L'Oise Agricole 17 novembre 2022 a 08h00 | Par R.M.

Un plan «engrais» européen avec les moyens du bord

Alors que les producteurs européens d'engrais et les agriculteurs subissent de plein fouet la flambée des prix des engrais liés à ceux du gaz dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Commission européenne, contrainte d'agir avec réactivité, a mis sur la table le 9 novembre un ensemble de mesures visant à limiter l'impact de la crise énergétique.

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Les prix des engrais azotés ont enregistré en septembre une hausse de 149 %.
Les prix des engrais azotés ont enregistré en septembre une hausse de 149 %. - © Reussir/N. Cornec

La pandémie de Covid-19 suivie par la crise énergétique dans le contexte de la guerre en Ukraine ont entraîné depuis deux ans une hausse record des prix des engrais. Les prix des engrais azotés ont ainsi enregistré en septembre une hausse de 149 % sur une base annuelle et ceux de la roche phosphatée de 254 %.

Ces prix prohibitifs poussent aujourd'hui les agriculteurs à retarder leur décision d'achat d'engrais et donc de plantation, ce qui in fine pourrait grandement affecter la récolte 2023. Selon les estimations de la Commission, la baisse des achats d'engrais pourrait atteindre de 20 % sur la campagne 2022-2023. Pour éviter une pénurie d'engrais et garantir des prix abordables, la Commission européenne a, comme annoncé, présenté le 9 novembre une stratégie sur les engrais qui répond d'abord aux besoins des industriels. Elle encourage les États membres, à travers leurs plans d'urgence nationaux, à donner la priorité d'accès au gaz naturel en cas de rationnement. Principal intrant dans la production d'engrais minéraux, le gaz dont les prix se sont envolés en raison de l'approvisionnement incertain en provenance de Russie (40 % des importations européennes avant l'invasion de l'Ukraine), représente à l'heure actuelle près de 90 % du coût variable de production de l'ammoniac dans l'UE.

Dans le but d'alléger les coûts des producteurs européens d'engrais azotés, Bruxelles avait déjà proposé le 19 juillet de suspendre les droits de douane (compris entre 5,5 % et 6,5 %) sur l'ammoniac et l'urée jusqu'à la fin de l'année 2024. L'objectif est d'accroître la stabilité et la diversification de l'approvisionnement en favorisant les importations en provenance d'un plus grand nombre de pays tiers, tout en excluant la Russie (deuxième fournisseur) et la Biélorussie. À l'heure actuelle, cette proposition est toujours entre les mains des États membres. Malgré l'insistance des organisations et coopératives agricoles de l'UE (Copa-Cogeca) et de nombreux eurodéputés de la commission de l'Agriculture, l'exécutif européen refuse par contre de suspendre les droits antidumping définitifs (entre 16 % et 32 %) qu'elle impose depuis octobre 2019 aux importations d'urée et de nitrate d'ammonium en solution originaires de Russie, Trinité-et-Tobago et des États-Unis. Dans un règlement publié le 27 octobre, Bruxelles indique que les conditions de marché ne sont pas réunies pour approuver une telle mesure. Certains éléments indiquent même que la suspension aggraverait encore la situation : les importations faisant l'objet d'un dumping en provenance des pays concernés, notamment Trinité-et-Tobago, entraîneraient une pression supplémentaire sur les prix pratiqués par les producteurs européens d'engrais.

Aides d'État et réserve de crise

Limitée dans sa capacité à soutenir avec de l'argent frais à la fois les industriels et les agriculteurs, la Commission européenne encourage sur le court terme les États membres à mobiliser le cadre temporaire de crise des aides d'État qui a été prolongé pour la deuxième fois le 28 octobre. «Les pouvoirs publics pourraient, par exemple, acheter des engrais à des prix de marché plus compétitifs et à les proposer à des prix inférieurs aux agriculteurs», a précisé le commissaire à l'Agriculture, Janusz Wojciechowski, lors d'une conférence de presse. Il suggère aussi que les États membres veillent à ce que les engrais soient répartis entre les agriculteurs de manière raisonnable et non discriminatoire, notamment en cas de rationnement du gaz. Si les Vingt-sept le demandent, il a également indiqué que la Commission était disposée «à activer la réserve de crise agricole (pour la deuxième année consécutive alors qu'elle n'avait jamais été utilisée auparavant) d'un montant de 450 MEUR pour 2023 afin de soutenir les agriculteurs à partir de mesures exceptionnelles».

