L'Oise Agricole 04 juillet 2021 a 10h00 | Par Sebastien Duperay

«Les gens ont des points de vue faciles, alors que c'est plus compliqué que cela»

Âgée de 24 ans, Marine de Francqueville est réalisatrice de films d'animation et illustratrice. Elle vient de publier Celle qui nous colle aux bottes, aux éditions Rue de l'Echiquier. Une bande dessinée où elle confronte son point de vue à celui de son père, cultivateur dans l'Aisne. Un regard honnête, sans tabou et richement documenté sur l'agriculture et ses enjeux contemporains.

Abonnez-vous Reagir Imprimer
Âgée de 24 ans, Marine de Francqueville est réalisatrice de films d'animation et illustratrice.
Âgée de 24 ans, Marine de Francqueville est réalisatrice de films d'animation et illustratrice. - © Marine de Francqueville

Comment est né votre projet de bande dessinée sur l'exploitation familiale ?

Marine de Francqueville : Il est né de la différence que j'ai constatée entre les discussions que j'avais avec mes amis à Paris, qui s'intéressaient à l'écologie, s'inscrivaient à des Amap et baignaient, comme moi, dans ce mouvement-là, et celles que j'avais avec mon père, lorsque je rentrais chez mes parents et que j'allais l'aider sur la ferme. Je le titillais en lui parlant de ce que j'entendais à Paris, qu'il ne fallait pas mettre de produits chimiques, que c'était horrible... Lui m'expliquait sa vie à lui, dans les champs, et était très énervé par tout cela : il se sentait attaqué. La question de cultiver et de se nourrir m'intéressait ; et je trouvais qu'il y avait quelque chose à expliquer sur ce décalage entre ceux qui en parlaient, mais n'étaient pas sur les terres et ceux qui l'étaient, mais se braquaient aussi... Les gens ont des points de vue parfois un peu faciles, alors que c'est plus compliqué que cela.

Comment votre point de vue à vous a-t-il évolué au fil de votre travail ?

M. de F. : Mon regard sur l'agriculture a changé, c'est sûr. D'abord, parce que tout le monde sur terre souhaite que les choses se passent bien, et personne n'a envie de mettre des produits chimiques dans ses champs pour se pourrir la santé. C'est ce que dit mon père à la fin de la bande dessinée. Sauf que le lieu où l'on se trouve, l'époque où l'on vit où les politiques en place à ce moment-là dictent aussi des pratiques, qui ne sont pas les mêmes au fil des générations. J'ai bien compris que mon papa essaie de bien faire, pense bien faire et fait sûrement bien dans plein de domaines ! La première étape a été celle de l'empathie, pour comprendre le travail de mon père et ne plus m'énerver [rire]. L'étape d'après a été de me documenter sur les époques pour comprendre ce qui l'avait amené à ses pratiques, tout en gardant en tête que, pour moi, elles n'étaient pas durables. Nous avons rencontré plusieurs voisins agriculteurs. J'ai aussi constaté que beaucoup d'agriculteurs bien intentionnés n'avaient pas le temps de se documenter ni les moyens de changer leurs façons de faire, car cela coûte cher de passer, par exemple, d'une agriculture conventionnelle à une agriculture biologique.

Comment votre regard sur votre père et sur son travail a-t-il changé ?

M. de F. : Mon père est passé de méchant à victime de la société puis à futur acteur de ses champs ! Mais avant que l'on discute, il était déjà bien acteur, il se questionnait déjà sur ses pratiques. Ce n'est pas moi qui suis arrivée et l'ai fait changer complètement d'avis. C'était aussi chouette de faire ça à deux ! Aujourd'hui, beaucoup de choses dysfonctionnent sur la planète et les agriculteurs sont des victimes faciles. Ce n'est vraiment pas juste, car on fait tous comme on peut pour gagner sa vie et faire ce que l'on aime.

Dans l'une des planches, votre papa vous explique comment il utilise le moins possible de glyphosate. Ne pensez-vous pas que les choses changent ?

M. de F. : Oui, complètement ! On met les agriculteurs dans des cases, c'est ridicule. Quand il m'a expliqué son raisonnement, j'ai trouvé cela très intelligent. On essaie de faire avec notre temps, les technologies ont du bon... même si pour avoir des «super tracteurs», il faut aussi les fabriquer et ça ne doit pas être tout rose [rire]... Comme mon père le dit à la fin : il faut essayer de voir toutes les solutions qui existent et multiplier les chemins pour essayer de faire un peu mieux, voire beaucoup mieux.

Au début de l'histoire, votre posture est assez moralisatrice, mais elle s'estompe au fil des pages... Que pensez-vous des jugements de la société sur l'agriculture ?

M. de F. : J'espère que l'enveloppe de moralisatrice tombe au fil de l'histoire [rire]. Le but, c'était de dire : on a tous des idées, mais il faut peut-être aller au-delà des préjugés pour voir ce qu'il en est vraiment dans la réalité. Je trouve que les jugements de la société ne sont pas assez nuancés, ils manquent de sources et s'arrêtent à des préjugés. Cela étant, même si on ne connaît pas tout sur tout, donner son avis, même faux, permet de faire réagir. Il ne faut pas se mettre un scotch sur la bouche parce qu'on n'a pas lu plus de trois livres sur l'agriculture ! Il y a en revanche un côté très énervant de ceux qui n'y connaissent rien et qui critiquent les agriculteurs conventionnels alors que ce n'est pas si évident que cela.

À un moment de l'histoire, votre papa dit qu'il partira dans 5-6 ans à la retraite et qu'il n'a pas très envie de changer. La fin de la BD nous dit le contraire. Que s'est-il passé ?

M. de F. : Ce n'est pas un argument de dire : «je pars à la retraite donc je ne vais rien faire» ! Surtout que ça peut être un plaisir de changer. Après tout ce que l'on a fait, mon père est en train de se renseigner sur l'agroforesterie et finalement, ça l'éclate ! Ce n'est pas du tout un calvaire : au final, ça peut être la fête de planter des arbres dans ses champs ! Aujourd'hui, on parle beaucoup de sa nouvelle démarche avec mon père.

Réagissez à cet article

Attention, vous devez être connecté en tant que
membre du site pour saisir un commentaire.

Connectez-vous Créez un compte ou

Les opinions emises par les internautes n'engagent que leurs auteurs. L'Oise Agricole se reserve le droit de suspendre ou d'interrompre la diffusion de tout commentaire dont le contenu serait susceptible de porter atteinte aux tiers ou d'enfreindre les lois et reglements en vigueur, et decline toute responsabilite quant aux opinions emises,