La filière régionale prend son destin en main
La filière laitière bio vit une crise depuis quelques semaines laissant penser qu'une baisse de la consommation serait amorcée. Structurelle ou conjoncturelle ? Qu'importe, la filière régionale a décidé d'organiser les assises de l'élevage bio le 10 novembre à Saint-Laurent-Blangy (62) pour agir.
Crise structurelle ou conjoncturelle ? Telle est la question que se posent actuellement les producteurs de lait bio. En effet, il y a quelques semaines, les collecteurs et transformateurs ont annoncé une production suffisante par rapport à la demande. Avec, pour conséquence, une chute des prix. «Une petite crise qui donne un signal fort à la filière laitière bio», prévient Mickaël Poillion, administrateur à Bio en Hauts-de-France à l'occasion des assises de l'élevage bio organisées le 10 novembre à Saint-Laurent-Blangy (62).
150 millions de litres attendus
Pour comprendre, Corentin Puvilland, chargé d'études à l'Institut de l'élevage, a présenté un panorama de la filière laitière bio. «En France, elle s'est structurée par à-coups. La conversion au bio s'amplifie à chaque fois que les écarts de prix entre le bio et le conventionnel sont importants. La dernière grande vague de conversion au bio date de 2015, lorsque les prix du conventionnel ne couvraient pas les charges. Or, avec une période de conversion de trois ans, nous subissons encore les dernières. Plus de 150 millions de litres de lait bio sont attendus d'ici le second semestre de 2022, ce qui représente plus de 300 élevages.»
En attendant, la collecte de lait bio français a déjà augmenté de 12 % en un an, avec un pic à 19 % en août. Ainsi, à ce rythme la France est en passe de devenir le premier pays producteur de lait bio (devant l'Allemagne) l'année prochaine. Plus localement, en Hauts-de-France, les volumes de lait bio collectés ont doublé en cinq ans. De plus, cette année, la production de lait a été boostée par une bonne pousse de l'herbe.
Le bio délaissé ?
En parallèle, les analyses de panels de consommateurs illustrent un fait de société : la consommation de lait frais bio, principal débouché, connaît un ralentissement depuis le début de l'année 2021. «La croissance des ventes de lait s'est ralentie et les exportations de poudre de lait sont en recul, principalement à cause d'un ralentissement des importations chinoises», ajoute le chargé d'études.
Le ralentissement de l'engouement des consommateurs envers le bio s'explique par différents facteurs. Le premier étant la crise économique engendrée par la Covid 19. «Avec l'incertitude économique, on imagine que les ménages français réalisent des arbitrages sur les produits chers et préfèrent épargner, constate Corentin Puvilland. L'épargne des Français n'a jamais été aussi importante. Il faut le rappeler, le prix du bio reste le premier frein à la consommation.»
Une segmentation du marché
À cela s'ajoute une image des produits certifiés bio qui se dégrade, le taux d'adhésion s'érode d'année en année. Cela va de pair avec la multiplication des segmentations du marché. «Les laits équitables, locaux, écologiques prennent des parts de marché au bio, remarque le chargé de mission. Les achats de lait produit localement progressent. 62 % des consommateurs préfèrent acheter un lait local non bio plutôt qu'un lait bio produit assez loin.»
«Cette surproduction est un signal négatif pour tous les éleveurs ayant pour projet de se convertir, regrette Sophie Tabary, administratrice chez Bio en Hauts-de-France. Or le bio est la méthode de production la plus pertinente pour contrer le changement climatique.»
Cependant, le lait bio pourrait tout de même avoir de beaux jours devant lui. «La loi Egalim est un bel espoir pour la filière, ajoute le chargé d'études à l'Institut de l'élevage. 20 % de la restauration publique doit contenir des produits bio, cela représenterait 70 à 80 millions de litres de lait vendus par ce biais chaque année.» Autre levier : la demande en lait bio des autres pays européens qui pourrait être un axe de développement.
Huit propositions
Réunis le 10 novembre, les membres du conseil d'administration ont planché sur les moyens de redonner un nouveau souffle à la filière. Huit propositions ont été dévoilées. «Nous n'avons plus envie de subir, nous voulons reprendre en main la filière», annonce Godefroy Dutertre, membre de la commission lait à Bio en Hauts-de-France. L'un des gros enjeux de la production de lait bio reste la saisonnalité. Au printemps, notamment, où la production est plus élevée, les cours du lait chutent. Or l'élevage bio est basé sur l'alimentation à base de fourrages et donc lié à la saisonnalité de ceux-ci.
Deux propositions concernent cet aspect : valoriser le lait de printemps à travers des accords entre les laiteries régionales. «L'idée est de créer un lieu de rencontre avec toute la filière afin de valoriser ces volumes de lait», ambitionne Yannick Przeszlo, administrateur. «Nous devons changer le rapport que nous avons au sein de la filière. On peut bien travailler collectivement sans être toujours dans un rapport de force», estime Mickaël Poillion.
L'autre moyen de le valoriser passe par l'investissement commun dans un outil de transformation. «Nous ne voulons pas changer tout le système, juste reconquérir des outils de transformation que nous avons perdus», tempère Godefroy Dutertre.
Mieux communiquer
Un autre levier concerne la communication autour du label. «Nous sommes en train de perdre la bataille de la communication autour du bio», lance l'un des administrateurs. Dans la même veine, la commission souhaite rendre le métier plus attractif. «Il faut arrêter de dire qu'être éleveur de vaches laitières, c'est le bagne, insiste Mickaël Poillion. Je suis heureux de faire ce métier. On peut être éleveur et bien gagner sa vie et travailler dans de bonnes conditions.» Pour ce faire, un plan de communication a été proposé pour être capable d'attirer de la main-d'oeuvre dans les fermes.
La filière souhaite également créer une instance régionale réunissant les laiteries bio pour organiser et piloter les conversions au bio afin de valoriser tous les nouveaux volumes de lait. Par ailleurs, une caisse de péréquation pourrait être créée pour reconnaître les services rendus par les éleveurs Biolait, acteur principal et historique dans le développement de l'agriculture biologique.«Une épargne citoyenne et un réinvestissement de la valeur créée en aval permettraient de financer les recherches et le développement de projets innovants, explique Sophie Tabary. Le risque ne doit pas être pris que par l'éleveur.»
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