L'Oise Agricole 04 décembre 2025 a 09h00 | Par Christophe Soulard

Hervé Lapie (FNSEA) : «Le 18 décembre est un coup de semonce»

À quelques jours de la grande manifestation qui rassemblera toutes les forces agricoles européennes, le secrétaire général de la FNSEA, Hervé Lapie, revient sur les enjeux agricoles actuels et futurs.

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Pour Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA, «nos dirigeants à Paris et Bruxelles doivent prendre conscience que le secteur agricole est éminemment stratégique.»
Pour Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA, «nos dirigeants à Paris et Bruxelles doivent prendre conscience que le secteur agricole est éminemment stratégique.» - © VF

Quelles sont les raisons qui vous poussent à manifester le 18 décembre ?

Ces raisons tiennent en peu de mots : redonner des perspectives et une vision au monde agricole français et européen. Nos dirigeants à Paris et à Bruxelles doivent prendre conscience que le secteur agricole est éminemment stratégique. Nos compétiteurs chinois, russes, américains notamment ont intégré l’agriculture dans leurs stratégies de défense, jusqu’à en faire un pivot essentiel. Pendant qu’ils réarment leur secteur agricole et agroalimentaire, la Commission européenne déconstruit et sape les fondations de la Pac sans la-quelle l’Europe n’aurait pas vu le jour. Le délitement aujourd’hui à l’œuvre est tel que les distorsions de concurrence touchent les pays européens entre eux, au sein même de cette Union à 27.

À propos de libre-échange, ne pensez-vous pas que les jeux sont déjà faits en ce qui concerne le Mercosur contre le-quel vous allez manifester ?

Depuis 1999, nos réseaux JA FNSEA combattent cet accord, comme bien d’autres ! Il est hors de question d’accepter d’importer des produits alimentaires et agricoles, produits chez nous, ne respectant pas nos normes sanitaires et environnementales. C’est une provocation et une in-justice envers nos paysans. Nous refusons des accords qui sacrifient nos producteurs au profit d’importations à bas coût. Cela étant, ce commerce nécessite d’être régulé, c’est-à-dire d’avoir des règles claires, équilibrées et je dirai même réciproques. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. C’est ce que nous dénonçons à la FNSEA depuis déjà des années.

Si l’accord du Mercosur est validé, quelle va être l’attitude de la FNSEA ?

La France, par la voix du président de la République doit peser pour trouver la minorité de blocage et imposer que le Parlement européen s’exprime. Ursula von der Leyen œuvre pour passer son accord en s’affranchissant des parlements nationaux et européen. Pire, elle ne souhaite pas que la Cour de justice de l’Union européenne s’exprime alors qu’elle est saisie ! À l’heure, où l’on parle de bilan carbone, de climat, de déforestation importée etc., nous allons détruire des productions locales au profit d’importations si-tuées à des milliers de kilomètres. Franchement, cela n’a pas de sens ! Si l’Europe doit exporter ses voitures, aéronautiques, services ... ok, mais pas en sacrifiant ses paysans. On veut nous vendre des clauses de sauvegarde qui ne sont en rien des clauses de réciprocité des normes !

Le 18 décembre, vous allez aussi manifester contre la réforme de la Pac. Quelles sont les pro-positions de la FNSEA pour cette réforme ?

Les propositions de la Commission européenne sur la future Pac sont très loin de répondre à nos attentes, car elles ne portent aucune ambition. La Pac est diluée dans un fonds unique qui n’a plus rien de commun. Notre souhait est simple : revenir aux fondamentaux de la Pac dans tout ce qu’elle a de commun avec une règle très simple : À marché unique, règles uniques. Elle doit aussi recréer du lien entre l’agriculteur et le consommateur. Ce budget qui est programmé avec une baisse de 20 % doit être réécrit en maintenant au minimum le budget précédent augmenté de toute l’inflation que nous avons perdue au passage depuis des décennies. Il faut que la Commission européenne retrouve une ambition autour de la production. Rien qu’en France, nous avons perdu depuis vingt ans : 28 % de production ovine et bovine, 13 % de notre production de volailles, 9 % en porc, 12 % en fruits, 4 % en légumes… le tout compensé par des importations de l’ordre de +81 % pour les viandes, +30 % pour les fruits et légumes. Pour la première fois depuis 1978, la ba-lance commerciale agroalimentaire française va passer dans le rouge. Que faut-il de plus pour réagir ? La future Pac devra être construite autour du revenu, de la production et du renouvellement des générations et incarner ce socle quasi identitaire d’une Europe économiquement forte.

