L'Oise Agricole 30 septembre 2022 a 15h00 | Par I. L., M. R., J. G.

Les conversions bio marquent le pas

Au Space, l'Agence bio a dévoilé des chiffres confirmant les craintes, avec une baisse de 37 % des conversions, et une hausse de 42 % des arrêts de certification sur un an. Une dynamique que regrettent certains acteurs du bio, mais qui pourrait aider les filières en difficulté.

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La grande distribution a réduit la taille des rayons bio au nom du pouvoir d'achat.
La grande distribution a réduit la taille des rayons bio au nom du pouvoir d'achat. - © Les U de Vendée

mais ne sont pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour les autres. D'après les chiffres dévoilés par l'Agence bio au Space le 15 septembre pour la période entre janvier et fin août, les conversions ralentissent de 37 % sur un an, et les arrêts de certifications bio marquent parallèlement une hausse de 42 %. «De gros changements», résume-t-on au sein de l'agence, alors que les chiffres étaient restés plutôt encourageants en 2021.

Dans le détail, les conversions entre le 1er janvier et la fin août 2022 se sont élevées à 4 071 exploitations, contre 6 411 en 2021 sur la même période. Pendant ce temps, près de 2 174 producteurs bio n'auraient pas renouvelé leur certification, contre 1 533 un an plus tôt. D'après les projections de l'agence d'ici la fin de l'année, la France devrait malgré tout gagner au total 1 000 agriculteurs bio sur un an, soit une hausse de 2 % de l'effectif total.

À chacun ses indicateurs. Pierrick De Ronne, président de Biocoop, souligne quant à lui que ses équipes surveillent de près les arrêts de certifications, redoutant «la déstabilisation des filières». «Repartir en conventionnel, c'est se tirer une balle dans le pied à moyen terme. L'enjeu est de faire entendre les problèmes des filières, et d'y répondre par des hausses de prix légitimes», estime le patron du plus grand distributeur spécialisé français.

Moins de convertis, moins de surproduction

À l'inverse, la Coopération agricole rassure sur les déconversions. «Nous constatons quelques arrêts, mais il n'y a pas de mouvements massifs», estime Bastien Fitoussi, responsable des filières bio. Tout en espérant que le ralentissement soit passager, les coopératives ne regardent d'ailleurs pas forcément d'un mauvais oeil la baisse des conversions, «alors que les débouchés se raréfient», remarque-t-il. Et de rappeler que plusieurs acteurs comme Eureden ou Sodiaal ont stoppé dans les dernières années leurs incitations à la conversion en oeuf et en lait.

La baisse d'enthousiasme des producteurs pour la certification serait due à des facteurs tant économiques que politiques. «Au 15 mai dernier, le cadre sur les aides n'était pas encore clair. Or, on n'engage pas de conversion sans être assuré d'avoir un soutien», observe Jérôme Caillé, président de la commission bio de la Coopération agricole. Dans le même temps, rappelle-t-il, la grande distribution a réduit la taille des rayons bio au nom du pouvoir d'achat et des gammes premier prix. Dès juin 2022, le baromètre publié par l'agence bio a confirmé une baisse de 5 % des références bio entre 2020 et 2021 (données Nielsen).

Pour Julien Sauvée, président de la Frab Bretagne, le phénomène s'expliquerait aussi par l'arrivée de nouveaux acteurs sur le marché depuis 2015. «Nous avons développé une bio difficilement crédible pour le consommateur, avec des opérateurs qui ont lancé des projets surdimensionnés.» Alors que la Fnab plaide pour limiter la taille des élevages bio, «nous avons une responsabilité collective», estime l'élu syndical. Pierrick De Ronne évoque, de même, une forme «d'opportunisme» : «En dehors des cas de difficultés personnelles, on peut se demander si certaines personnes qui se déconvertissent actuellement ne sont pas venues récemment dans le bio parce que le marché était porteur.»

La demande reste pour l'Agence bio le levier principal pour dépasser la tempête. «Il va falloir d'abord stimuler la consommation si nous voulons accueillir de nouveaux agriculteurs», répète Loïc Guines, président de l'agence. Un appel d'air qui pourra venir de la restauration collective ou commerciale, de la transformation, ou encore de nouvelles campagnes grand public à la suite du «Bioréflexe», diffusé récemment à la radio. Tout comme la FNSEA, la Coopération agricole rappelle qu'elle défend, depuis plusieurs années déjà, l'idée de conditionner les aides à la conversion à une forme de contractualisation.

Aides à l'installation : certaines régions zappent la bio

En vue de la prochaine programmation de la Pac, plusieurs régions ont dévoilé leur projet de modulation de l'aide à l'installation, dont elles sont désormais pleinement responsables. Ils sont marqués par des disparités importantes dans le soutien à la bio, certaines régions choisissant de supprimer ou de ne pas créer de primes dédiées, au titre de la simplification.

