«Notre stratégie s'inscrit dans notre ADN agricole»
Patrice Grégoire, président du Crédit Agricole Brie-Picardie, et Hervé Vandierendonck, responsable du marché de l'agriculture, se livrent au jeu des questions-réponses sur la situation des agriculteurs et l'accompagnement que la banque met en place.

En cette fin 2023, quel regard portez-vous sur la situation économique des exploitations agricoles de la Région clientes de la caisse Brie Picardie ?
Hervé Vandierendonck : Pour un banquier, l'un des premiers indicateurs visibles de la bonne santé économique des exploitations agricoles est l'évolution des trésoreries. On constate une utilisation moindre des prêts de trésorerie : prêt court terme, montant de découvert, avance de trésorerie... Entre le 30 septembre 2022 et le 30 septembre 2023, ces utilisations ont baissé de 17 %, il s'agit d'un signe positif. Après deux bonnes années de rendements corrects et de bonne tenue des prix, les trésoreries ont pu se régénérer.
Néanmoins, il convient d'être prudent sur la deuxième partie de l'exercice car certaines exploitations vont subir un effet ciseaux : une hausse sans précédent des coûts de production (intrants, GNR, charges globales d'exploitations) combinée à une baisse des prix de vente (blé, maïs, colza...).
Je dois préciser que les situations des agriculteurs sont très différentes et que les conséquences de cet effet ciseaux ne seront pas ressenties par tous de la même façon. Je pense notamment à ceux qui, craignant des ruptures d'approvisionnement d'engrais, se sont couverts en achetant tôt à des prix conséquents. Depuis le prix des engrais, tout comme le prix des céréales, a baissé de plus de 40 %. Pour certaines exploitations, au vu des prix de revient du blé, le prix de commercialisation pivot est de 220 EUR à 230 EUR/ onne.
En élevage, nous retrouvons aussi cette problématique d'élévation du coût de production.
Un autre critère que nous regardons pour apprécier la situation des exploitations agricoles est l'épargne et notamment la DEP (dotation pour épargne de précaution). Dans l'Oise et la Somme, certaines exploitations ont pu épargner, se créant ainsi une marge de manoeuvre en cas d'aléas, de coup dur.
Patrice Grégoire : Dans ce contexte, on peut dire un mot sur la production betteravière. Même si les rendements 2023 seront au final décevants par rapport aux espoirs de milieu de campagne, les prix annoncés par les industriels font preuve d'une belle remontée qui va permettre de lisser les situations. La filière betteravière va mieux, les prix sont attractifs et la jaunisse n'aura que peu impacté notre région.
Les récoltes d'automne, betteraves, pommes de terre et maïs, sont porteuses d'espoir avec des prix qui pourront compenser des rendements moyens.
Quelle(s) étai(en)t la ou les destinations des emprunts réalisés par les agriculteurs ces dernières années ?
HV : Une part importante de nos prêts sont destinés à l'acquisition de matériels. En 2022, avec la bonne année, les exploitations avaient avancé leurs programmes d'investissements matériels et ont d'avantage investi. Elles ont profité de leurs bons résultats pour renouveler tracteurs, matériels de travail du sol, matériels d'épandage. Nos éleveurs producteurs de lait ont aussi investi en robotisation et dans la mise aux normes de leurs installations.
Il y a eu aussi une volonté de défiscalisation sur cet exercice. Environ 40 % des réalisations de prêts ont été réalisés avec des financements Agilor. La tendance est différente en 2023, les investissements matériels sont plus ciblés.
Viennent ensuite les emprunts pour l'installation et la transmission d'exploitations, les acquisitions foncières, et la construction de bâtiments.Enfin, les agriculteurs ont emprunté pour des projets liés à la production d'énergies renouvelables, comme le photovoltaïque avec des réalisations qui ont plus que doublé sur cette année 2023. Acteur de la filière méthanisation, le Crédit Agricole Brie Picardie accompagne les porteurs de projets en conseil et en financement pour plus de 9 unités de méthanisations sur 10.
PG : Nous avons financé 80 unités de méthanisation, dont 65 sont déjà en fonctionnement. Ces projets entrent totalement dans notre vision de banquier : cercle vertueux de la matière, captation de carbone, création de valeur sur les exploitations agricoles.
À l'avenir, l'étroit marché de la liquéfaction du carbone se développera.
Et puis le Crédit Agricole Brie Picardie accompagne aussi les projets de diversification : vente à la ferme, transformation... sans oublier le stockage à la ferme, souvent couplé à un projet photovoltaïque.
Les agriculteurs ont-ils pris des risques ?
HV : Non, les chefs d'exploitation sont prudents et portent réflexion dans leur stratégie d'investissement. Force est de constater que certaines exploitations sont dépendantes de leur fournisseur avec des niveaux de dettes court terme parfois supérieurs à 50 % de leur production avant récolte. L'effet ciseaux évoqué précédemment pourra donc impacter ces exploitations.
Notre niveau de réalisations va se situer au même niveau que l'année 2021.
