«On ne devient pas riche avec la forêt»
Bertrand Wimmers, directeur Office National des Forêts Picardie, met en lumière tous les aspects de la forêt.

En quoi consiste le travail de directeur de l’ONF ?
Tout d’abord, je dois vous expliquer que l’Office national des forêts est organisé en six grandes directions territoriales. Celle qui couvre notre secteur regroupe la Normandie, l’Île-de-France et les Hauts-de-France. La Normandie a 2 agences territoriales, une pour la Haute-Normandie, une pour la Basse-Normandie, l’Île-de-France également, une pour l’Ouest, Versailles, une pour l’Est, Fontainebleau. Quant aux Hauts-de-France, il y a l’agence territoriale de Picardie et celle du Nord-Pas-de-Calais. 1.000 personnes travaillent sur cette grande direction territoriale Seine Nord, dont 180 en Picardie.
Mon rôle de directeur de l’ONF Picardie comprend les fonctions internes classiques : pilotage de l’activité, gestion des ressources humaines, animation des équipes.
Au niveau externe, j’ai un rôle de représentation de l’ONF auprès des partenaires et des acteurs du territoire : élus, Etat, chasseurs, acteurs économiques, clients acheteurs de bois, usagers de la forêt…
L’Office national des forêts est un Epic (établissement public à caractère industriel ou commercial), c’est-à-dire qu’il réalise à la fois des missions de service public, et également des prestations de services pour les collectivités et les grands comptes (grands gestionnaires d’infrastructures confrontés à des gestions de végétation que sont par exemple la SNCF, VNF, ENEDIS, RTE, GRT gaz, etc.). La principale mission, ou la plus connue et visible, consiste en la gestion durable des forêts publiques conformément au Code forestier. Au niveau national, l’ONF gère un tiers de la forêt française, dont 1,8 Mha domaniaux appartenant à l’Etat, et 2,8 Mha appartenant aux collectivités et établissements publics (Conservatoire du Littoral, parcs naturels, Institut de France, centres hospitaliers, etc.).
Quelle surface avez-vous à gérer en Picardie et quelles problématiques rencontrez-vous ?
L’Agence territoriale de Picardie gère 86.000 ha mais la proportion entre forêts d’Etat et de collectivités est inversée par rapport au national. Les forêts domaniales sont majoritaires car elles sont issues des anciennes chasses royales, toutes à proximité de Paris. Sur les 15.000 ha de forêts des collectivités, 7.000 ha appartiennent à l’Institut de France, c’est le domaine de Chantilly et de Chaalis
L’ONF a toutes les prérogatives du propriétaire forestier, sauf la vente et la cession (équivalent à un usufruit) : gérer le domaine, payer les charges, les impôts et encaisser les recettes. Un contrat d’objectif et de performance est fixé tous les 5 ans entre les ministères de tutelle (agriculture et écologie) et la fédération nationale des communes forestières. En revanche, quand l’ONF intervient sur les forêts appartenant aux collectivités, nous réalisons l’ingénierie, les prérogatives du propriétaire restant aux collectivités. Cette ingénierie est principalement financée par l’Etat.
Les forêts de Picardie sont de grandes forêts de feuillus, très productives, comme le sont les terres agricoles. Globalement, de nombreux peuplements sont à maturité, certains peuplements sont même parfois vieillis, comme à Compiègne. Il y a évidemment des peuplements plus jeunes issus des renouvellements récents. Ces forêts sont multiples, certaines sont rurales, d’autres sous influence urbaine (région des trois forêts, Compiègne). La proximité de la région parisienne et la forte pression urbaine et touristique qui en découle, notamment dans le Sud de l’Oise, influence la gestion. Comme la forêt est ouverte au public et qu’elle a aussi une fonction récréative, de ressourcement et de loisir, il faut moduler car il n’est pas évident d’entamer des chantiers de coupe où la population accepte difficilement qu’il faille couper des arbres pour gérer la forêt et en planter de nouveaux. Cet aspect nécessite un effort de communication permanent.
Ensuite, nos forêts sont emblématiques du point de vue de la chasse. Les grandes forêts domaniales sont héritées des Rois qui les ont aménagées et aimées y chasser. Actuellement, dans de nombreuses forêts, le grand gibier y est trop abondant et cause des dégâts aux arbres, notamment aux jeunes plantations, que nous devons donc protéger avec des clôtures, qui doublent voire triplent les coûts de gestion. Les prélèvements ne sont pas assez élevés, ce qui cause un déséquilibre.
