L'Oise Agricole 30 juillet 2021 a 09h00 | Par Dorian Alinaghi

«L’irrigation est menacée avec un tel projet»

Le Sdage (schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) définit des règles sur la gestion de l’eau (en qualité et en quantité) pour les 6 prochaines années et il doit garantir une gestion équilibrée et durable de la ressource (cours d’eau, nappes souterraines, lacs…) sur tout le bassin et pour tous les usagers. Le projet de Sdage Seine-Normandie est actuellement en consultation publique jusqu’au 1er septembre. Il est impératif que les agriculteurs fassent entendre leur voix. Troisième point : l’irrigation.

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Christophe Thiébaut.
Christophe Thiébaut. - © D.

Christophe Thiébaut, agriculteur à Moyenneville dans l’Oise, fait part de ses inquiétudes.

Vous êtes irrigant sur le bassin de l’Aronde. Quelles sont aujourd’hui les difficultés d’accès à l’eau pour les producteurs de légumes ou de pommes de terre industriels ?

On ne peut pas répondre à cette question sans revenir en arrière, afin de mieux comprendre le cheminement. Le bassin de l’Aronde est historiquement un bassin irrigué. Cela remonte aux années 1970, pour la production de légumes et de pommes de terre. En effet, il y avait dans ce bassin une dynamique agroalimentaire autour de 2 conserveries, une coopérative de pommes de terre et le pôle agroalimentaire de Vic-sur-Aisne. Grâce à des terres qui s’y prêtaient, à un savoir-faire et aussi des agriculteurs qui ont investi dans des moyens de productions, il s’est créé une dynamique longtemps enviée. De ce fait, tout le bassin agricole a été tiré vers le haut, le rendant moins dépendant des aides Pac.

Évidemment, les besoins en eau ont cru avec l’augmentation de la demande agroalimentaire, mais le bassin est au cœur d’une ressource hydrologique importante. Non pas illimitée, mais confortable. Parallèlement, un conflit d’usage est né avec la ville de Compiègne qui a vu ses besoins augmenter au prorata de sa population. N’ayant pas eu l’autorisation de prélever en forêt de Compiègne, pour pallier à ses besoins, elle s’est tout naturellement tournée vers le bassin de l’Aronde en créant un nouveau pompage dont le volume correspond à peu près aux volumes agricoles.

Et là, les problèmes ont commencé car la rivière a montré des signes de faiblesse les années sèches. À partir de ce jour, tous les maux ont porté sur les irriguants. Comment faire face à un tel rouleau compresseur ? De Sdage en Sage et de Sage en Sdage, de modélisation en ZRE et de VMPO en OUGC... le maître mot a été de fermer le robinet des irrigants de ce bassin.

Le développement s’est arrêté net et tous les efforts côté agricole ont porté sur le maintien du volume nécessaire à la sauvegarde de l’économie en place afin de protéger les entreprises et donc les hommes. Mais rien n’y a fait. La marche en avant de la décroissance a été plus forte : d’un besoin de 3,2 millions de m3, nous sommes passés à un disponible de 2,2 millions de m3, soit une baisse de 30 % ! À ce niveau, il est impossible de pallier aux années de sécheresse. Obligation est faite de diminuer les surfaces de productions irriguées.

De plus, face à une crise agricole dont le facteur déclencheur a été la crise de la production betteravière, l’agriculture n’a pas d’autres solutions que de se diversifier vers d’autres productions, souvent dépendantes de l’irrigation. Aussi, les demandes de nouveaux irrigants n’ont de cesse d’augmenter.

À ce stade de la situation, tout est bloqué. Tout le bassin est figé sur lui-même, comme un bateau pris dans la glace. D’un côté, des irrigants contraints de diminuer leur assolement malgré leurs engagements financiers, de l’autre des jeunes qui voudraient développer une nouvelle production, mais à qui on répond qu’il n’y a pas de volumes disponibles, les uns rejetant la responsabilité aux autres et, en face, un dogmatisme environnemental irraisonné et sans limite, prêt à accepter d’importer des produits étrangers pour répondre aux besoins. Voilà la situation où elle en est.

Et si encore, on s’en arrêtait là, mais l’histoire n’est pas finie ! Car le projet funeste de cette administration-là est de diminuer encore et encore le volume alloué à l’agriculture de 20 %, plongeant tous les agriculteurs dans un chaos de tension entre nous tel, que si ces personnes n’acceptent pas les solutions que nous leurs proposons, soit une rébellion naîtra, soit le bassin s’éteindra de lui-même.

Le projet de Sdage prévoit de garantir un équilibre pérenne entre ressources en eau et demandes. Parmi des dispositions prévues, l’établissement de nouvelles zones de répartition des eaux, les prélèvements... Quels sont les dangers pour l’agriculture ?

Le projet du Sdage reprend en effet dans son titre cette notion d’équilibre pérenne entre ressources en eau et demandes. Comment ne pas être d’accord avec cela ? Quiconque sur cette planète ne peut pas y être opposé. Le problème, c’est que derrière cette idéologie, se cache la vérité. La réalité de la décroissance.

Depuis des années; nous travaillons, nous profession agricole, de concert avec les instances responsables de ce sujet de l’eau. Nous sommes les premières victimes du dérèglement climatique : des années trop sèches comme les deux dernières années, puis trop humides comme cette année.

Il faut repenser tout le système. On ne peut pas continuer à subir les restrictions drastiques quand il fait sec et subir les inondations quand elles arrivent, sans rien faire. Des solutions, si on s’en donne les moyens, il y en a. À ce jour, il n’y a pas la volonté politique. Le pouvoir n’est plus dans les mains de nos élus ; d’ailleurs, la crise de la démocratie à l’occasion des dernières élections le prouve. Le courage politique n’existe plus. Aussi, que propose le Sdage ? Nouvelles ZRE, réduction des prélèvements, contraintes administratives...

