L'Oise Agricole 03 juin 2021 a 09h00 | Par Ivan Logvenoff

«Nous continuerons à travailler sur la différenciation du bio français»

Céréalier bourguignon, Philippe Camburet a été élu président de la Fnab le 19 mai. Reconnaissant plusieurs déceptions récentes sur la déclinaison française de la future Pac ou les néonicotinoïdes, il poursuivra le virage pris par l'organisation en 2020 : construire un cahier des charges «Bio +» avec des exigences renforcées sur la biodiversité et les conditions sociales.

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Philippe Camburet
Philippe Camburet - © Agence de presse

Pourquoi votre candidature s'est-elle imposée ?

Depuis plus de vingt ans, je cultive 200 ha de céréales en bio dans l'Yonne avec mon frère. Je suis engagé à la Fnab depuis quelques années à de nombreuses échelles, au niveau départemental, mais également au niveau régional depuis 2018, en tant que président de Bio Bourgogne [association de développement NDlR]. J'étais aussi secrétaire national pour les grandes cultures. À ce titre, j'ai été très occupé récemment par des dossiers re?glementaires comme les effluents industriels, ou la question des semences, qui m'ont permis d'avancer dans ma réflexion.

Alors que seuls 5 % des grandes cultures françaises sont en bio aujourd'hui, votre élection montre-t-elle une volonté de la Fnab d'accélérer sur ces filières ?

Le secteur des grandes cultures est le premier visé pour augmenter les surfaces converties, comme on peut le voir avec les politiques publiques dans le domaine de la protection de l'eau. Avec mon expérience professionnelle, et ce que je fais sur ma ferme, je souhaite évidemment que les grandes cultures soient au rendez-vous des ambitions nationales en agriculture biologique. Mais j'espère aussi prendre en compte tous les secteurs sur lesquels nous sommes encore loin de l'autosuffisance. Sur ce point, la semaine de la souveraineté alimentaire ne m'a pas appris grand- chose, notamment parce que personne n'a pris compte le volet des exportations, avec des discours encore très tournés sur la balance commerciale internationale. Sur toutes les productions pour lesquelles nous avons des marges de manoeuvre, comme les légumes de plein champ, ou les plantes à parfum, la diversification est pour moi l'un des leviers à actionner.

Vous avez été élu la même semaine que le CSO houleux sur le PSN (déclinaison française de la future Pac) qui a vu plusieurs organisations, dont la vôtre, claquer la porte. Quelles sont aujourd'hui vos attentes ?

Nous espérions que cette Pac puisse être celle du monde d'après, ça ne sera pas le cas. Toutes les aménités positives de la bio sont balayées et ramenées au niveau de la HVE, qui part d'assez bas. Nous n'avons pas de problème avec le fait que le ministère veuille un système inclusif, et nous accompagnons tous nos collègues avec plaisir dans la conversion. Mais en rémunérant trop généreusement sans conditions, on risque d'anéantir tous nos efforts sur la qualité de l'eau et la suppression des pesticides.

Nous gardons quand même l'espoir de rouvrir ce plan stratégique national. La validation à Bruxelles pourra en souligner les incohérences, tout comme la consultation publique. Nous regrettons cependant qu'il n'y ait pas eu de débat parlementaire, qui aurait pu permettre une meilleure prise en compte de la bio, et un soutien à toutes les pratiques qui ont pu émerger récemment.

La copie actuelle permettra-t-elle selon vous d'atteindre 18 % à l'horizon 2027, comme récemment fixé par le ministère de l'Agriculture ?

Ce chiffre est à la fois peu ambitieux et incohérent, puisqu'il ne représente que la projection des courbes, et reste au-dessous du nouveau cap de l'Union européenne de 25 % de SAU bio d'ici 2030. Nous allons souligner cette déconnexion par rapport aux objectifs communautaires. Ceux-ci sont réalistes, à condition de se doter de moyens suffisants, et de mettre en place des incitations politiques fortes. Dans le contexte de la campagne présidentielle, nous aurons certainement des chiffres de bilan, et de promesse, qui devront être mis en perspective de cette dimension européenne.