Dans sa communication, Bruxelles ajoute que les États membres peuvent également mobiliser un montant maximal de 140 MdEUR en vertu d'un plafonnement des revenus du marché de certains producteurs d'électricité et de la contribution de solidarité. Ces fonds pourraient être ainsi réorientés vers les utilisateurs intensifs d'énergie tels que les agriculteurs ou les producteurs d'engrais. D'autre part, les mesures exceptionnelles récemment proposées dans le cadre des règles de la politique de cohésion 2014-2020 permettraient également aux Vingt-sept de réorienter jusqu'à 40 MdEUR pour aider notamment les PME à faire face à la hausse des prix de l'énergie, souligne la Commission.

Pour améliorer la transparence du marché des engrais de l'UE, Bruxelles a indiqué qu'elle créerait un nouvel observatoire du marché courant de l'année 2023 et qu'elle organiserait des consultations régulières des parties prenantes dans le cadre du groupe d'experts du mécanisme européen de sécurité alimentaire et de crise (institué en novembre 2021 suite à la crise Covid).

Promotion des engrais organiques

En étroite collaboration avec les États membres, l'exécutif européen veillera aussi à ce que les révisions des plans stratégiques nationaux (PSN) de la Pac mettent en avant une utilisation durable des engrais via notamment le recours aux engrais RENURE (azote récupéré du fumier). Sur ce point, Bruxelles présentera au premier trimestre 2023 un plan d'action sur la gestion intégrée des nutriments (azote et phosphore) qui pourrait prévoir des flexibilités de court terme dans le cadre de la directive Nitrates. Des mesures exceptionnelles qui permettraient finalement de réduire la dépendance des agriculteurs européens aux engrais minéraux. Les PSN devront également, insiste Bruxelles, intégrer l'agriculture de précision, l'agriculture biologique ou encore l'utilisation de légumineuses dans les plans de rotation.

À plus long terme, la Commission encouragera également des mesures visant à assurer l'autonomie stratégique en matière d'engrais, telles qu'un meilleur accès aux engrais organiques et aux nutriments provenant de flux de de?chets recyclés (par exemple, les effluents d'élevage). Dans cette perspective, Bruxelles a notamment adopté le 26 octobre une révision de la directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires comprenant des obligations plus strictes en matière de récupération des nutriments des eaux usées, qui peuvent ensuite être réutilisés en agriculture. La Commission entend également soutenir la conversion de l'industrie européenne des engrais azotés à l'ammoniac vert (produit à l'aide d'hydrogène renouvelable et non fossile) et la production de biométhane. Un partenariat industriel européen pour le biométhane a d'ailleurs été lancé le 28 septembre, avec un objectif de production et d'utilisation annuelle de biométhane de 35 Md m3 d'ici 2030. Par ailleurs, Bruxelles assure qu'elle examinera toutes les mesures qui peuvent contribuer à rendre les engrais verts compétitifs sur le marché pendant la transition vers une économie décarbonée.

La France n'envisage pas de subvention à l'achat

Le cabinet du ministre français de l'Agriculture a affirmé le 10 novembre, que «la France n'envisage pas de subvention à l'achat d'engrais». La veille, la Commission européenne a dévoilé sa stratégie pour limiter l'impact de la crise énergétique sur l'approvisionnement des agriculteurs en engrais. Bruxelles encourage sur le court terme les États membres à mobiliser le cadre temporaire de crise des aides d'État qui a été prolongé pour la deuxième fois le 28 octobre. «Les pouvoirs publics pourraient par exemple acheter des engrais à des prix de marché plus compétitifs et à les proposer à des prix inférieurs aux agriculteurs», avait précisé le commissaire à l'Agriculture, Janusz Wojciechowski, lors d'une conférence de presse. Très critique sur le contenu de la stratégie, la présidente du Copa Christiane Lambert avait regretté que Bruxelles «par idéologie, refuse de donner aux agriculteurs des solutions à court terme, mettant en péril la viabilité de nombreuses exploitations». L'organisation européenne proposait de déroger à la directive Nitrates, de suspendre certains droits antidumping aux importations d'urée et de nitrate d'ammonium ou encore d'assouplir la réglementation sur le cadmium pour les engrais phosphatés.

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