L'Oise Agricole 11 décembre 2025 a 08h00 | Par Christophe Soulard

La guerre agricole qui se prépare…

La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a réuni le 8 décembre à Rungis, l’ensemble des acteurs de la filière agricole et agroalimentaire, pour lancer les conférences de la souveraineté alimentaire. Le temps pour réarmer l’agriculture française et toute la chaîne de valeurs semble compté.

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- © Actuagri

Les chiffres parlent d’eux-mêmes et la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, l’a rappelé. La balance commerciale agroalimentaire française, qui était et demeure l’un des fleurons de notre rayonnement est mal en point.

Pour la première fois depuis 1977, elle pourrait devenir déficitaire. Il y a quatre ans, en 2021, son solde était excédentaire de +8 milliards d’euros (Md€). Le chantier pour reconquérir des parts de marché à l’intérieur de l’Hexagone est donc immense, d’autant que la guerre alimentaire semble déjà déclarée si l’on en croit les chiffres que «Le Grand réveil alimentaire» a soulignés : un quart de la viande bovine que nous consommons en France est importée alors que nous sommes le premier producteur européen ; un poulet sur deux est lui aussi importé, souvent avec des normes ne répondant pas aux standards européens.

Enfin, nous exportons 70% de notre blé dur mais les 2/3 des pâtes que nous mangeons viennent de l’étranger, faute d’outils de transformation en France.

 

«Compétition plus âpre»

De plus, sous l’effet de la crois-sance démographique*, la demande alimentaire va fortement augmenter alors même que la production va se retrouver contrainte sous l’effet de nombreux facteurs : contexte géopolitique, droits de douane, réchauffement climatique, moindre renouvellement des générations etc.

«La voie est donc ouverte à une compétition plus âpre encore», a martelé Annie Genevard. D’ailleurs, la Russie qui était importatrice nette de blé en 2010 est devenue aujourd’hui le premier pays exportateur au monde, a indiqué l’agroclimatologue Serge Zaka.

Les intervenants à ce rassemblement placé sous le signe du «Grand réveil alimentaire»**, ont souligné la nécessité d’anticiper le réchauffement climatique. Car il va contraindre les agriculteurs à abandonner certaines cultures au profit d’autres. Le réchauffement climatique permet ainsi à la Rus-sie de gagner plusieurs dizaines de milliers d’hectares chaque année, notamment pour la culture du blé d’hiver.

En France, les cultures sont remontées de 200 à 300 km en l’espace de 60 ans. «Ce qui fait que les rendements de blé vont augmenter dans une frange nord-ouest de la France (Bretagne, Normandie…) mais qu’ils vont régresser dans le sud (…) Aujourd’hui, la production d’abricot bergeron remonte vers la Bourgogne, l’Alsace et le Bassin parisien, car les températures trop douces l’hiver ne permettent plus la vernalisation», a souligné Serge Zaka.

 

«Naïveté»

Le directeur du Club Demeter, Sébastien Abis, a lui aussi appelé à réarmer l’agriculture, en tenant compte des attentes du consommateur, des conséquences du changement climatique et étant attentif aux disruptions alimentaires et socio-culturelles qui peuvent provoquer de nouveaux comportements, à l’image des coupe-faim ou de la nutrition dirigée par l’intelligence artificielle.

Sur un plan plus commercial, il conseille de s’inspirer de l’exemple italien : «Leurs identités régionales sont très fortes, leur tissu agro-industriel est très fragmenté. Malgré tout, ils parviennent à ne parler que d’une voix à l’export», a-t-il affirmé. Re-conquérir des parts de marché à l’intérieur des frontières françaises et européennes nécessit-ra de ne plus être à la remorque des grandes puissances (Russie, États-Unis, Chine…) qui ont fait de l’agriculture et de l’alimentation une arme de guerre au même titre que les porte-avions, les drones, canons et autres fusils d’assaut.

«Toutes ces puissances anticipent la montée en intensité de la guerre agricole en réarmant leur puissance verte», a observé Annie Genevard. Encore faut-il que l’Europe en prenne conscience. Or, la ratification du Mercosur et le projet de Pac 2027 ne tiennent pas compte de ces données. C’est pourquoi Annie Genevard a exhorté à sortir de la «naïveté» ambiante.

«Sur notre continent, nous devons lutter contre les tentations de la décroissance portées par quelques thuriféraires du décadentisme. Et depuis peu contre les tentations de décommunautariser et de désarmer la Pac, elle qui a pourtant fait la réussite agricole de l’Europe», a-t-elle dit. Si l’écri-ture d’un nouveau pacte avec la société reste indispensable pour assurer la souveraineté alimen-taire, celui-ci ne pourrait pas faire l’impasse sur une hausse de la production, sur celle des revenus, des investissements, sur la nécessité de développer les nouvelles technologies… N’est-il pas trop tard?

* + 2 milliard d’habitants en 2050 soit près de 10 milliards d’hab. sur Terre

** La FNSEA a décliné l’invitation du 8 décembre mais a annoncé participer aux travaux des conférences de souveraineté alimentaire. En revanche, on pouvait noter la présence de La Coo-pération agricole (Dominique Chargé) et des Jeunes agriculteurs (Pierrick Horel, président et Quentin Le Guil-lous, secrétaire général).

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