Des ruptures d'approvisionnement à prévoir ?
Lors de sa conférence de presse de rentrée le 21 septembre à Paris, le président de La Coopération agricole (LCA), Dominique Chargé, a fait part de ses craintes sur la situation économique de ses adhérents. Entre crise énergétique, changement climatique et guerre en Ukraine, les perspectives s'annoncent moroses pour l'année 2023.
L'an dernier, à la même époque, Dominique Chargé, président de La Coopération agricole (LCA), entendait «restaurer la souveraineté alimentaire en France et au sein de l'Union européenne». Une restauration qui devait passer par le chemin d'une «croissance responsable». Comme beaucoup d'organisations professionnelles, il a dû changer de perspectives «car des vents contraires se sont empilés», a-t-il concédé. Après la Covid, la crise en Ukraine et ses conséquences ainsi que la sécheresse et la canicule estivales, il s'est dit inquiet «quant aux capacités des coopératives à produire : nous manquons de matière première disponible qu'elle soit agricole ou industrielle. Nous connaissons aussi des problèmes de recrutement et de compétences et nous nous inquiétons pour l'équilibre économique de nos entreprises», a-t-il déclaré. La dégradation du contexte politique et économique «risque de nous conduire à un arrêt de nos unités de production». Ainsi un de ses adhérents va-t-il voir sa facture d'énergie passer de 2 millions d'euros (MEUR) en 2021 à 17 MEUR en 2023, «soit trois fois et demie son résultat net de 5 MEUR».
«Mur infranchissable»
En conséquence, des ruptures d'approvisionnement sont à prévoir dans certains secteurs agroalimentaires comme les légumes ou le lait, des denrées très vite périssables. Des usines de conditionnement de légumes plein champ sont déjà à l'arrêt, avec des mesures de chômage technique ou de chômage partiel. «Certaines ne tournent que trois jours sur cinq», a précisé le président de LCA. De même, le niveau de risque de rupture sur les produits laitiers frais ou transformés n'est pas neutre, avec un risque de baisse de la collecte, du conditionnement et de la transformation. La production laitière a déjà chuté de 4 % depuis le début de l'année. Quant au nombre de références disponibles pour les consommateurs dans leur magasins favoris, «il pourrait être limité», a prévenu Dominique Chargé qui y voit là «une façon de répondre à la sobriété demandée».
En effet, la multiplication des références augmente d'autant la facture énergétique des chaînes de production, «une consommation d'énergie non productive», a-t-il précisé. D'ailleurs, «le risque énergie est plus grand que celui de la disponibilité de la matière première agricole», a poursuivi Dominique Chargé pour qui «nous sommes face à un mur infranchissable». Aujourd'hui, les coopératives et les usines de transformation ne sont pas à l'abri d'un délestage ou d'un rationnement d'énergie, que ce soit en gaz ou en électricité. «Il faut donc que le gouvernement inscrive nos entreprises dans les secteurs prioritaires», a-t-il demandé, souhaitant aussi que l'exécutif pousse l'Union européenne (lire encadré) à découpler l'indexation du prix du gaz sur celui de l'électricité, car «c'est dangereux».
Négociations commerciales
Sur le dossier des négociations commerciales, LCA pointe un «problème de comportement des acteurs (...) Je ne demande à personne de faire du caritatif (...) Je souhaite des personnes responsables tout au long de la filière», a martelé Dominique Chargé qui vise clairement l'attitude de certaines grandes enseignes. Il regrette que les coopératives et les entreprises aient à «supporter le coût de la crise alimentaire». S'il s'est déclaré favorable à un rendez-vous annuel avec les représentants de la grande distribution, Dominique Chargé s'est montré tout aussi enclin à vouloir «faire vivre les négociations au gré des hausses et des baisses». Afin que les trésoreries des coopératives ne soient pas étranglées comme elles le sont aujourd'hui, il souhaite que les décisions prises en comité de suivi des négociations commerciales s'appliquent rapidement. Or, cette «temporalité des exécutions» souffre d'un décalage. «Entre le moment où on décide de la hausse des prix et le moment où les entreprises sont payées, il peut se passer jusqu'à six mois. Or, après six mois, c'est trop tard. Les comptes des entreprises peuvent avoir déjà basculé», a expliqué Dominique Chargé.
