L'Oise Agricole 01 février 2018 a 09h00 | Par Actuagri

«Il n’y a pas de raison objective d’incriminer les agriculteurs dans la crue actuelle»

De nombreuses régions française subissent les conséquences d’une crue importante. Ces inondations ont causé de nombreux dommages sur les terres agricoles. Les agriculteurs ont été pointés du doigt, dans plusieurs reportages télévisés, diffusés ces derniers jours : ils sont accusés d’être responsables des inondations. La FNSEA trouve insupportable que les agriculteurs soient encore une fois les boucs émissaires.

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«Il n’y a pas de raison objective d’incriminer les agriculteurs dans la genèse de la crue actuelle» affirme Vazken Andréassian, directeur adjoint scientifique à l’Institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea).
«Il n’y a pas de raison objective d’incriminer les agriculteurs dans la genèse de la crue actuelle» affirme Vazken Andréassian, directeur adjoint scientifique à l’Institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea). - © J.C. Gutner

Vazken Andréassian, directeur adjoint scientifique à l’Institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), spécialiste des risques liés au cycle de l’eau, détaille les différentes causes de cette crue. Il rappelle qu’il n’y a pas de raison objective d’incriminer les agriculteurs.

L’ampleur de la crue actuelle est-elle anormale ?

La crue actuelle est une crue classique pour le bassin de la Seine, presque un cas d’école : comme beaucoup des grandes crues historiques (1910, 1955, 1982), elle a lieu au mois de janvier; elle survient après deux mois d’hiver extrêmement pluvieux : un flux océanique régulier a donné lieu à de nombreux passages perturbés accompagnés de cumuls de pluie significatifs. Météo-France estime qu’en moyenne sur la France, la pluviométrie cumulée des mois de décembre 2017 et janvier 2018 est la plus forte enregistrée sur la période 1959-2018 ; les pluies ont en premier lieu contribué à recharger les sols.

La capacité de stockage de l’eau de ces derniers est actuellement proche de la saturation. La conséquence hydrologique est que le rendement des précipitations du mois de janvier (c’est-à-dire la part des précipitations qui alimente la rivière) a été élevé ou très élevé : il varie (pour ce mois de janvier) entre 50 et 90 % suivant les événements pluvieux et les sous-bassins de la Seine. Exemple : l’Yonne. Dans ces conditions, les quatre bassins de rétention, gérés par l’EPTB Seine grands lacs, ont parfaitement joué leur rôle pour atténuer une crue qui, sans eux, aurait excédé à Paris le niveau de juin 2016. Ils sont pleins aujourd’hui, parce qu’on les a exploités au maximum. Il n’y a pas d’éléments objectifs permettant d’attribuer la crue actuelle à un changement climatique, même si la pluviométrie record des mois de décembre 2017 et janvier 2018 crée une certaine suspicion. En réalité, c’est plutôt la crue de juin 2016 qui attire le plus de doutes, ce genre de crue de fin de printemps étant plutôt caractéristique des fleuves et rivières d’Europe Centrale.

Doit-on s’attendre à une augmentation de la fréquence des crues dans les années à venir ?

Une augmentation de la fréquence des crues dans les années à venir dépendra de l’évolution du climat, et malheureusement, les modèles climatiques ne s’accordent pas tous sur la tendance. Cependant, si la prévision la plus fréquemment avancée (des hivers plus pluvieux combinés à des étés plus secs) se réalise, on pourrait assister à une augmentation de la fréquence des crues, mais aussi de celle des sécheresses.

Pouvez- vous expliquer les raisons de cette crue ?

La crue de la Seine à Paris est la conséquence des crues de tous ses principaux affluents (Marne, Yonne, Aube) qui se propagent de l’amont vers l’aval. Ces crues sont la conséquence d’une succession de fronts pluvieux qui ont balayé le bassin versant (bassin hydrographique) de la Seine depuis décembre 2017.

Ces précipitations ont contribué dans un premier temps à recharger les réserves hydriques des sols. Plus les sols sont humides, plus le rendement des précipitations augmente. C’est pour cela que les précipitations de fin décembre et début janvier ont fait progressivement gonfler les rivières du bassin. On peut préciser que les nappes souterraines profondes n’ont pas d’impact spécial sur cette crue, elles étaient encore début janvier à un niveau, soit moyen, soit bas, et commencent à peine à remonter. Les nappes souterraines profondes réagissent toujours de façon décalée aux précipitations qui les rechargent.

Que peut-on dire de la responsabilité des agriculteurs dans ce phénomène ?

Il n’y a pas de raison objective d’incriminer les agriculteurs dans la genèse de la crue actuelle. Le sol, qui possède une forte capacité de stockage, est actuellement saturé, c’est la première raison des ruissellements observés.

Du point de vue hydrologique, l’événement actuel est bien reproduit par les modèles de prévision donc il n’y a pas lieu de suspecter une autre cause. Pour cet événement précis, il n’existe pas d’élément objectif pour quantifier cet impact, que je considère se situer (à l’échelle de la Seine) «dans l’épaisseur du trait». D’autres actions humaines d’aménagement ont des effets, qu’il est également difficile de quantifier à l’échelle d’un grand bassin comme celui de la Seine : l’urbanisation, l’effacement des méandres de la Seine à l’amont de Montereau.

 

Crues 2018 : non à la double peine !

Alors que dans de nombreuses régions françaises, les eaux ont recouvert terres et zones habitées provoquant désolation et angoisses, le monde agricole subit la double peine. En effet, non seulement les crues ont causé de nombreux dommages agricoles qui nécessiteront, et du temps, et du financement afin de reconstruire et réparer, mais en plus, les agriculteurs sont montrés du doigt.

Plusieurs reportages en particulier télévisés ont en effet affirmé que les paysans et leurs pratiques, étaient responsables des inondations. Au-delà de la colère face à ce type d’allégations, il est insupportable, encore une fois, de trouver un bouc émissaire facile : l’agriculture !

Les crues sont fortes et deviennent récurrentes ; pourtant, depuis longtemps, les causes en sont connues : une artificialisation des sols à marche forcée qui leur enlève leur perméabilité, un bétonnage à tout crin qui provoque les mêmes conséquences, un changement climatique avéré qui fait augmenter les aléas climatiques, le manque d’entretien des cours d’eau…

Il est temps que tout le monde sache que les pouvoirs publics (État et Établissements publics territoriaux de bassin) décident d’inonder les champs en amont des villes afin de limiter les conséquences des crues sur les populations urbaines. Il est aussi temps de reconnaitre que de nombreuses pratiques agricoles (couverture des sols, bandes enherbées au bord des cours d’eau) protègent les sols afin d’en limiter l’érosion.

Par ailleurs, face au dérèglement climatique, aux sécheresses récurrentes et aux excès d’eau massifs, nous en appelons au gouvernement pour qu’enfin, nous ayons une véritable politique de stockage de l’eau hivernale à même de favoriser l’irrigation nécessaire à de nombreuses productions. L’agriculture est une solution face au changement climatique et non un problème. Nous en appelons à Météo France, à l’Irstea, à leurs experts, et à tous les instituts à même d’éclairer chacun sur les causes réelles de ces inondations afin de sortir des vindictes à pas cher.

FNSEA

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