Neutralité carbone : les fabricants d'engrais contraints de changer de paradigme
La convergence vers la neutralité carbone de l'industrie française de la nutrition des plantes exige un cadre réglementaire approprié pour la protéger de la concurrence étrangère, moins en accord avec les objectifs environnementaux européens.
La crise sanitaire et le conflit en Ukraine ont mis en exergue la dépendance de l'industrie française de la nutrition des plantes et des agriculteurs à l'égard des importations de matières premières. Elle a subi, simultanément et de plein fouet, les flambées des cours de la potasse, du gaz, de l'ammoniac et de l'électricité tout en étant concurrencée par des importations de fertilisants fabriqués dans des pays où l'énergie est moins chère... aux États-Unis et en Égypte notamment. «À l'avenir, on a besoin de sécuriser notre approvisionnement d'engrais en termes de prix et de volumes», explique Benjamin Lammer, agriculteur et président de la Fédération des oléoprotéagineux (Fop). Augmenter la production décarbonée d'engrais pour rendre la France plus souveraine y contribuera.Le 1er juin dernier, Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation (Uni-fa), s'est justement réjouie d'apprendre qu'Emmanuel Macron, le président de la République, souhaite que la production française d'engrais équivaille à 51 % de la consommation nationale dans les toutes prochaines années. Delphine Guey participait à la table ronde «La nutrition des plantes et la santé des plantes : une industrie de proximité essentielle à la ferme France» organisée par l'Unifa réunie en assemblée générale. L'hydrogène et l'électricité bas-carbone, d'origine nucléaire ou renouvelable, seraient les sources d'énergie employées pour produire ces quantités d'engrais supplémentaires (des nitrates en particulier).
Nécessité d'une politique volontariste
Lors de la table ronde de l'Unifa, les participants ont tenté de bâtir la feuille de route de l'industrie de la fertilisation des plantes pour atteindre la neutralité carbone. «Pour la décarboner, il faut définir une stratégie et planifier les objectifs avec un horizon de plusieurs années», défend D-minique Chargé, président de la Coopération française. La proximité des usines de fabrication d'engrais avec les bassins de production est d'ores et déjà un atout pour réduire leur empreinte carbone. Mais la reconquête de la souveraineté de notre pays en engrais impose des investissements, une visibilité sur les prix de l'électricité et une fiscalité avantageuse. Cette fiscalité, applicable à l'échelle européenne, pourrait prendre la forme d'une «TVA carbone», imposée aux produits importés et remboursée sur les pro-duits exportés. Le gouvernement français et l'Union européenne pourraient aussi fixer un taux d'in-corporation «d'engrais vert» sur le modèle des carburants E10. Cette proportion d'engrais vert serait produite à partir de biogaz ou d'électricité décarbonée. Par ailleurs, une politique de stockage de carbone organique particulièrement incitative améliore-rait le bilan carbone de l'industrie des engrais. En achetant des certificats de carbone, elle financerait par exemple les mesures prises par les agriculteurs pour stocker du carbone dans le sol de leur exploitation ou pour réduire l'empreinte carbone de leurs activités d'élevage. Les aides Pac pourraient aussi être réorientées en faveur de pratiques agricoles «bas carbone».
Combinaison de solutions
À l'avenir, la fertilisation des sols reposera sur une combinaison de solutions très variées. Toutefois, l'Unifa veut continuer à croire que les engrais minéraux resteront in-contournables. Mais ces derniers seront de plus en plus combinés à des engrais organiques et des biostimulants. «Pour réduire les apports d'azote sur mes terres, j'implante toujours mon colza associé à une légumineuse», a déclaré Benoit Piétrement, vice-président de l'AGPB en participant à la table ronde de l'Unifa. L'emploi d'outils d'aide à la décision permettra aussi d'optimiser l'utilisation des engrais et en recourant aux NBT, la sélection de variétés frugales en fertilisants en réduira les apports.
Engrais «bas carbone : «une fausse solution» pour les Amis de la Terre
Dans un communiqué du 2 juin, l'association environnementale des Amis de la Terre dit vouloir «alerter le gouvernement sur le fait que le recours aux engrais de synthèse "bas carbone" est une fausse solution, désastreuse pour le climat et la santé». La veille, le directeur adjoint du cabinet de la ministre de la Transition énergétique, Pierre Jérémie, avait évoqué une «piste exploratoire» pour diminuer l'empreinte carbone des engrais azotés. L'idée serait notamment d'inciter à la vente d'engrais azotés fabriqués avec de l'hydrogène vert. «Les engrais dé-carbonés ne sont qu'un vaste mirage censé permettre à cette industrie polluante de perpétuer ses activités, et qui nous éloigne encore un peu plus d'une véritable transition agroécologique», estime Sarah Champagne, chargée de campagne aux Amis de la Terre. L'association environnementale demande que soit maintenue le projet de taxe sur les engrais azotés à horizon 2024, prévu par le gouvernement dans son projet initial de loi Climat en 2021. «L'épandage d'engrais de synthèse, si décarbonée que soit leur production, continuerait à être fortement émetteur de protoxyde d'azote, un gaz près de 300 fois plus réchauffant que le CO2. Par conséquent, loin d'être la solution miracle promue par l'industrie, les engrais décarbonés continueront à polluer nos sols et notre atmosphère», estiment Les Amis de la Terre.
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