Enfin, le changement climatique a et va avoir des effets sur le peuplement de nos forêts. C’est un vrai sujet pour les forestiers car nous raisonnons et faisons des choix pour 100 ans. Nous héritons du travail des anciens, et nos décisions d’aujourd’hui façonnent les forêts de demain. Cela questionne sur les pratiques, le choix des plantations, des essences, des provenances et le mode de gestion. Le réchauffement entraîne le dépérissement et l’affaiblissement des arbres, notamment sur des sols sableux qui ne retiennent pas l’eau et sont donc plus sensibles aux étés secs.
Autres difficultés, les attaques sanitaires : actuellement on subit des attaques de hannetons en forêt de Compiègne et la chalarose du frêne dans les forêts de l’Aisne du Nord-Pas-de-Calais. Il va falloir nous résoudre à perdre le frêne comme nous avons déjà perdu l’orme. Aucun traitement n’existe.
La forêt domaniale est-elle rentable ?
On ne devient pas riche avec la forêt, c’est une activité à long terme. Avec les risques (tempête, maladie), même sans accident majeur, une forêt bien gérée, équilibrée, ne dégage une rentabilité que de 1 ou 2 %. Planter et entretenir une forêt représente un investissement coûteux et les cours du bois ont plutôt tendance à baisser, on subit donc un effet ciseaux. A titre d’exemple, dans les années 1980, 80 % du budget de l’ONF était couvert par les ventes de bois. Aujourd’hui, c’est seulement 25 à 30 %. Malgré tout le bois reste un matériau d’avenir qui devrait être demandé avec la raréfaction des énergies fossiles et le développement du renouvelable et des constructions écologiques.
Pour en revenir à votre question, au niveau national, la gestion de la forêt domaniale est équilibrée. Les forêts méditerranéennes, du littoral atlantique ou des hautes montagnes, en général de protection contre les risques (incendies, érosion, etc.) sont déficitaires mais ce déficit est compensé par les résultats des forêts du Nord, bénéficiaires, grâce à une nature plus généreuse. Une péréquation est organisée. En Picardie, nos contraintes d’exploitations sont moindres (sols plats, réseau routier satisfaisant…) et une bonne partie de la production se fait en chêne et hêtre. Nos bois sont de bonne qualité et nos chênes sont utilisés pour des usages nobles (tonnellerie, sciages), et en traverses de chemin de fer pour le réseau secondaire. Le hêtre est scié en plots et dirigé vers la menuiserie intérieure.
Nous subissons néanmoins une concurrence des bois feuillus des pays de l’Est et le bois de feuillus de nos forêts est très concurrencé par les résineux pour la construction. Notre souhait est de valoriser localement nos bois car la filière représente quand même 40.000 emplois en région Hauts de France (425 000 en France).
Tous les massifs sont-ils gérés de la même façon ?
Chaque massif a son plan de gestion, élaboré en fonction de l’analyse de la forêt (sol, climat, peuplements…) et des enjeux qui la concernent : économique, écologique, sociaux, etc Des objectifs de longs termes sont fixés, de l’ordre du siècle, et un plan d’actions annuel est élaboré pour 20 ans, qui prévoit les peuplements murs à récolter, les plantations et les travaux pour les semis naturels, les éclaircies d’amélioration pour obtenir du bois d’œuvre, les équipements, les travaux écologiques, etc. . Ces documents de gestion font l’objet d’une concertation locale et d’une évaluation environnementale. Les forestiers intègrent également les évolutions climatiques : par exemple, le hêtre étant un gros consommateur d’eau, faut-il continuer à en planter ? En l’occurrence, on privilégie plutôt le renouvellement spontané, la régénération naturelle ou la plantation de chêne sessile, plus résistant aux étés secs… On favorise également les mélanges, en diversifiant les essences et même en introduisant des résineux, très résistants au stress hydrique.
Pour renforcer la filière forêt bois, l’ONF propose des contrats d’approvisionnement avec les scieurs du territoire pour sécuriser et planifier leurs approvisionnements avec livraison en bord de route. Cela nous permet de mieux connaître les besoins de la filière, de gérer l’organisation des chantiers de débardage que nous réalisons nous-mêmes. Les scieurs se concentrent ainsi sur leur activité de transformation. L’objectif est d’atteindre 50 % des volumes contractualisés à terme à l’échelle nationale, 30 à 40% en Picardie, compte tenu du moindre nombre et de la taille des scieries locales
Comment se fait l’accueil en forêt ?
La forêt domaniale a trois fonctions : la production de bois, la protection de l’environnement et l’accueil du public. Ce dernier point est inscrit dans la loi : l’accueil est gratuit mais doit être organisé et financé par les collectivités en charge du tourisme. Nous privilégions les usages doux, non motorisés, conformes à l’esprit des lieux. L’accueil, cela s’organise autour de quelques principes : d’abord la promenade familiale, plutôt à pied, à cheval ou en VTT. Mais nous ne refusons pas l’organisation d’évènements en forêt, sportifs par exemple, sous certaines conditions. Les associations doivent nous en faire la demande, laquelle est instruite pour s’assurer qu’elle reste compatible avec les autres usages de la forêt et peut se faire en toute sécurité.
