L'Oise Agricole 06 août 2020 a 09h00 | Par Laurene Mainguy

En fruits et légumes frais, «on est à la limite de la sécurité alimentaire»

Alors que le Premier ministre a annoncé le 15 juillet, dans le cadre du plan de relance, une enveloppe de 20 MdE dédiée à des investissements écologiques et rattachée au Pacte productif incluant l’agriculture, l’interprofession des fruits et légumes frais (Interfel) attend des engagements forts envers les filières végétales. Le président d’Interfel Laurent Grandin revient sur le plan d’action de relance post-Covid-19, transmis au président de la République avant son discours du 14 juillet.

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Laurent Grandin
Laurent Grandin - © Agence de presse

Comment évaluez-vous les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 sur la filière des fruits et légumes frais ?

Globalement, pour la filière, la période s’est plutôt bien passée en termes de volumes de consommation, mais il y a deux points noirs : d’abord les marchés, notamment pour les producteurs en circuits courts dont ce sont souvent les seuls lieux de vente d’importance. Et la restauration, qui a été et restera touchée un certain temps, selon nous ; cela se mesurera sans doute en termes d’années, d’autant qu’il y a eu un changement d’habitudes assez fort dans la façon de travailler et de se réunir et que cela aura des impacts sur les nuitées d’hôtel et donc les repas pris au restaurant.

Qu’attendez-vous du plan de relance du gouvernement ?

Il est essentiel d’avoir un véritable engagement autour d’une orientation nouvelle vers le végétal. Tout le monde le réclame de manière générale, et c’est une tendance marquée des projections sur l’alimentation pour les années qui viennent. Or, cela est très insuffisamment financé à l’heure actuelle, et absolument pas encouragé par l’orientation des fonds européens. Sans vouloir opposer les filières, puisque par nature nous sommes flexitariens, il faut rappeler que les fruits et légumes vont être portés à l’honneur par l’ONU l’année prochaine (2021 sera l’année internationale des fruits et légumes, ndlr). S’ils sont considérés comme bons pour la santé et pour l’environnement, on ne comprendrait pas qu’il n’y ait pas un engagement plus net et plus fort en période de relance sur cet axe là qui est un axe d’avenir.

La priorité est donc de reconquérir ces parts de marché ?

Notre objectif est de reconquérir une partie des parts de marché national. Soyons clairs : nous sommes favorables aux échanges et absolument pas pour la fermeture des frontières. Nous disons simplement qu’on a beaucoup parlé, ces derniers temps, de sécurité alimentaire et de souveraineté alimentaire. Il ne faut pas que l’on descende, nous en France, au-dessous d’un certain niveau de production. Nous sommes un des rares pays producteurs significatifs de fruits et légumes à être à la limite des 50 % d’autonomie. L’Espagne et l’Italie sont plutôt à 60 %. Donc, il faut, dans un premier temps, trouver des solutions pour se stabiliser, stopper la dégradation. Une crise comme celle que nous venons ne pourra être supportée dans dix ans si on est à 25 ou 30 % de production nationale. Il faut avoir conscience qu’on est à la limite de la sécurité alimentaire. Dans un deuxième temps, il faudrait arriver à un rapport autour de 60/40 plutôt que 50/50 comme actuellement. Quant à l’international, aujourd’hui près de 25 % de nos produits sont exportés. Nous souhaitons maintenir cet équilibre international, car il est essentiel pour l’équilibre financier des exploitations.

Pour quels fruits et légumes français peut-on améliorer la présence sur le marché national?

C’est bien entendu aux producteurs de décider. Ce que l’on sait, c’est que les légumes se sont globalement mieux comportés que les fruits, car beaucoup de cultures légumières sont mécanisées ou mécanisables. En fruits, il y a des productions sur lesquelles on s’est éloigné de l’équilibre depuis longtemps, comme le raisin de table. Ce sera plus facile de retrouver un équilibre dans certains produits comme la poire, pour laquelle nous faisons partie des pays qui n’ont pas planté depuis longtemps. Nous en importons (de l’étranger) et introduisons (de l’UE) énormément, alors qu’on a les terroirs et les compétences : on aurait la capacité de produire au moins 100 000 t de plus sans que ce soit quelque chose d’incongru. C’est quelque chose qui pourrait se faire assez rapidement. Maintenant, en cycle arboricole, comme il faut imaginer les choses sur vingt ans, le pas de temps n’est pas le même que sur des productions annuelles.

