Depuis que la vie a repris un cours à peu près normal, les clients ne sont plus aussi nombreux chez Nicolas Thirard, à Devise. L'agriculteur et maraîcher bio s'était habitué à voir «des files de clients», mais aujourd'hui, «ce n'est plus pareil...» Sur certains circuits de distribution, il dit avoir perdu jusqu'à «50 %» de chiffre d'affaires. «En ce moment, on sent que cela repart un peu, mais ce n'est pas l'euphorie», détaillait-il la semaine dernière. Comme d'autres acteurs de la filière bio, il subit donc la perte d'engouement pour le bio ; une situation à laquelle l'organisation Bio en Hauts-de-France a tenté d'alerter, le 23 septembre dernier, déclarée «journée européenne du bio».

Le constat d'une perte de vitesse

D'après Bio en Hauts-de-France, la filière bio nationale comme régionale serait actuellement dans le brouillard, confrontée à une série d'événements : tempête Eunice, sécheresse estivale, baisse brutale de la consommation bio, crise énergétique ou encore guerre en Ukraine... Mis bout à bout, chacun de ces aléas participerait à «un processus de standardisation de l'agriculture», selon Bio en Hauts-de-France qui évoque «un contre-sens historique de voir l'agriculture biologique stagner, voire reculer, au regard des enjeux environnementaux et économiques actuels». Si on ajoute à cela un désengagement de certains pouvoirs publics «à tenir leurs engagements», à en croire Mickael Poillion, éleveur à Héricourt (62) et administrateur de Bio en Hauts-de-France, «c'est compliqué...» Pour Bio en Hauts-de-France et ses élus, «il faut la mobilisation de tous, élus, acteurs économiques, société civile», et «que les engagements pris soient tenus». En termes de solutions, Jean-Baptiste Pertriaux, le co-directeur de Bio en Hauts-de-France avance «l'application de la Loi Egalim», «la rémunération des services rendus par l'agriculture bio avec des financements issus du deuxième pilier de la Pac» ou encore un chèque alimentaire «ciblé vers l'alimentation bio». Pour Mickael Poillion, «les outils, on les a, mais il faut juste vouloir les utiliser». En outre, parmi les sujets qui restent des plaies ouvertes, celui de la disparition de l'aide au maintien de l'agriculture bio dans la nouvelle Pac (2023). «En matière de signal de la part du gouvernement et du ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, on ne peut dire que cela ait vraiment été positif...», soupire M. Poillion.

Des raisons d'espérer ?

Si le constat est amer, les responsables de Bio en Hauts-de-France estiment que «tout n'est pas perdu pour le bio». «Il y a quand même un mouvement de fond en faveur du bio», constate Sophie Tabary, éleveuse en Thiérache et administratrice de Bio en Hauts-de-France. Et tant pis pour ceux qui choisissent d'arrêter. Dans les Hauts-de-France, tous types d'acteurs confondus, ils ont été 152 contre 278 nouveaux engagés dans une démarche de conversion. C'est chez les grandes et moyennes et surfaces, puis chez les transformateurs et les producteurs avec vente à la ferme ou transformation que l'on retrouve la progression de conversion la plus importante. L'annonce par l'Agence régionale de santé d'une «mise sous surveillance renforcée» de la qualité de l'eau dans une centaine de communes des Hauts-de-France le 15 septembre dernier est presque une aubaine : «On sait qu'il y a un lien entre certains modes de production agricole et l'état de la ressource en eau... Le bio est une solution», estime M. Poillion. Pour Sophie Tabary, «il faut rappeler que le soutien à l'agriculture bio coûte moins cher que les traitements nécessaires à la dépollution de l'eau». Et quand bien même l'alimentation bio coûte plus cher que des produits issus de l'agriculture conventionnelle, «ce n'est pas mal que de vouloir augmenter la valeur des produits alimentaires. Il faut arrêter de faire croire aux gens que l'on peut s'alimenter pour pas cher», conclut Mickael Poillion.

Une association régionale pour la production laitière bio en gestation

Depuis près de deux ans, les éleveurs de la commission lait de Bio en Hauts-de-France se mobilisent pour imaginer «un avenir désirable» pour la filière bio en région. Après les Assises de l'élevage en novembre 2021, la commission a de nouveau donné rendez-vous aux acteurs de la filière lait bio régionale lors du salon Terr'Eau Bio, en juin 2022 : la création d'une association régionale pour la planification du lait biologique y a été annoncée.

Lors de ce rendez-vous, 35 acteurs de la filière (éleveurs, représentants de laiteries, distributeurs, représentants de collectivités...) ont pris part aux échanges sur la gouvernance de la filière à l'échelle régionale et l'urgence de la structuration de cette dernière face aux enjeux climatiques et sociétaux. Selon Sophie Tabary, membre de la commission lait de Bio en Hauts-de-France et éleveuse en Thiérache, «il y a un mouvement de gens qui agissent individuellement, mais nous croyons plus à la mobilisation collective pour structurer la filière lait bio et la rendre viable et durable. Nous voulons réinstaurer un espace de dialogue, apprendre à discuter ensemble avec la totalité des acteurs, pas que le producteur à sa coopérative. Nous devons redevenir acteurs de quelque chose qui nous échappe».

Un collectif pour mobiliser l'ensemble des acteurs régionaux

L'association organisera les échanges et la circulation d'information entre les acteurs pour permettre à la filière laitière biologique de faire face aux défis climatiques, économiques et de renouvellement des générations. Sa gouvernance sera organisée en quatre collèges représentés par : les éleveurs bio de la commission lait de Bio en Hauts- de-France ; les laiteries et transformateurs locaux ; les territoires et acteurs publics ; les distributeurs et acteurs de la RHD.

Les éleveurs de la commission lait de Bio en Hauts-de-France soulèvent depuis deux ans des sujets tels que : la rémunération horaire insuffisante du travail en élevage laitier bio, la baisse de consommation des produits bio, le manque d'organisation du marché du lait bio pour valoriser au mieux le lait de printemps à l'herbe, la résilience des systèmes laitiers bio face au changement climatique, le renouvellement des générations et l'attractivité du métier pour les générations futures. La commission lait prévoit un atelier de travail pour créer l'association début 2023. Éleveurs laitiers bio, distributeurs, transformateurs dans le secteur laitier, ou encore membres d'une collectivité intéressés pour rejoindre la démarche ou souhaitant en savoir plus, sont invités à se manifester auprès de Diane Fauquenot, conseillère-animatrice à Bio en Hauts-de-France : d.fauquenot@bio-hdf.fr ou 06 02 18 99 89.