De la ferme à la table : le Parlement soutient les objectifs de Bruxelles
Chahutée mais finalement adoptée, la position du Parlement européen sur la stratégie De la ferme à la table confirme les grands objectifs fixés par la Commission européenne pour rendre la chaîne alimentaire de l’UE plus durable.
Malgré les remous qui ont précédé le vote, le Parlement européen a finalement validé (par 452 voix contre 170 et 76 abstentions), le 19 octobre dans la soirée, sa position sur la stratégie de la Ferme à la table confirmant les objectifs fixés par la Commission européenne. Et même s’il n’a aucune portée légale, ce rapport envoie un signal à la Commission européenne. Les débats houleux qui ont animé les discussions avant l’adoption du texte, autour de la question des études d’impact en particulier, n’ont pas dénaturé le texte sur le fond. Il maintient des objectifs contraignants pour l’utilisation de pesticides et appelle les États membres à définir ces objectifs dans le cadre de leurs plans stratégiques de la future Pac. Les eurodéputés demandent néanmoins une évaluation des effets cumulatifs des différentes mesures de la stratégie afin de s’assurer que le rapport coût-efficacité et les conséquences involontaires soient pris en compte.
«Les tentatives de vider le texte» de sa substance n’ont pas abouti, «un cap clair pour l’avenir de l’agriculture est fixé !», s’est félicité l’eurodéputé des Verts Benoit Biteau. Au contraire de la parlementaire démocrate-chrétienne (PPE) Anne Sander, qui a indiqué avoir «voté contre» cette stratégie :
«Nos tentatives de rééquilibrage du texte prenant en compte les incertitudes existant sur son impact ont été rejetées par une majorité. Je refuse de donner un blanc-seing à la Commission qui ne joue pas franc jeu», a-t-elle réagi. Parmi les 170 députés qui ont voté contre figurent des élus du groupe PPE, des groupes conservateur (ECR) et eurosceptiques (ID). Par ailleurs, les 76 qui se sont abstenus se comptent essentiellement dans les rangs du PPE et de l’ECR.
Des préoccupations entendues
Les détracteurs des propositions de la Commission ont quand même clairement fait entendre - et c’était le but - à la Commission européenne leurs réserves. La discussion très large, qui «a touché de nombreux aspects de la stratégie De la ferme à la table m’a donné une idée du soutien pour la direction que nous devons prendre, mais aussi des préoccupations», a admis la commissaire européenne à la Santé Stella Kyriakides. Et d’ajouter qu’«à aucun moment, nous avons prétendu que cette transition se ferait sans coûts et sans nécessité d’adaptation».
Co-rapporteuse du texte, la néerlandaise Anja Hazekamp (Gauche) a admis avoir été «surprise par l’intensité» du lobbying mené par les organisations professionnelles agricoles qui s’appuient sur plusieurs études d’impact (dont celle menée par le centre commun de recherche de la Commission européenne) montrant les conséquences négatives des objectifs proposés sur la production agricole. La dernière en date, commandée par Croplife (industrie des produits phytosanitaires) et menée par l’Université de Wageningen, table sur des pertes estimées entre 7 et 50 %. Des chiffres que réfute la Commission européenne qui a publié un document listant les très nombreux éléments qui n’ont pas été pris en compte (ou très partiellement) par ces études : changements de comportement des consommateurs, innovation, nouvelles technologies (dont les NBT)... Les modèles utilisés pour prévoir les conséquences possibles des stratégies De la ferme à la table et Biodiversité ont tous leurs limites et «ne sont pas en mesure d’évaluer l’ensemble des impacts des deux stratégies et de prévoir l’avenir», a une nouvelle fois répété la Commission européenne le 18 octobre à la veille du vote du Parlement européen sur sa position concernant cette stratégie. Elle promet que la sécurité alimentaire à long terme sera préservée.
Une étude d’impact globale
Mais ce document met aussi en avant ce que réclament depuis des mois les professionnels : la nécessité de publier une étude d’impact globale. «Cette liste explique parfaitement pourquoi nous demandons depuis le premier jour qu’une étude d’impact complète soit réalisée !», ont répondu les organisations et coopératives agricoles de l’UE (Copa-Cogeca). Une position soutenue par le groupe Démocrate-chrétien (PPE) au Parlement - et le co-rapporteur du Parlement européen, Herbert Dorfmann (PPE) - lui-même qui demande à Bruxelles d’«arrêter de cacher la vérité». À ce stade, le commissaire européen à l’Agriculture Janusz Wojciechowski se contente de répondre qu’individuellement, «chaque loi issue de cette stratégie fera l’objet d’une analyse d’impact».
