Une qualité au rendez-vous mais un rendement très hétérogène
Un hiver très humide, un printemps/été très secs, une gestion des adventices très compliquée, la moisson 2020 est marquée par la forte hétérogénéité des rendement,s allant du simple au double, voire au triple. Bilan avec les coopératives dans l’Oise.
La récolte 2020 est marquée par la forte hétérogénéité des rendements. On observe ce phénomène entre les régions Agora (Oise, Nord Val-d’Oise, Eure) mais aussi au sein même des exploitations agricoles, pouvant varier du simple au double.
Les conditions climatiques particulières de l’année ont impacté fortement le potentiel de rendement avec une implantation des cultures d’automne et un développement des cultures de printemps difficiles. La météo a également rendu plus complexe la gestion des adventices ou la maîtrise des ravageurs avec, par exemple, le développement de jaunisse dans certaines parcelles de céréales. «Après une moisson 2019 exceptionnelle tant en rendement, en qualité ou en rapidité de la moisson, la récolte 2020 est plus modeste et surtout plus contrastée en termes de rendement. La coopérative Agora prévoit une collecte proche de celle de 2018.», annonce la coopérative. Les parcelles en semis très tardifs, après les derniers arrachages de betteraves ou pommes de terre notamment, ou les terres légères et superficielles ont été particulièrement pénalisées avec des rendements parfois très inférieurs à la moyenne sur 5 ans. Les parcelles en terres profondes ou ayant bénéficié d’une pluviométrie correcte bénéficient de bons, voire très bons rendements. «La moisson s’annonçait précoce, ce fut le cas ! Finalement, c’est aussi une moisson qui dure car plus d’un mois après le démarrage (autour du 18 juin), il reste encore des blés à récolter, du colza et des orges de printemps. Cela s’explique par les quelques épisodes pluvieux et une maturité des grains qui tarde à se confirmer dans certains secteurs.» explique Amandine Bannery, responsable marketing et communication d’Agora. Pour le SCA de Milly, Valfrance, Agora et l’Ucac, la moisson est quasiment terminée. L’ensemble des produits sont récoltés, sauf les orges de printemps.
Des rendements en dessous de la moyenne
Pour Agora, l’orge d’hiver (finalisé) affiche 73 q/ha, une baisse de 10 à 12 q par rapport à la moyenne 5 ans et la qualité est correcte. Pour l’orge de printemps (en cours de finalisation), l’estimation tourne autour de 60 q/ha. Cette culture est conforme aux attentes du marché : «certaines parcelles d’orge ont été semées dès l’automne et affichent un rendement supérieur à 90 q/ha» détaille la coopérative. Du côté du blé (en cours de finalisation), le résultat tend à 80 q/ha, c’est 5 à 10 q de moins par rapport à la moyenne 5 ans selon les secteurs. De plus, le blé est globalement bon avec un PS supérieur à 80 kg/hl et un taux de protéines supérieur à 11.
Pour le colza (en cours de finalisation), l’estimation est à 33 q, à confirmer. À propos des pois d’hiver (finalisé), le résultat est de 50 q/ha avec une qualité et un rendement satisfaisants. En ce qui concerne les pois de printemps (en cours de finalisation), l’estimation est de 30 q/ha, la qualité est satisfaisante correspondant aux débouchés de la coopérative.
Du côté du SCA de Milly, le rendement des escourgeons est en dessous de la moyenne décennale, 74 quintaux avec de très bon PS. Pour les blés, le résultat est voisin de la moyenne décennale, il se situe entre 80/82 quintaux avec une grosse hétérogénéité. «Le rendement s’est fait avec la pluviométrie du printemps. Dans le Vexin-Thelle, on est autour des 72 quintaux, et sur Milly, on est autour de 85/90 quintaux. Cela fait la moyenne de la coopérative.» annonce Arnaud Clément, directeur de la coopérative. Le PS, à hauteur de 82, reste très bon. Par contre, selon lui, les protéines sont un peu justes pour le débouché export.
Les colzas, dont le rendement va simple au triple, affiche des rendements entre de 15 à 40 quintaux avec une moyenne qui se situe autour des 30 quintaux.
«On est moins bien que l’année dernière en termes de rendement dans toutes les productions, on perd 10 % en blé et 7 % en orge d’hiver. On est en dessous de la moyenne pour cette moisson. On n’avait pas anticipé l’écart important entre les secteurs», poursuit-il.
Pour la coopérative Ucac, «le rendement est très hétérogene, notamment à cause de la sécheresse qui, par exemple, a donné des valeurs entre 50/60 quintaux en blé pour le sud de Beauvais» affirme Denis Grison, directeur de la coopérative. Concernant les rendements de la totalité des cultures, les résultats sont en dessous de l’année passée. Pour les blés, le résultat est de 82 quintaux, l’orge d’hiver 70 quintaux, le colza 30 quintaux.
