L'Oise Agricole 09 juillet 2023 a 09h00 | Par JG

Les élevages laitiers français en crise de croissance

Alors que les exploitations laitières françaises avaient connu une forte dynamique de croissance à la sortie des quotas laitiers, elles ralentissent la cadence. L'agrandissement des troupeaux ne compense plus les fermetures d'ateliers, et la collecte décroche. Manque de disponibilité de foncier, de main-d'oeuvre, d'avantages économiques... Les freins sont légion.

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- © AAP

Le phénomène s'accélère ces derniers mois : la collecte de lait française décroche par rapport à nos principaux concurrents. Malgré un prix et des marges qui s'améliorent, le cheptel continue de baisser. La première explication, c'est bien sûr le nombre d'élevages qui baisse : les installations ne suffisent pas à compenser les départs et le taux de remplacement en lait est le plus bas de l'agriculture française.

En dix ans, le nombre d'exploitations laitières spécialisées est passé de 48000 à 35000 en France. Mais ce phénomène est traditionnellement compensé par l'agrandissement. En dix ans, l'effectif moyen par exploitation est passé de 52 à 74 vaches laitières. La croissance des troupeaux a permis jusqu'en 2019 de compenser les arrêts d'exploitations. Or, depuis quelques années, l'agrandissement ne suffit plus. Le cheptel français décline sévèrement, et les projections annoncent que la tendance se poursuivra. Selon le projet d'étude international Dairy4Future, les élevages de Bretagne, principal bassin laitier français, devraient voir leur effectif moyen passer de 72 à 87 vaches laitières à l'horizon 2030. Un accroissement des troupeaux qui ne sera pas suffisant pour compenser la baisse du nombre d'exploitations, de l'ordre de 30 %. Sur tout l'arc atlantique européen, la Bretagne est d'ailleurs la seule région dont la collecte devrait baisser (- 5 %), quand nos voisins poursuivront leur essor.

Ralentissement de la croissance des fermes

Au sortir des quotas laitiers (2007- 2015), l'élevage laitier français semblait pourtant parti pour agrandir ses ateliers. Le pourcentage de vaches laitières dans des étables de plus de cent vaches et plus est passé de 3 % avant 2005 à 9 % en 2010, puis 29 % en 2018. Mais «depuis, le rythme d'apparition de ce type d'étable a été divisé par deux ou trois», explique Christophe Perrot de l'Institut de l'élevage (Idele). La fréquence est de 200 nouvelles étables de plus de 100 vaches laitières par an, contre 600 ou 1000 auparavant.

La France plafonne à un tiers du cheptel dans ce type d'étable, contredisant les projections des spécialistes qui pensaient que le pays compterait rapidement la moitié de ses vaches dans des étables de plus de cent vaches, soit le seuil minimum observé chez nos voisins européens. Le modèle de polyculture-élevage à la française, avec de relativement petits troupeaux sur de grandes surfaces, semble encore avoir de beaux jours devant lui. Et pour cause, lorsqu'on les interroge, les éleveurs en place sont peu enclins à s'agrandir.

Selon une étude coordonnée par Innoval, seuls 8 % des producteurs envisagent d'augmenter la taille de leur cheptel d'ici cinq ou dix ans, quand près d'un quart prévoit d'arrêter l'atelier lait. Les résultats du sondage effectué auprès de plus d'un millier de producteurs montrent «une vraie résistance psychologique à l'augmentation de la taille des cheptels», note le spécialiste de la génétique et du conseil en élevage. «Ceux qui ont grossi à la fin des quotas laitiers ne vont pas le faire deux fois. En agriculture, on n'investit pas trois ou quatre fois dans sa carrière. On choisit la taille de sa structure au moment de l'installation », souligne Vincent Chatellier, économiste à l'Inrae.