«La place du bio dans l'installation est un symbole de la politique régionale», prévient Alan Testard, maraîcher breton et secrétaire national Futurs bio à la Fnab (agriculteurs bio). Car même si toutes les régions n'ont pas encore adopté leurs orientations en matière d'installation pour la programmation 2023-2027, plusieurs informations officielles ou officieuses l'inquiètent. La programmation qui se termine, gérée par l'État, imposait une modulation de 10 % sur les montants socles au nom du «projet agroécologique», auquel bio comme HVE pouvaient prétendre. Mais certaines régions - qui auront désormais la main sur l'aide à l'installation - prévoient de fixer un montant unique, ou de limiter drastiquement le nombre de modulations. Interrogé par Agra Presse, le président de la commission Agriculture en Grand Est, Laurent Wendlinger, explique ce choix par la «simplification».

Vers une aide unique en Bretagne

De 17 majorations possibles dans la programmation actuelle, le montant de base de la DJA (20 000 EUR) sera demain assorti de seulement trois primes : 11 000 EUR pour l'agriculture de montagne, 10 000 EUR pour les systèmes de polyculture-élevage, et 3 000 EUR pour les formations suivies dans les trois ans après l'installation. Mais la bio ne ferait plus l'objet de majoration. Pour lui, «l'aide à l'installation est une aide au fonds de roulement, pas une politique d'orientation» et «il faut que les agriculteurs bio vivent par leur filière et non par l'assistanat». Laurent Wendlinger prévoit en revanche de bonifier les aides à l'investissement dédié au bio, et réfléchit à des aides conjoncturelles, conscient de la crise que traverse le secteur. Même choix en Bretagne, où «la DJA unique apparaît comme la meilleure solution», selon Arnaud Lécuyer, vice-président à l'agriculture. Selon les informations de la Fnab, la Normandie devrait également s'inscrire dans ce modèle.

Autant de fausses routes, selon le syndicat bio, qui salue à l'inverse l'architecture retenue par la Nouvelle-Aquitaine. Prévoyant des aides «à la trésorerie», entre 13 000 EUR et 17 000 EUR, la région a créé une modulation de 5 500 EUR pour les installations hors-cadre, ainsi que deux primes distinctes pour la bio. Le bonus ira de 2 000 EUR dès la création d'un atelier certifié, à 10 000 EUR pour les fermes présentant déjà 50 % de SAU bio avant reprise, «afin d'éviter le phénomène de déconversion», précise Jean-Pierre Raynaud, vice-président à l'agriculture. Un dispositif qui, remarque-t-il, «a été construit d'après notre feuille de route Neoterra». Une stratégie de «transition écologique et énergétique» adoptée en 2019, fixant notamment un objectif de 80 % d'exploitations certi- fiées bio ou HVE d'ici 2019.

Les producteurs bio espèrent encore

L'Occitanie reçoit également un satisfecit de la Fnab. Sur un montant de base de 12 000 EUR à 23 000 EUR, les agriculteurs bio devraient toucher une prime de 3 900 EUR au titre de la modulation «agroécologie», soit 1 000 EUR de plus que les producteurs HVE (certification environnementale de niveau 3). Élève moyen selon les critères de la Fnab, la région Auvergne Rhône-Alpes devrait placer, en revanche, sur pied d'égalité la bio, les autres signes de qualité et HVE avec une prime de 6 000 EUR au titre de la modulation «agroécologie», très proche de l'ancien dispositif. Située juste au dessous dans le classement sur lequel planche actuellement le syndicat, la Bour- gogne-Franche Comté accordera une prime de 5 000 EUR à bio et HVE confondues, dans le cadre d'une modulation «valeur ajoutée».

Restent plusieurs régions dont le syndicat attend encore des chiffres, comme les régions Paca, Centre Val-de-Loire, ou encore Hauts-de-France. Pour cette dernière au moins, Alan Testard évoque «des signaux positifs». Et même dans les régions qui ont fait le choix d'une DJA unique, «tout peut encore changer», veut-il croire. En Bretagne notamment, la Frab espère encore convaincre plusieurs élus de dénoncer le dispositif envisagé par le président Loïc Chesnais-Girard.

Au final, l'organisation de cette nouvelle programmation, rappelle Alan Testard, se rapproche du dispositif d'aide en place avant 2012. Mais les signaux politiques durant les négociations sur le PSN, tout comme la fin de l'aide au maintien, la guerre en Ukraine, ou encore la conjoncture actuelle dans certaines filières bio, ont pu refroidir l'enthousiasme sur le bio. Résultat : «Certaines régions semblent naviguer à vue.»

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