Ce faible portage politique pourrait-il vous conduire à abandonner le projet en cours pour réviser le cahier des charges bio français ?

La Fnab continuera à travailler la différenciation du bio français. Le règlement européen ne nous semble toujours pas satisfaisant, ce qui ne peut que nous pousser à être mieux-disant. De même, la concurrence des autres pays européens, et les doutes sur leur qualité,ainsi que les critiques récentes sur l'affichage environnemental nous poussent à travailler de nouveaux critères dans le sens d'une «Bio +».

Le commerce équitable a été notre première ambition, et nous allons poursuivre le travail sur la biodiversité, et les conditions de rémunération. Nous allons décliner toutes ces pistes pour que le consommateur soit rassuré sur ces aspects que le règlement européen ne fait que survoler. Si le calendrier demeure incertain, la Bio + reste notre priorité, et nous voulons aller vite.

Les détails réglementaires du plan pollinisateur demeurent toujours inconnus. Quel rôle joue la Fnab dans la concertation ?

Plusieurs évènements politiques récents ont montré une forte déréglementation sur les produits phytosanitaires. Notamment le dossier des néonicotinoïdes, qui nous a particulièrement meurtris. Non seulement parce que les agriculteurs bio ont été montrés du doigt, mais aussi parce que la dérogation qui permet à nos voisins d'utiliser ces semences enrobées a des conséquences sur la biodiversité dans nos champs. Or, nous ne sommes malheureusement pas encore reconnus par le ministère comme une structure offrant des propositions techniques cohérentes sur l'accompagnement des producteurs, ou la commercialisation. Avec les problèmes que l'on connaît à l'Itab, le financement de la recherche fait aussi partie de la réponse. Les budgets alloués, dont le Casdar, doivent anticiper le développement de la bio, et être proportionnels à la volonté des consommateurs.

Quelles sont vos attentes pour les régionales ?

Je crois beaucoup à l'intérêt d'objectifs locaux en matière d'agriculture biologique. Nous sommes encore freinés par un maillage trop peu dense, mais seuls des effets de masse permettront de mesurer des progrès durables sur des biens communs comme l'air, l'eau et la biodiversité. Nous allons donc mettre les candidats devant leur responsabilité, en leur demandant quelle place ils comptent donner aux circuits courts et à l'agriculture biologique, en espérant qu'ils les traduisent dans des plans d'actions régionaux ambitieux et efficaces. Au cours de la dernière mandature, certains échanges très fructueux ont déjà eu lieu en Occitanie, ou en Haut-de-France et en Nouvelle-Aquitaine. L'autre enjeu important est évidemment la pyramide des âges. Le renouvellement en agriculture biologique doit bénéficier de politiques ambitieuses, pour que tous les producteurs en bio puissent transmettre leurs exploitations à des gens qui poursuivront leurs engagements.

Eco-régimes

la Fnab publie sa copie chiffrée Le 27 mai, la Fnab a publié les calculs établis avec l'aide de la DGPE pour proposer un troisième niveau d'éco-régimes dédié à la bio. «Si on veut qu'il y ait de la bio demain, il faut montrer aux paysans que leurs efforts seront soutenus», défend Loïc Madeline, secrétaire national en charge de la Pac pour la Fnab. En considérant un éco-régime à 25% du premier pilier, soit 1,6 MrdE, ce troisième niveau rémunéré à 145 E/ha représenterait un budget de 318 ME en 2023, laissant 997 ME pour les deux autres niveaux de rémunération à 80 et 30 E/ha. Le solde, soit 372 ME, serait dédié à la rémunération des infrastructures écologiques, des aides cumulables avec les précédentes. Des estimations qui permettraient «à 80% des agriculteurs et agricultrices d'accéder à l'éco-régime tout en maintenant un soutien différencié en faveur des pratiques vraiment vertueuses».

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