L'Oise Agricole 18 décembre 2025 a 08h00 | Par Pierre Poulain

Décarbonation de l'aviation: la cameline tente le décollage

Alors que l’Europe impose l'incorporation progressive de carburants durables dans les réservoirs des avions, l'agriculture française se mobilise autour d'une plante méconnue : la cameline. Si l'opportunité de marché est jugée «exponentielle» par les experts, la filière en est encore à ses balbutiements, cherchant la formule agronomique magique pour transformer l'essai.

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- © Gabriel Omnès

C'est une petite graine pour l'homme, mais peut-être un grand pas pour l'aéronautique. La cameline, plante oléagineuse rustique, se retrouve propulsée au cœur de la stratégie de décarbonation du secteur aérien. L'impulsion est venue de Bruxelles : avec la réglementation ReFuelEU Aviation et la directive RED III, les compagnies aériennes n'ont plus le choix : elles devront incorporer des biocarburants durables (SAF) de manière croissante d'ici 2050.
Pour Louis-Marie Allard, référent chez Terres Inovia, le déclencheur ne fait aucun doute : c'est bien la validation par la Commission européenne de l'usage des intercultures qui a tout changé. «C'est cette obligation d'incorporation qui a motivé les nouvelles surfaces. Nous sommes certains du débouché», confirme-t-il.

Une production encore confidentielle
Pourtant, malgré l'effervescence réglementaire, la réalité des champs reste pour l'instant modeste. À la question de savoir si la Ferme France est prête à répondre à l'explosion de la demande prévue après 2030, la réponse de l'expert est sans appel : «Non, pas du tout au niveau agricole». Il rappelle qu'en 2024, la production nationale est restée anecdotique, avoisinant les 500 tonnes. «C'est epsilon, rien du tout», tranche-t-il.
Au-delà de la production aux champs, c'est toute la chaîne logistique qui doit se mettre en ordre de marche. Collecter une nouvelle graine ne s'improvise pas pour les coopératives et négoces. «Il faudrait que les organismes stockeurs soient un peu plus moteurs peut-être, mais ce n'est pas rien», souligne l'expert, évoquant la nécessité de dédier des silos spécifiques et d'adapter les outils de stockage à ces petits volumes.
Pour fournir ces volumes, deux stratégies agronomiques s'affrontent, chacune avec ses risques. La première option est la cameline en dérobée estivale, semée juste après une moisson de céréales pour un cycle très court de 90 à 100 jours. Si elle a l'avantage de libérer la parcelle rapidement, elle reste une culture à haut risque climatique. L'expert insiste sur une règle d'or : un semis impératif avant le 10 juillet. Mais cela ne suffit pas toujours. «Il faut avoir la chance d'avoir une pluie qui va faire germer la cameline», explique-t-il. Pour sécuriser la levée qui doit se faire en 7 jours, l'irrigation devient presque incontournable : «Si on ne veut pas jouer avec la chance, il faut que l'agriculteur soit irriguant».
Face à ces aléas estivaux qui provoquent encore «beaucoup d'échecs», la dérobée hivernale apparaît comme l'alternative la plus robuste. Semée à l'automne pour une récolte fin mai ou début juin, elle offre des rendements plus réguliers, situés entre 10 et 15 quintaux par hectare, contre une fourchette très variable de 5 à 17 quintaux pour l'estivale. «C'est là où on a le moins d'échecs», confie Louis-Marie Allard, qui dit «croire beaucoup plus» à cet itinéraire, particulièrement dans la moitié Sud de la France. Le bémol réside dans la contrainte calendaire : il faut libérer la parcelle avant le 1er juin pour ne pas pénaliser la culture principale suivante, comme le tournesol, qui peut subir des pertes de rendement allant jusqu'à 30 % à cause de ce décalage.
Pour résoudre cette équation temporelle, Terres Inovia préconise une technique spécifique : le fauchage-andainage. En fauchant la plante quand les graines sont encore à 35 % d'humidité et en les laissant sécher au champ, «on gagne deux semaines», précise l'expert.

La course à la génétique
Si la cameline a gagné la bataille de l'interculture aéronautique face au carthame ou à la moutarde d'Abyssinie, c'est uniquement grâce à la brièveté de son cycle. 
Mais pour changer d'échelle, la filière attend désormais des progrès génétiques. «La réussite passe par de nouvelles variétés plus précoces», affirme l'expert en conclusion. Des signaux positifs apparaissent d'ailleurs du côté des semenciers : l'acquisition récente d'un semencier canadien spécialisé par le géant Bayer est perçue comme un indicateur fort. «C'est de bon augure, cela peut donner l'envie à d'autres semenciers d'aller sur ce marché prometteur», espère l'expert.

Un pari économique sécurisé
Pour convaincre les agriculteurs de tenter l'aventure malgré ces défis techniques, l'argument économique a été travaillé. L'industriel Saipol propose actuellement un prix d'achat de 600 euros la tonne. 
Surtout, un filet de sécurité a été mis en place pour lever les freins psychologiques liés au risque d'échec agronomique : une assurance de 100 euros par hectare est versée si la culture ne va pas au bout, couvrant ainsi les frais d'implantation. 
Une manière de transformer une contrainte réglementaire de couverture des sols en une opportunité de revenu complémentaire.

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