L'Oise Agricole 17 septembre 2022 a 16h00 | Par Pierrick Bourgault

Comment sauver les bistrots ruraux ?

Tout le monde les aime, mais ils ferment les uns après les autres. Fédérations et syndicats traditionnels, start-ups et acteurs de « l’économie sociale et solidaire » tentent de réanimer ce lieu de vie des villages.

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Le Moulin d’or à Saint-Biez-en-Belin (Sarthe), du réseau 1000 cafés.
Le Moulin d’or à Saint-Biez-en-Belin (Sarthe), du réseau 1000 cafés. - © Agence de presse

Ceux qui sillonnent les campagnes de France le constatent : se détendre le temps d’un café, bavarder au comptoir avec les habitants d’un village est un plaisir de plus en plus rare. Voies nouvelles et rocades enserrent le voyageur dans leur horizon de bitume, tandis que les bourgs trop urbanisés, aux stationnements limités et aux sens interdits, n’incitent pas à y chercher un café. Ne restent que les bureaux de tabac, la Française des Jeux et les restaurants routiers faciles à identifier, à l’offre simple et au parking vaste. Pourtant, le café est le «parlement du peuple», comme l’écrivait Balzac, ou comme le formulait plus récemment un maire du Massif central : «Un administré énervé, je préfère qu’il passe au café, au lieu de débouler à la mairie !» Le bistrot a longtemps souffert d’une mauvaise réputation, mais l’époque où les autorités se réjouissaient de leur fermeture est révolue. L’offre est rare, mais la demande est forte. Le Covid a fait redécouvrir le charme du tourisme en France, voire l’envie de s’installer dans un village. Bastien Giraud, directeur de la Fédération des bistrots de pays, qui rassemble cent-vingt établissements ruraux du Sud et en Picardie, témoigne des difficultés pour embaucher du personnel : «J’ai vu un couple de restaurateurs refuser des clients, alors que des tables étaient vides, et entendu ces clients répliquer : «Vous ne voulez pas bosser !» Ce couple travaillait déjà 80 h par semaine, jusqu’à épuisement».

Changer les lois…

Nathalie Hebting, responsable éditoriale du syndicat UMIH (Union des métiers et des industries de l'hôtellerie) le confirme : «En plus de la cuisine et du service, il y a les tâches du bureau. Les jeunes qu’ils pourraient embaucher n’ont pas forcément de voiture et doivent se loger. La campagne concentre les difficultés, car les établissements sont isolés pour les livraisons, le personnel, l’administratif et les connexions».

En avril 2018, Roland Héguy, président de l’UMIH, lançait les Assises de la ruralité. Avant les récentes élections présidentielles et législatives, UMIH et GNC (Groupement national des chaînes hôtelières) ont publié Nos propositions pour faire rayonner la France, et recommandé d’inscrire le tourisme comme priorité de l’économie. «C’est un formidable levier de croissance, un secteur d’avenir qui rayonne dans les territoires et les fait vivre. Plus que jamais, un café, un restaurant est le signe d’une activité agricole, artisanale, d’échanges, de partage, qui crée de l’emploi et valorise les circuits courts.» Leurs conseils pour garder ce réseau vivant pour le tourisme vert : ne pas les soumettre aux mêmes normes que les grands établissements urbains et simplifier la transmission. Nathalie Hebting déplore la rareté des reprises : «Les banques ne veulent pas prêter aux jeunes, et les taux augmentent. Si les communes ne s’investissent pas, il n’y a pas d’acheteur.» Elle distingue les établissements dont les gérants n’ont ni emprunts ni loyer, de ceux qui ont dû continuer à les payer durant l’épidémie, s’endetter davantage et qui sont en péril. L’UMIH souhaite aussi simplifier formation et embauche. Des décisions politiques.

… Ou s’y adapter

Sans changer les lois, d’autres initiatives veulent aider les cafés. Julie Lévêque a créé www.commune-opportunite.fr, agence de rencontre pour territoires et porteurs de projets, dans une démarche de «marketing territorial». Mairies et communautés de communes s'inscrivent pour présenter leurs atouts et leur quête. « Première demande, un médecin. Un repreneur pour le café-restaurant vient juste après », confirme Julie Lévêque, non sans humour : «La santé est prioritaire, mais le café permet aux gens de se retrouver, d’aller mieux et ils auront ainsi moins besoin du médecin ! Le café est quasiment un service public.»

La plateforme a permis à Daisy Duquesnois de reprendre celui de La Guyonnière, en Vendée. Sur ce principe de «l’intérêt général», l’initiative 1 000 cafés du Groupe SOS applique les méthodes de l’économie sociale et solidaire, comme le précise Laure Lezat, «chargée du développement et de la communication des activités de lutte contre les inégalités territoriales et pour la mobilisation citoyenne». Selon elle, la municipalité doit être demandeuse et s’investir, non seulement pour les travaux de mise aux normes, mais aussi pour mieux identifier les souhaits des habitants. «L’équilibre économique durable d’un café vient avec le nombre de raisons d’y aller, adossé à l’enjeu de l’intérêt général. Ainsi, un point relais colis ne suffit pas au café pour vivre, mais donne des occasions d’y aller, le fait connaîtr,e et c’est un service à la population». Le projet 1 000 cafés s’implique jusqu’à verser deux salaires de démarrage aux gérants. Actuellement, près de cent cafés sont ouverts ou en cours d’ouverture, et d’autres sont «accompagnés». Avantage : les tarifs négociés avec les partenaires, telle la Sacem, dont la taxation est moins lourde, si par exemple le café souhaite organiser un concert.

Autre initiative venue du terrain : le collectif Culture bar-bars a été fondé par des cafetiers de Loire-Atlantique qui accueillaient concerts et animations culturelles, et se retrouvaient face aux mêmes difficultés : charges sociales, Sacem, statuts juridiques, plaintes du voisinage… Le collectif conseille ses adhérents et fédère chaque année un festival : en 2019, plus de 215 cafés, en ville et à la campagne, ont organisé 670 événements avec des milliers d’artistes. Impossible de dénombrer le public, car l’entrée est gratuite. Ce festival, vraisemblablement le plus important de France, aura lieu du 24 au 26 novembre 2022.

Le menu ouvrier

La plupart des restaurants ruraux proposaient, comme les routiers, un menu copieux et bon marché à moins de 15 €, avec plat, entrée, dessert et boisson. «Il y a de moins en moins de ces menus, qui apportent repos et convivialité aux travailleurs», déplore Bastien Giraud, directeur des Bistrots de pays. Regarder Netflix dans la cabine du camion avec son sandwich est une perte de qualité de la vie. En cause, le Covid qui a initié ces pratiques, et l’inflation. «Les employeurs doivent réajuster leur ticket restaurant. Certains de nos Bistrots de pays ont des menus très accessibles le midi en semaine, et proposent le soir une carte plus gastronomique.»

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