À l’issue du vote, Herbert
Dorfmann a souligné que les «agriculteurs font déjà un excellent travail, donc quand on leur demande de réduire davantage leur utilisation de pesticides, d’engrais et d’antibiotiques, nous devons les soutenir afin que la production ne vienne pas exclusivement de l’extérieur de l’UE». Dans un communiqué commun, les acteurs de la chaîne alimentaire indiquent désormais attendre «des propositions concrètes de la Commission, notamment sur les angles morts identifiés dans le débat en cours, comme les effets des fuites de carbone, l’autonomie stratégique européenne ou les prix à la consommation». Les jeunes agriculteurs de l’UE (CEJA) espèrent, eux, que les risques potentiels qui émergent de la transition seront pris en compte «y compris l’impact économique à court terme que les agriculteurs porteront très probablement sur leurs épaules».
La sécurité plutôt que la souveraineté alimentaire
L’institut Europe-Jacques Delors estime que «ce qui importe est la sécurité alimentaire, qui implique l’ouverture des échanges, plutôt que la souveraineté alimentaire, qui tend à impliquer le protectionnisme».
Il est indispensable d’aligner la Pac sur la stratégie De la ferme à la table et, plus largement, sur les objectifs du Green Deal, assure dans un rapport publié le 19 octobre le centre de réflexion Europe-Jacques Delors qui propose des pistes pour concilier ces deux politiques. Mais, préviennent les auteurs - l’ancien directeur général de l’OMC Pascal Lamy, la directrice de l’institut Jacques Delors Geneviève Pons ainsi qu’Isabelle Garzon et Sophia Hub -, «ce qui importe, c’est la sécurité alimentaire, qui implique l’ouverture des échanges, plutôt que la souveraineté alimentaire, qui tend à impliquer le protectionnisme».
Selon eux, la relocalisation ne conduira pas nécessairement à une alimentation plus saine, à une plus grande résilience face aux chocs économiques et environnementaux, ni ne protégera la chaîne alimentaire du changement climatique. Ils soulignent également que «les conditions géographiques déterminent le type et la quantité d’aliments qui peuvent être produits, et la diversité des aliments dont nous bénéficions dépend des échanges avec le reste du monde. Le commerce des produits agricoles et alimentaires est donc raisonnable pour assurer une quantité et une qualité adéquates, une diversité, une efficacité (en termes économiques et environnementaux) et des prix abordables».
Partant de ce constat, l’institut Jacques Delors propose trois éléments centraux à l’application des objectifs du Green deal : une stratégie commerciale adéquate pour répondre aux préoccupations de concurrence déloyale des importations, une voie de décarbonation claire pour l’ensemble de la chaîne de valeur et un environnement favorable pour les consommateurs (avec des dispositifs d’étiquetage et de traçabilité).
Des mesures frontalières
Sur la politique commerciale, le rapport suggère : de mettre en oeuvre des mesures frontalières qui appliquent aux marchandises importées des normes environnementales identiques ou similaires aux exigences imposées à la production de l’UE ; de poursuivre les accords bilatéraux avec les partenaires commerciaux sur des normes environnementales plus élevées ; et de redynamiser la coopération multilatérale sur l’harmonisation des normes pour le secteur agroalimentaire. Afin d’accélérer la décarbonation du secteur agricole, les auteurs comptent sur un meilleur accompagnement des changements (y compris la transformation des industries d’intrants) ainsi que sur le potentiel des technologies, de la numérisation et des instruments financiers pour susciter les transitions.
Mais, préviennent-ils, cette transformation verte du système agroalimentaire de l’UE ne sera pas couronnée de succès si elle n’inclut pas toutes les parties prenantes le long de la chaîne de valeur, en commençant par les secteurs des intrants et la production primaire, en passant par la transformation, le transport, la vente en gros et au détail et, enfin, le commerce international et la consommation.
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