Les grands troupeaux ne rencontrent pas non plus un grand succès auprès des candidats à l'installation, en recherche de systèmes très autonomes et souvent peu enclins à rejoindre une grosse structure avec plusieurs associés. En outre, le manque de visibilité sur les marchés laitiers - accentué par la sortie des quotas laitiers - n'encourage pas la croissance des exploitations. De plus, la baisse structurelle de la demande sur le marché français désintéresse de potentiels investisseurs, plus à même de créer des projets de A à Z avec un outil adapté à des cheptels de grande taille.

Nombreux facteurs limitants

Les spécialistes de la question ne voient donc pas venir une révolution du modèle laitier français avec une multiplication des fermes de plusieurs centaines de vaches, fréquentes dans d'autres pays européens. Aujourd'hui, seules 600 étables ont plus de 200 vaches laitières et le nombre, déjà très faible, d'étables de plus de 400 vaches est en baisse. Il faut dire que les freins sont nombreux. Ceux qui seraient tentés d'agrandir leur troupeau doivent d'abord s'assurer qu'ils ont suffisamment de terres disponibles.

«La première hantise d'un producteur de lait, c'est de ne pas pouvoir nourrir ses vaches», explique Vincent Chatellier. Or, la majorité du potentiel foncier se situe dans des zones de grandes cultures spécialisées, éloignées des points de collecte. Vu du Grand-est de la France, l'accès à la ressource, en termes de fourrages et de coproduits pour l'alimentation des animaux, apparaît aussi comme l'un des principaux facteurs limitants, atteste Stéphane Lartisant, ingénieur- conseil au BTPL (Bureau technique de promotion laitière). D'autant plus «à cause du changement climatique et du développement de la méthanisation», ajoute-t-il. Vient ensuite la question des moyens humains. «Il y a une quasi- pénurie de main-d'oeuvre. Les exploitants ont beaucoup de mal à embaucher des salariés et, quand il y a un départ dans un Gaec, il est difficile de trouver un nouvel associé», constate Christophe Perrot. Et pour ceux qui parviennent à sécuriser un collectif de main-d'oeuvre suffisant, il faut encore parvenir à repenser complètement l'organisation du quotidien. La frilosité des éleveurs français à se lancer dans des projets d'agrandissement conséquents s'explique aussi par la peur de se voit taxer de «ferme usine» et de susciter un mouvement de contestation.

Le chercheur Christophe Perrot estime le «seuil de sensibilité» du public autour de 200 vaches par atelier. Enfin, l'aspect économique est lui aussi peu incitatif. «Si passer de 120 vaches laitières à 180 vaches divisait par deux les coûts de production, il y aurait un phénomène de croissance. Ce n'est pas du tout le cas, donc les producteurs n'y voient pas d'intérêt », note Vincent Chatellier. «Dans le Grand-est, nous voyons beaucoup d'exploitations qui "absorbent" d'autres petites exploitations, mais le cumul des résultats économiques de trois entités différentes ne sera pas égal à celui de la nouvelle entité. Les frais de mécanisation et les temps de déplacement sont plus importants », atteste Stéphane Lartisant.

La diversité prime

Les conditions propices à un agrandissement sont donc difficiles à réunir. Certains vont y parvenir et croître. À côté, d'autres stratégies se dessinent : différenciation, réduction des charges de fonctionnement, transformation à la ferme... Car la réalité de l'élevage laitier, c'est aussi la diversité de ses modèles.

Sur le terrain, le président de la Chambre d'agriculture de Bretagne, André Sergent, constate les deux tendances. «D'un côté, il y a des éleveurs qui ne veulent plus partir dans des logiques d'agrandissement. Ils font de la monotraite, réduisent au minimum leurs charges et leurs investissements. D'autres vont vers des troupeaux plus grands, réduisent les astreintes, prennent des salariés, mettent des robots...», témoigne-t-il. Les techniciens installent désormais plutôt trois ou quatre robots dans les exploitations bretonnes, là où ils n'en installaient généralement que deux auparavant. Certains éleveurs s'apprêteraient-ils à mettre le pied au plancher ?

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