La ZRE sur le bassin, on connaît bien. C’est une machine administrative à vous déposséder de tout. Jamais on aurait dû laisser cela se faire ! Il faut dénoncer cette machine à broyer. Il n’y a rien à construire avec ce genre d’outil.

La ZRE impose la création d’un organisme unique (OU), mais on peut faire un OU sans être sous la contrainte d’une ZRE. C’est pourquoi, je le dis haut et fort à la profession, ne rentrez jamais dans ce genre de piège, car il se refermera sur vous comme il s’est refermé sur nous. Nous sommes rentrés en ZRE en une séance d’une heure, à l’occasion d’un vote, à une voix contre. Je ne désespère pas d’en sortir un jour, grâce au soutien d’un cabinet d avocats, mais cela prendra des années !

Le projet de Sdage prévoit de définir les modalités de création de retenues et de gestion de prélèvements associés à leur remplissage, et de réutilisation des eaux usées. Que faut-il comprendre ?

Comme je l’ai évoqué précédemment, les solutions existent. Globalement, la pluviométrie ne fait pas défaut. Pour ma part, je tiens un registre des pluies tombées mois par mois depuis 40 ans, sur mon village, et je peux affirmer que je ne vois pas de tendance à la baisse annuellement. Le problème, et les organismes scientifiques en conviennent, c’est la répartition dans le temps.

C’est la caractéristique du dérèglement climatique dans nos régions : des périodes très chaudes et très sèches (année 2020) et des périodes très humides avec des conséquences dramatiques comme en Allemagne. Donc, la solution coule de source si on peut dire : il faut se doter de moyens de stockage pour rééquilibrer la répartition.

En 2020, nous avons manqué d’eau d’irrigation, entraînant un dépassement du volume qui aura des conséquences pénales de plus en plus lourdes. En 2021, nous subissons l’excès inverse. À ce jour, nous avons consommé 10 % de nos volumes.

La campagne n’est pas finie, mais il y a de forte chance que nous soyons largement en dessous de notre disponible. Jamais on ne nous a autorisé la possibilité de stocker ou de reporter ce disponible sur l’année suivante : croyez-vous que cela soit normal ?

Ce que nous proposons depuis des années, repose sur 2 axes. Le premier : puisque le bassin supporte une pression des prélèvements trop forte, nous proposons de prélever une partie de nos besoins depuis un bassin voisin moins contraint. Le deuxième : nous demandons la possibilité de stocker, pendant les périodes hivernales ou plus humides comme cette année, le volume qu’il nous manque pour répondre à la demande. Cela est de bon sens et ne nuirait pas à l’environnement, car tout cet excédent va de toute façon à la mer et, par conséquent, est perdu.

Les dispositions du Sdage en projet instaure des contraintes tellement fortes sur ces possibilités que je viens d’évoquer que, sans les interdire, il les condamne car leur mise en œuvre devient, techniquement et économiquement, impossible. C’est ce que l’on appelle les «modalités de création de retenues».

Et c’est ce que j’appelle le manque de courage politique, car combien d’élus connaissent ce projet de Sdage au fond ? Et ses conséquences pour les cinq prochaines années (durée minimum d’un Sdage) ? La constatation, à la lecture de ce projet de Sdage, est sans appel. On ne veut pas avancer vers la mise en place de vraies solutions.

Heureusement ou malheureusement, tous les Sdage ne sont pas écrits de la même manière. Celui du bassin Seine-Normandie , dans sa partie gestion quantitative, est certainement le plus mal orienté. D’autres régions arrivent à créer des réserves, même si cela ne se fait pas toujours sans difficultés, mais des projets sortent, donnant quelques espoirs à la nouvelle génération qui arrive.

L’irrigation vous paraît-elle menacée à la lecture de ce projet ?

Bien sûr, l’irrigation est menacée avec un tel projet. Bien sûr, nous sommes inquiets. L’agriculture du département de l’Oise ne pourra pas retrouver un souffle nouveau si plus aucun projet n’est possible tant les contraintes et autorisations sont insurmontables.

Il faut que l’ensemble de la profession, mais pas que, aussi toute la société comprenne que les terres qu’ils traversent chaque jour sont là pour les nourrir et que cela ne pourra se faire sans recours à une irrigation maîtrisée, intelligente et réfléchie.

Si plus aucun projet n’est possible, j’ai bien peur que les jeunes s’écartent de notre métier tant les contraintes sont dures et la rentabilité faible. La valeur de ces exploitations est menacée car les banques ne suivront pas, et aucun système d’aléas climatiques ne tiendra. On voit déjà les limites du système actuel dont certaines compagnies d’assurances s’éloignent car les indemnisations reviennent d’année en année.

Alors messieurs les élus, prenez ce sujet à cœur et ambition. Lisez dans les petites lignes ce projet de Sdage et vous verrez que tout est fait pour que rien ne bouge. Et surtout, regardez les pays autour de nous, car c’est ceux-là qui vont nous envoyer notre nourriture.

Manifestez votre opposition au Sdage

- Pour mieux comprendre les lourds enjeux qui pèsent sur l’agriculture de l’Oise, le webinaire organisé par les Chambres d’agriculture à regarder sur https://www.youtube.com/watch?v=gu-pGSoSF2E

- Pour participer à la consultation publique qui dure jusqu’au 1er septembre : formulez librement vos observations en envoyant votre réponse sous format libre à sdage@aesn.fr ou directement à la consultation du public en cliquant ici : https://s1.sphinxonline.net/surveyserver/s/AESN/ConsultationSDAGEPGRI/accueil.htm#2

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