l'Ouest, au Moyen-Orient, «dans des zones où il n'y a pas de production». Bruxelles, avec son Pacte vert, «ignore le monde», selon lui. Le marché domestique risque lui-même d'être déséquilibré. Un avant-goût est donné par la flambée actuelle des prix des grains. En cause, les flux d'importations de la Chine, qui ont explosé l'an dernier à 50 Mt, contre 10 à 12 Mt habituellement, d'après Jean-François Lépy. Cela a provoqué un déséquilibre des bilans mondiaux, et entraîné une hausse des prix. Le même regain de volatilité peut se produire avec De la ferme à la table, a-t-il estimé.

 

Coup de frein aux investissements

Le cas de l'alsacien Armbruster, dans le top 10 du négoce français, illustre d'autres conséquences du projet de la Commission. Si les baisses prévues des intrants se réalisent, «nous n'aurons pas la qualité sanitaire en Alsace pour pouvoir livrer les industriels le long du Rhin», a déclaré le DG Étienne Armbruster. Et dès lors, «il n'y aura pas d'intérêt à investir». Armbruster se dit déjà «en stand-by» depuis plusieurs années pour ses investissements industriels. «Nos clients sont eux-mêmes dans l'interrogation sur ce qu'il va se passer en Europe», et envisagent de s'approvisionner ailleurs, a-t-il indiqué.

L'objectif européen de surfaces bio interpelle également. «25 % : le marché ne le permettra pas», a prévenu Étienne Armbruster. Déjà, aujourd'hui, le marché du maïs bio est saturé, d'après lui. Certains céréaliers, découragés, reviennent en agriculture conventionnelle. Même phénomène en vigne bio, où «des producteurs font marche arrière». «Ils y sont allés trop vite.» D'où l'idée que Bruxelles fait l'erreur de «fixer un pourcentage de production bio sans vérifier si le marché est en capacité de l'absorber», a regretté Henri Bies-Péré, vice-président de la FNSEA.

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