PG : Le seul risque jusque-là concernait la hausse des taux d'intérêt et c'est la banque qui le prend. On prévoit une possible baisse des taux, limitée. Le conseil que nous donnons aux agriculteurs en ce moment est de prendre une partie de l'emprunt à taux variable, pour bénéficier de cette potentielle baisse.
La hausse des taux d'intérêt a-t-elle modifié les choix d'investissement des exploitants ?
PG : Avec les taux précédents, le poids des frais financiers était faible au regard de la globalité des sommes empruntées. Aujourd'hui, c'est moins vrai, mais pas au point de remettre en cause les orientations des exploitations agricoles. Certes, l'impact de la charge financière est à prendre en compte, mais il ne va pas jusqu'à conditionner les choix d'investissement.
Souvent, un apport complémentaire plus important de l'exploitant lui permet d'emprunter.
Comment la caisse de Crédit Agricole Brie Picardie accompagne-t-elle les producteurs ? Quelles sont vos offres spécifiques en matière d'installation de jeunes et de production d'énergie (méthanisation, photovoltaïque, biomasse) ?
PG : Nous proposons plusieurs accompagnements en fonction des projets. D'abord, nous soutenons les jeunes candidats à l'installation avec des taux très réduits et bonifiés par nos soins, après examen de chaque dossier. C'est une volonté très forte de la caisse Brie Picardie. Globalement, les taux que nous proposons à nos clients agriculteurs sont inférieurs, pour un même investissement, à ceux proposés à d'autres secteurs d'activité, par exemple pour l'achat d'un véhicule utilitaire.
Au-delà des taux, nous mettons en place un accompagnement spécifique avec la visite d'un conseiller sur place et une expertise. Nous aidons les candidats à l'installation dans le montage de leur projet, mettons à leur disposition des outils d'aide à la décision, une station météo Sencrop, une prise en charge de leur étude prévisionnelle d'installation, de la première année d'assurance récolte à hauteur de 1.000 euros et des avantages sur tous nos services.
Et surtout, nous pensons que l'accompagnement humain et la relation conseiller-agriculteur doivent être développés. Nous faisons tout pour mettre les jeunes installés sur le chemin de la réussite. Pour autant, si leur projet n'est pas convaincant, nous savons leur dire non et leur proposer de le retravailler.
Pour ce qui est des cédants, nous proposons le même type d'accompagnement global avec les expertises nécessaires. Nous bénéficions de l'appui de collaborateurs experts dans toutes les filières (productions végétales, énergie, bovins, lait...) qui viennent sur le terrain avec les conseillers.
Deux experts en énergies renouvelables peuvent aider au montage des dossiers, analyses de risques, constructeurs... en lien avec les agriculteurs qui veulent se lancer dans la méthanisation notamment et ce, pendant les deux années nécessaires souvent avant le démarrage de la construction.
Quels seront, selon vous, les défis auxquels les agriculteurs de la région feront face ?
PG : Le premier défi est le renouvellement des générations en agriculture, avec toutes les questions qui se posent : quelle agriculture pour demain ? quel modèle, des fermes usines qu'aucun jeune de pourra reprendre, ou des exploitations familiales ? C'est une réflexion que nous devons mener au sein des organisations professionnelles agricoles.
Ensuite, la gestion de la volatilité et de la fluctuation des cours et des prix auxquelles sont confrontés les exploitants agricoles. Il existe des outils d'accompagnement comme le marché à terme, mais il va falloir imaginer des outils et développer un système assurantiel pour permettre aux agriculteurs de se couvrir et, pourquoi pas, l'ouverture du marché à terme pour les intrants, et sans oublier les risques climatiques qu'il faudra assurer.
Enfin, la transition agro-écologique et la réduction des émissions de carbone sont un défi de taille à relever. L'agriculture fait partie des solutions face au changement climatique et nous devons le faire valoir.
Pour ce faire, le Crédit Agricole Brie Picardie a noué un partenariat avec France Carbone Agri. Nous serons en mesure de faire des propositions en 2024 car nous voulons accompagner cette démarche dans laquelle se lancent déjà des exploitants agricoles. C'est un enjeu sociétal sur lequel nous voulons nous impliquer.
La situation actuelle redéfinit-elle la stratégie de la caisse Brie Picardie vis-à-vis de l'agriculture ?
PG : Notre stratégie est fidèle à notre ADN : accompagner les agriculteurs, agir dès qu'un problème est identifié par nos équipes sur le terrain, à l'écoute, anticiper. Et innover, notamment avec l'accompagnement différencié auprès de jeunes agriculteurs, sans oublier que la situation de chaque agriculteur est traitée individuellement.
Nos 870 élus des caisses locales sont à l'écoute du tissu rural, notre ancrage nous permet d'être aux côtés de nos clients agriculteurs dans les bons et les mauvais moments.
Je profite de la parution de cet article pour inviter l'ensemble des sociétaires Crédit Agricole Brie Picardie à venir rencontrer les dirigeants de leur banque à l'occasion des assemblées générales de Caisses locales qui se dérouleront sur les mois de février et mars.
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