«Il y a un problème d'attractivité du métier d'éleveur»
Discret dans les médias, le président-directeur général de Lactalis, Emmanuel Besnier, revient notamment sur la stratégie de Lactalis en Italie, à un moment où la collecte laitière italienne progresse, contrairement à celle des éleveurs français. Il s'exprime plus largement sur la conjoncture laitière, en particulier la décapitalisation, insistant sur le besoin d'attractivité? du métier pour maintenir la collecte.
Lactalis est un groupe connu pour sa discrétion, mais vous avez changé de stratégie de communication ces dernières années. Pourquoi cette volonté d'ouverture ?
Il y avait un besoin d'expliquer nos métiers, ce que nous faisons et qui nous sommes. Nous avons eu une croissance importante ces dernières années. Nous nous sommes rendu compte de l'importance que nous avons dans la filière. Après les événements des années 2016-2017, nous avons décidé d'expliquer ce qu'est le groupe. Le groupe est leader sur le marché des produits laitiers en Italie.
Est-ce une position difficile lorsqu'on est un groupe étranger ?
Nous sommes présents depuis les années 1980 en Italie. Cela a commencé par une petite implantation, puis nous avons repris une fromagerie au début des années 2000. Il y a eu une progression constante pour finir leader du marché. Le groupe Lactalis est d'abord un groupe fromager et l'autre pays du fromage c'est l'Italie.
Nous avons toujours été intéressés par ses fromages et la possibilité de les diffuser en Europe et dans le monde entier. Il y a une très grande proximité entre la France et l'Italie. Nous n'avons pas rencontré de problème particulier pour fonctionner en Italie. Il y a une proximité dans la culture, dans les produits, dans la façon de travailler, donc cela s'est fait naturellement et très bien.
Même au moment du rachat de Parmalat en 2011 auquel le gouvernement italien avait tenté de s'opposer ?
Au moment de Parmalat, il y a eu un sujet politique (Nicolas Sarkozy était alors en visite dans le pays, ndlr). Il y a eu aussi une accumulation de rachats d'entreprises italiennes par des Français qui avait un peu créé l'émoi en Italie. Mais, globalement, l'intégration derrière s'est bien faite.
Vous avez récemment opéré d'importantes acquisitions dans les fromages AOP, avec Nuova Castellli en 2019 puis Ambrosi en 2022. Cela marque-t-il une nouvelle étape dans votre stratégie italienne ?
Nous étions déjà un peu présents dans les AOP, avec le gorgonzola et le taleggio. Nous sommes très forts dans les AOP en France. Les AOP italiennes sont encore plus importantes en termes de volumes (la production de Grana Padano avoisine 200 000 tonnes, soit l'équivalent de la totalité de la production des 46 fromages AOP français, ndlr).
À côté, nous sommes des petits. Nous n'étions pas présents dans les deux grandes AOP italiennes que sont le Parmigiano Reggiano et le Grana Padano. Avec Nuova Castelli, nous sommes rentrés dans les deux plus grandes AOP italiennes et mondiales. C'est un nouveau métier pour nous.
Cela fait de vous à la fois un acteur important dans le Parmigiano Reggiano AOP, par exemple, mais aussi sur son alternative non AOP qu'on appelle parfois le «faux parmesan». Comment conjuguer défense des AOP et réponse à la demande sur un marché porteur ?
Ce que nous défendons, est qu'il y a à la fois des produits d'exception avec des cahiers des charges, attachés à une région, et à des prix beaucoup plus élevés et, à côté, il y a des produits différents qui sont des produits plus quotidiens et qui représentent la grande partie de la consommation de fromage aujourd'hui.
La production laitière de l'Italie a progressé de 10 % depuis 2015 et la fin des quotas laitiers. La dynamique de la collecte italienne est-elle une concurrence directe pour la production française ?
Dans nos métiers, le lait se transforme dans le pays où il est produit. La France était plutôt un pays exportateur, tandis que l'Italie était plutôt un pays déficitaire en lait. L'Italie est de moins en moins déficitaire et donc les pays d'Europe qui se trouvent autour de l'Italie exportent de moins en moins vers l'Italie. C'est le cas de la France, c'est le cas de l'Allemagne, c'est le cas de tous les pays qui permettaient à l'Italie de combler son manque de lait.
La solidité de Lactalis à l'étranger peut-elle être un atout pour la filière française ?