Même son de cloche à Valfrance, Hugues Desmet martèle que cette moisson est «très hétérogène. j’ai rarement vu de tels écarts.» Il ajoute qu’«il y a du très bon et du très mauvais, globalement, c’est en dessous des moyennes. La moyenne historique de la coopérative est de 8 tonnes 4, si on fait 7 tonnes 8, ça sera bien.»
Un automne compliqué, des conditions de semis délicates et un printemps très sec, ces facteurs ont fortement joué sur le rendement. «Lorsque l’on n’a pas d’eau sur des terres plus superficielles, c’est vraiment la catastrophe et si c’est sur des bonnes terres, c’est décevant...» déplore-t-il. En blé, le rendement est autour de 78 quintaux, avec des résultats allant de 40 à 120 quintaux. «Ce qui est rassurant, c’est la qualité ! on trouve un très bon PS, on s’approche quasiment de 80 de poids spécifique, la protéine est au norme avec 11,3.» affirme-t-il.
L’orge d’hiver tourne à peu près 7 tonnes, donc en dessous de la moyenne. On retrouve également de grands écarts allant de 40 à 90 quintaux. Mais la qualité est au rendez-vous avec un bon calibrage, un bon PS, une bonne proteïne.
Du côté du colza, le rendement est en dessous de la moyenne, sauf que l’on retrouve une qualité correcte avec une bonne huile.
«On a plus de doutes pour l’orge de printemps... c’est tout de même la culture qui a dû souffrir le plus des conditions climatiques du printemps. On ne va pas tirer des conclusions, mais on craint des rendements très décevants. Pour le moment, les normes brassicoles sont au rendez-vous, mais on n’a peur de la dérive. Il nous reste encore 70 % à récolter.» explique Hugues Desmet. Il ajoute que par rapport à l’année 2019, «cette moisson est moins stressante, notamment dans l’Oise. Même elle moisson dure, elle n’a pas autant subi d’incendies. On rentrait tout de même des blés à 45 degrés. Il faudrait absolument de l’eau pour les betteraves, le maïs et préparer les prochaines parcelles, notamment pour le colza. En ce moment, pour faire rentrer les outils de travail du sol, c’est un peu compliqué (rire)».
À noter que la région limite la casse par rapport à l’Indre, le Loiret, la Dordogne où on parle de catastrophe ou d’un nouveau 2016. La France, l’année dernière, a produit 39 millions de tonnes de blés, cette année elle est à 30 millions.
«Ni les rendements, ni les prix»
François Delclaux, agriculteur à Mortefontaine, dans le Sud de l’Oise, près d’Ermenonville, a fini sa moisson depuis la semaine dernière.
C’est la troisième récolte pour ce jeune agriculteur de 33 ans, installé depuis trois ans. «La récolte de 2019 n’était terrible, mais les prix étaient plus intéressants. Là, rien n’indique le moindre frémissement et cette récolte est loin d’être exceptionnelle», se désole François Delclaux.
Il exploite deux sites, un sur Mortefontaine et un autre à Courtillet, sur la commune de Vineuil-Saint-Firmin. «Je cultive, du blé, du maïs, du colza et je fais de la multiplication de semences en triticale, escourgeon et seigle. Sur le secteur de Courtillet, plus sableux qu’ici à Mortefontaine, j’ai l’irrigation, ce qui permet la production de légumes de plein champ pour l’industrie du surgelé. En tout, j’ai 400 ha à battre, avec un salarié à plein temps et un saisonnier embauché pour la moisson.»
Cette année, les résultats en escourgeons sont meilleurs à Courtillet qu’à Mortefontaine, mais l’ensemble est loin d’être satisfaisant : 75 à 77 q d’un côté, seulement 55 à 60 q de l’autre, «ma parcelle a subi une virose et a bien décroché», explique le jeune exploitant. Pour le reste, il note une très forte hétérogénéité. «Mes parcelles en fond de vallée, qui ont gardé de la fraîcheur, peuvent monter jusqu’à 100 q/ha en blé, mais dès qu’on est sur le plateau plus sableux, on descend à 70 q. Je n’ai jamais vu une telle amplitude de rendement. Le manque d’eau a été le facteur déterminant de l’année car on n’a finalement pas eu une forte pression maladie. J’ai mieux réussi les escourgeons qui sont mûrs plus tôt que les blés et les parcelles de blé que j’ai pu irriguer à Courtillet font 20 quintaux de plus, 90 au lieu de 70 !»