N’avez-vous pas l’impression que les pouvoirs publics françaises et européens s’acharnent sur le secteur agricole : directive IED, MACF, interdiction des molécules, restriction d’utilisation de l’eau, etc. ?

Nous faisons face à des hommes et des femmes politiques trop souvent dénués de bon sens et coupés des réalités. Les agriculteurs attendent des projets, de la recherche, de l’innovation… pas des taxes et des interdictions sans solutions. Les moyens de productions sont nécessaires sur nos fermes, engrais, produits de santé végétales et animales, génétique. Le dossier concernant les NGT doit avancer pour ré-pondre aux enjeux des maladies, des ravageurs ainsi que l’adaptation à l’évolution du climat. Il est vrai que le sentiment d’abandon n’est parfois pas éloigné de celui de l’acharnement. Ces politiques devraient mesurer l’impact des décisions qu’ils prennent car elles pèsent sur les comptes d’exploitation, les comptes de résultat, sur les revenus, les investissements…

La pression syndicale agricole s’est accentuée ces derniers mois, notamment avec la loi Duplomb, le Mercosur… L’an-née 2026 s’annonce-t-elle aussi chargée que 2024 et 2025 ?

Le 18 décembre est un coup de semonce. Des tours de chauffe ont actuellement lieu un peu partout en France, dans les départements. Il est nécessaire de trouver des solutions conjoncturelles à toutes les filières qui se trouvent en crise et donc les agriculteurs. Nous nous retrouverons à Bruxelles pour porter la voix de l’agriculture française et européenne avec nos collègues du Copa. Pour enrayer la débâcle, dont notre balance commerciale illustre parfaitement la situation, il faut un électrochoc politique. L’Europe et la France doivent re-trouver le chemin de la raison, de la performance, de la production alimentaire et énergétique. Nous sommes exaspérés de l’opposition entre l’acte de production et la protection de notre environnement. Il faut retracer un projet partagé entre les citoyens consommateurs et les agriculteurs en assurant des revenus aux paysans. Le combat est âpre, difficile mais nous le menons sans faillir, en responsabilité.

Engrais : les demandes portées par la France pour limiter l’impact du MACF

À l’occasion de son audition le 19 novembre par les sénateurs de la commission des Affaires économiques, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a détaillé les mesures portées au niveau européen par la France pour limiter les effets négatifs du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) sur les prix des engrais. La ministre a listé trois demandes : «retirer le malus de 30 % qu’imposerait le MACF a tout engrais importé» – une demande sur laquelle elle se dit «assez sceptique» concernant ses chances de réussite, étant donné que la France elle-même avait porté la création de ce mécanisme. La deuxième mesure portée est de «baisser les droits de douane de certaines destinations clés comme l’Égypte, les États-Unis ou Trinité et Tobago» ; et la troisième est de «revoir les secteurs soutenus à l’export pour y inclure les céréales».

À l’issue de la rencontre, le 12 novembre à Toulouse, d’Emmanuel Macron avec des élus de la FRSEA Occitanie, l’Élysée avait confirmé que la France allait «chercher à annuler l’impact du MACF pour la filière céréalière», sans préciser de calendrier ni de mode opératoire. Prudent, Matignon avait indiqué à Agra Presse que «les marges de manœuvre [étaient] en cours d’expertise».

Comme elle l’avait annoncé quelques jours plus tôt, la ministre de l’Agriculture a évoqué le sujet lors d’une réunion du Conseil des ministres de l’Agriculture de l’UE le 17 novembre. «Il y a un point particulier que je souhaite évoquer pendant ce Conseil, c’est le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et ses effets sur le coût des engrais, a-t-elle déclaré avant la réunion. Les céréaliers français sont extrêmement inquiets et les cours mondiaux sont bas et le mécanisme carbone appliqué aux engrais va renchérir énormément les coûts de production. Nous avons une situation alarmante et la position française est que nous puissions trouver les moyens de neutraliser ce surcoût portant sur les engrais céréaliers.»

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