Avoir une entreprise forte permet de maintenir et de valoriser la filière. Nous essayons en France et dans tous les pays où nous sommes présents de pousser les filières.
La collecte laitière française est relativement stable et la balance commerciale française s'érode. Comment redynamiser les exportations françaises ?
La collecte française était plutôt stable, elle est en légère baisse cette année. Ce sont les entreprises qui doivent pousser les filières. Nous avons toujours défendu une filière forte en France et une filière d'exportation, avec ce que cela implique comme besoin de compétitivité par rapport aux pays qui nous entourent. Il faut être compétitif à tous les niveaux de la filière.
Ce qui veut dire des exploitations plus grandes ?
Il y a plusieurs modèles. La France est plutôt sur un modèle d'agriculture familiale avec souvent de plus petites fermes que dans le reste de l'Europe. Il y a un problème de productivité et d'attractivité du métier d'éleveur laitier. Une taille un peu plus grande des exploitations est une des re?ponses mais ce n'est pas la seule. Cela permet d'amortir un certain nombre d'investissements, comme un robot de traite pour améliorer la qualité de vie et l'attractivité du métier.
La France peut-elle être au rendez-vous pour répondre à la croissance de la demande mondiale en produits laitiers ?
La croissance mondiale est continue, de 2 à 3 % par an. Les produits laitiers continuent d'être plébiscités par les consommateurs. L'Europe est plutôt sur une stabilité de la collecte laitière, et l'Amérique et les pays émergents augmentent fortement. La France et l'Europe ont tous les atouts pour continuer à suivre le développement du marché mondial. Les conditions de production de lait en France et en Europe sont celles qui respectent le plus l'environnement et le bien-être animal. L'Europe, et la France en particulier, sont en avance sur ces sujets. Nous travaillons avec nos filières pour améliorer le bilan écologique de la production laitière. Ce serait plus profitable, pour la planète notamment, de pousser la production laitière là où elle est la plus respectueuse des normes environnementales et là où elle avance le plus vite sur la diminution de son impact carbone notamment.
Les produits animaux et laitiers sont fortement contributeurs du réchauffement climatique. Quels sont vos engagements à ce sujet ?
Nous nous sommes engagés sur nos émissions directes (scope 1 et 2) et sur celles de l'amont (scope 3). Nous avons un objectif zéro émission en 2050. Il y a des étapes : - 25 % en 2025 et - 50 % en 2033 sur nos émissions scope 1 et scope 2.
Comment inciter les producteurs à produire ? En ayant un prix du lait incitatif ?
Le prix du lait (payé par Lactalis, ndlr) a augmenté d'à peu près 25 % en France l'année dernière. Il a augmenté globalement partout dans le monde. Aujourd'hui, en Europe et en France, la question est davantage d'améliorer l'attractivité du métier et d'en diminuer les contraintes pour donner envie aux nouvelles générations.
Comment voyez-vous le prix du lait évoluer sur l'année ?
Nous percevons une consolidation de l'augmentation qui a été faite en 2022 et au moins une stabilité du prix du lait. Le prix du lait sera au moins au niveau de 2022. Dans le cadre d'Egalim, avec une marche en avant du prix du lait et des prix basés sur les coûts de production, les négociations qui ont été faites au 1er mars tiennent compte d'une évolution positive du prix du lait sur la grande distribution. Normalement, il n'y a pas de raison de revenir sur ces négociations.
Aurez-vous besoin de collecter davantage de lait en France dans les prochaines années pour répondre à la demande mondiale ?
Aujourd'hui, nous n'avons pas besoin de collecter plus. On est sur une tendance de maintien de la collecte.
L'enjeu pour vous aujourd'hui est donc plutôt de maintenir la production ?
Il y a toujours eu des années hautes et basses. La collecte est liée au nombre de producteurs bien sûr, mais aussi aux incidences climatiques, au prix du lait, aux prix du marché de la viande. Il y a des phénomènes de décapitalisation qui sont liés à des opportunités du marché de la viande... La baisse de la collecte est autour de 2 % aujourd'hui. Ce n'est pas du jamais-vu, ni quelque chose d'irréversible. Nous avons toujours oscillé entre - 2 et + 2 % en fonction des années. L'inquiétude porte davantage sur la possibilité de renouveler les générations à moyen terme et pas sur un problème à court terme.
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