Sur proposition de l’ONF et selon le souhait des collectivités, des schémas d’accueil sont élaborés à l’échelle de la forêt ou d’un massif (groupe de forêts), en concertation avec les élus et les usagers pour définir un projet touristique : besoins, équipements touristiques, entretien et gestion des déchets, gestion de la voirie, etc. s. Nous privilégions des zones d’accueil réduites, avec parkings et stationnements en périphérie, et départs de sentiers depuis ces points. Les voiries forestières ne sont pas faites pour le transit routier et l’ONF n’a pas cette compétence, la voiture n’a pas sa place en forêt. Cette politique d’accueil nécessite beaucoup de pédagogie et de communication.
Avez-vous des soucis de dégâts de gibier ? quelles relations avec le monde la chasse ? et les agriculteurs ?
La chasse est une nécessité et un loisir, pour certains une passion. Elle est indispensable pour réguler les populations de grand gibier. Agriculteurs et forestiers, dont l’ONF, ont une activité économique à défendre dans la plaine et la forêt. Des emplois en dépendent. Leurs investissements ne doivent pas être réduits à néant par des dégâts de gibier devenus trop nombreux et la protection des plants ne peut pas couter plus cher que les plants eux même. De plus, l’impact du gibier peut nuire à la biodiversité des forêts : les cervidés privilégient le développement de certaines plantes banales au détriment d’autres. Enfin, les risques sanitaires pour la santé humaine ou animale augmentent avec les densités de gibier, de même que les collisions sur les routes et les voies SNCF.
En forêt, ce sont surtout les cervidés qui causent des dégâts, notamment dans les jeunes plantations qu’il faut pour cela protéger, ce qui multiplie l’investissement et le travail par deux ou trois
L’équilibre entre forêt et gibier se règle via les prélèvements d’animaux, le plan de chasse. . L’objectif du forestier qui définit cet équilibre c’est de pouvoir régénérer la forêt sans devoir mettre des grillages autour des chênes. L’objectif du chasseur peut évidemment être différent, et toutes les parties n’ont pas la même vision de ce qu’est un bon niveau de population. Mais c’est le propriétaire qui décide librement de ces objectifs de gestion, et des coûts qu’il peut y consacrer. C’est en cela qu’il faut savoir être pédagogue pour sensibiliser l’ensemble des acteurs aux dégâts de gibier. C’est ce que nous essayons de faire avec les locataires de chasse de la forêt domaniale. Le bail de chasse et le contrat sont signés pour 12 ans, avec une clause d’évaluation triennale qui permet de vérifier si les objectifs fixés et acceptés par le locataire sur les niveaux de populations, les dégâts… sont respectés. Dans la négative, le bail peut être rompu.
En 2016, les baux de chasse arrivaient à échéance et des contrats de gré à gré ont été reproposés aux sortants si ces derniers avaient donné satisfaction. Faute d’accord, les baux ont été mis en adjudication. Sur la centaine de locataires de chasse présents dans les forêts domaniales de Picardie, 85 % ont été renouvelés de gré à gré, le reste en adjudication. La première évaluation triennale aura lieu fin 2018. Pour la réaliser, nous disposerons du suivi des prélèvements annuels (plan de chasse), des relevés ICE (indices de chargement écologique), des surfaces de dégâts pour appréhender l’équilibre agro sylvo cynégétique au regard des objectifs fixés…
Les ICE nous renseignent sur l’évolution des populations de gibier et de leur pression exercée sur le milieu : indices d’abondance (comptages nocturnes aux phares), poids des animaux jeunes (inversement proportionnel à la population), indice de consommation (mesure de l’impact de consommation des ligneux), mais aussi dégâts agricoles sur les parcelles voisines des massifs.
Depuis 10 ans, les dégâts de sanglier sont en hausse, ceux de cervidés également, mais restent variables selon les massifs, avec de véritables points noirs. Le message à délivrer est que chacune des parties a à gagner à avoir un équilibre acceptable par tous, et à privilégier la chasse fondée sur la qualité plutôt que sur la quantité.
Chiffres clés pour l’ONF en Picardie
86 000 ha gérés dont 70 000 ha de forêts domaniales et 16 000 appartenant aux collectivités et établissements publics
180 personnels
40 000 ha de forêts domaniales incluses en zones Natura 2000
Volume des bois récoltés : 480 000 m3
Chiffres d’affaires 2017 : 21 M€ 16 M€ de vente de bois
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