Dégâts de gibier sur colzas
Située à proximité des massifs forestiers, l’exploitation de François Delclaux subit régulièrement des dégâts de gibier. Une parcelle de colza de 18 ha a ainsi été totalement mangée par les cervidés. «Ils ont broûté ma parcelle à l’entrée de l’hiver, le colza est reparti au printemps, mais a de nouveau été mangé. Résultat : aucune récolte ! Autant vous dire que je vais sans doute semer moins de colza cet automne. Pour le reste, les rendements colzas s’échelonnent de 30 à 40 q/ha selon la qualité du sol», explique-t-il. Il reste en plaine les maïs qui ont été arrosés par un bel orage de 30 mm et qui sont beaux pour l’instant, d’autant qu’ils sont irrigués à Courtillet. Du tournesol, introduit cette année pour la première fois dans l’assolement, sera à battre plus tardivement avec l’aide d’une Cuma locale. Les betteraves sucrières ont été abandonnées sur la ferme depuis de nombreuses années.
En attendant les prochains semis, il faut veiller au grain stocké à la ferme, des lots de multiplication de semences. «Je commence par livrer chez Valfrance, puis je stocke les semences que Valfrance vient chercher au fur et à mesure.» Jusqu’à l’année prochaine, la Lexion 750 de Claas est remisée au hangar et se pose la question du déchaumage qui va être difficile à réaliser vu la dureté du sol.
«Une moisson efficace et très hétérogène»
Depuis 2016, Julien Grégoire, agriculteur, malteur et brasseur, est la sixième génération à s’installer sur la ferme familiale, à Thieux, dans l’Oise. En EARL avec ses parents, cette exploitation, déjà existante durant la Révolution, a une superficie de 300 hectares. La ferme du Tilloy a décidé de se diversifier vers la brasserie après la récolte catastrophique de 2016.
Considérée comme une ferme classique picarde, l’exploitation produit du blé, de l’orge, de la betterave et du colza. «2016 était ma première récolte. Elle reste et restera dans les mémoires de beaucoup d’agriculteurs et j’espère ne plus revivre cette situation dans ma carrière», explique le jeune agriculteur.
«Cette année catastrophique nous a fait réfléchir. Nous avons donc modifié notre plan d’installation. On en est venu, par la force des choses, à faire du malt à la ferme et de la bière. La diversification nous a permis d’ajouter une valeur ajoutée à l’exploitation. On est en pleine expansion sur le plan brassicole. L’outil de production va être multiplié par 10 durant l’année. Cependant, le contexte actuel fait que l’on est submergé de questions mais qui ne tente rien n’a rien.» poursuit-il.
Mais la moisson 2020 a réservé beaucoup de surprises. «Comme on disait à l’époque : lorsqu’une culture ne va pas bien, l’autre prend le relais. Aujourd’hui, on est dans un contexte où aucune culture n’arrive pour prendre le relais.» En effet, la betterave est loin d’être à son meilleur niveau ! Temps sec, jaunisse, Julien Grégoire «n’ose même plus regarder ses champs».
Ce qui ressort le plus de la bouche de ce jeune agriculteur est l’hétérogénéité. La moyenne de l’exploitation est de 85 quintaux en blé. «Concernant cette culture, il s’agit du contexte habituel, on peut faire des quintaux, mais le prix n’est pas forcément là et inversement.» explique-t-il.
En 2019, il a récolté 99 quintaux/ha, en 2020, il chute à 86. Cela reste tout de même dans la moyenne de l’exploitation. «On a une très grosse hétérogénéité dans les parcelles avec des résultats équivalent à 2019. D’autres parcelles ont totalement décroché, avec 70 quintaux. Cette année, c’est vraiment tout ou rien. Visuellement, du haut de la batteuse, on pouvait apercevoir clairement le découpage des limons et des terres rouges.»
En orge, en 2019, Julien Grégoire avait récolté autour de 90 quintaux et cette année, le résultat tourne à 70 quintaux.
Un résultat qu’il ne trouve pas si mal. «En tant que jeune agriculteur, j’aime prendre moins de risque et jouer le jeu de la coopérative. Je préfère me dire que j’ai une variété stable. Elle ne crèvera donc jamais le plafond, mais elle ne chutera pas non plus.» affirme-t-il.
De plus, cette moisson 2020, selon lui, a été très efficace. «J’entends par là, avec une vitesse d’exécution très impressionnante. Comme on n’a pas eu de pluie, on n’a eu aucune coupure. J’ai pratiquement fait une moisson en six jours alors qu’habituellement, je la réalise entre 8 et 10 jours. On a commencé à battre le 17 juillet jusqu’aux 25 inclus. J’avais une moyenne de 40 hectares battus par jour. On a eu également beaucoup de chance de ne pas avoir subi de panne, ni d’incendie…» conclut Julien Grégoire.
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