Énergie : la filière fruits et légumes en grand danger
Les chiffres de hausse du coût de l'électricité ou du gaz qui sont actuellement proposés aux entreprises, que ce soit en productions ou au stade de gros, du secteur des fruits et légumes sont vertigineux. «1/4 des entreprises de la filière pommes-poires doit renouveler son contrat électricité avant la fin de l'année, explique Daniel Sauvaitre, président de l'Association nationale pommes-poires (ANPP). L'augmentation du prix du mégawatheure proposée est faramineuse.» Ce tarif passerait de 50 à 80 EUR le MWh à 500-800 EUR. «Il faudra payer tous les mois ce que l'on payait chaque année», résume-t-il. Chez les maraîchers, ce sont les productions sous serres et celles d'endives qui sont les plus impactées. «Pour les serres, l'enjeu est crucial, annonce Jacques Rouchaussé, président de Légumes de France. L'énergie est le premier poste à charge pour les producteurs.» Là aussi, les prix proposés sont simplement déments. Le prix du gaz pourrait être multiplié par 30.
Situation critique
Producteur d'endives dans les Hauts-de-France, Philippe Brehon était au bord des larmes en détaillant sa facture énergétique et les hausses de prix demandées. «La production d'endives a besoin de beaucoup d'électricité pour garder les griffes en chambre froide d'abord, puis pour son développement en salle de forçage ensuite», rappelle-t-il. Sa facture d'électricité était de 80 000 EUR en 2021, de 210 000 EUR en 2022 «après intervention de l'État», précise-t-il. Les propositions de contrat qu'il est en train de recevoir arrivent à un montant se situant entre 700 000 à 800 000 EUR.
La situation est toute aussi critique pour d'autres maillons de la filière comme les mûrisseurs ou les grossistes. Globalement, près d'une entreprise de la filière sur quatre doit renégocier ses contrats d'ici la fin de l'année. Aussi, l'interprofession Interfel a décidé de saisir le gouvernement de ce dossier. «Nous faisons une demande raisonnable, calibrée, et justifiée», explique Laurent Grandin, président d'Interfel. Il demande à l'État d'instaurer une prise en charge, a minima à hauteur de 70 %, du surcoût des charges énergétiques dès lors que l'entreprise est confrontée à un doublement a minima du prix de l'énergie proposé par son fournisseur. L'interprofession souhaite aussi prolonger au-delà du 31 décembre 2022 la mesure d'aide instaurée par le gouvernement pour tenir compte des campagnes qui se prolongent sur 2023 et pour intégrer les hausses qui prendront effet au 1er janvier 2023 avec les nouveaux contrats. Enfin, Interfel souhaite donc que les fruits et légumes et les bananes soient exclus du dispositif de rationnement énergétique.
Aides énergétiques : LCA tance les critères européens
Dominique Chargé est très remonté contre les critères européens d'aide aux entreprises pour compenser la hausse des prix de l'énergie. Tout d'abord, sur les 3 milliards d'euros débloqués, seuls 50 millions d'euros auraient été utilisés à ce jour. Pour être éligibles à ces aides, les entreprises doivent être grandes consommatrices d'énergie au moins 3 % de leur chiffre d'affaires 2021. Surtout elles doivent avoir un «excédent brut d'exploitation (EBE ou Ebitda) négatif. Or, c'est impossible, car si l'Ebitda est négatif, cela veut dire que l'entreprise est déjà morte», s'est exclamé Dominique Chargé.
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