Il faudra aussi certainement diversifier l’offre variétale pour s’adapter aux changements climatiques. On peut implanter en France – et d’ailleurs, un certain nombre de structures le font déjà – plus de figues, plus de kaki, certainement de l’avocat... La zone agruicole qui auparavant allait jusqu’à Perpignan est aujourd’hui au niveau de Bordeaux, avec l’évolution du climat. Il y a donc des voies de relocalisation qui ne sont pas uniquement celles des productions classiques, mais de productions plus innovantes, plus segmentées, et qui permettraient ce rééquilibrage.

Que faut-il pour sauter le pas de cette reconquête et diversification ?

L’un des points essentiels de ce plan de relance, c’est la recherche appliquée qui reste sous-financée en France. Vous pouvez faire toute la recherche académique et fondamentale que vous voulez, qui est d’ailleurs plutôt bien faite en France par l’Inrae, si vous n’êtes pas capable de la transposer au producteur, elle reste dans les livres. Donc, il faut tester les zones qui ont le potentiel, très vraisemblablement dans le sud de la France, pour planter par exemple de l’avocat.

Vous proposez de revaloriser les métiers de la filière et notamment le travail saisonnier. Comment ?

Il faut rehausser l’image, créer des formations spécifiques et garantir un statut aux saisonniers qui leur donne envie de rester saisonnier. Il faut qu’ils puissent se dire : «Oui, c’est un vrai métier, je vais m’y investir. Si je peux avoir du travail pendant huit mois dans ce secteur, je trouverai une solution pour les quatre mois qui restent, et de toute façon, j’ai une couverture sociale qui me permet de dire que l’année prochaine, je reviendrai sur l’exploitation sans avoir perdu démesurément dans l’entre-deux.» Dans une période où on va avoir 800 000 à 1 million de chômeurs de plus, il y a 200 000 emplois de saisonniers à pourvoir. Ce serait peut-être intelligent de trouver une solution pour que ce soit des salariés – pas forcément français, mais localisés sur notre territoire – qui les occupent.

De plus, on pourrait trouver des complémentarités avec des secteurs connexes comme les espaces verts ou l’horticulture via des programmes annuels ou des contrats partagés. Nous avions trouvé une solution avec eux durant la crise, mais cela a tardé à se mettre en place. Cela n’a pas pu se faire, mais c’est quelque chose qu’on pourrait imaginer.

Quel budget serait nécessaire pour mettre en oeuvre votre plan d’action ?

Nous sommes en train de chiffrer tout le plan avec les professionnels. Ce qui est clair, c’est que les fruits et légumes, de mémoire, doivent être autour de 4 % du budget de la Pac, mais ils représentent beaucoup plus en termes d’activité et de volume. Les accompagnements nécessaires relativement au budget, sur un plan Pac, ce serait peut-être quelques milliards à mettre plus sur le végétal dont légumineuses et céréales consommables – autrement dit, sur le régime alimentaire qui semble se profiler pour demain.

21 propositions pour une harmonisation des règles européennes

«La France a perdu des parts de marché considérables dans un jeu d’ouverture non harmonisée des échanges, que ce soit au niveau français ou inter-national. En trente ans, la France a perdu 100 000 ha de terres consacrées aux fruits et/ou légumes. Par ailleurs, on a perdu ces vingt dernières années près de 50 % de la production. Il y a un grand débat aujourd’hui sur un certain nombre de fonctionnements dans des pays qui sont trois à quatre fois moins chers que nous en termes de main-d’oeuvre. C’est un peu la liberté du loup dans la bergerie ! Nos arboriculteurs et maraîchers sont des gens techniquement très au point. Si on n’y arrive pas, c’est parce qu’il y a un décalage de productivité des systèmes qui est essentiellement lié, notamment en arboriculture, aux différentiels de coûts», s’insurge Laurent Grandin.

«Nous demandons donc une harmonisation sociale et fiscale, deux facteurs qui jouent pleinement sur la compétitivité. Environnementale aussi, pour qu’aucune décision ne puisse être prise localement sans harmonisation au niveau européen – prenons le cas du glyphosate. Il faut arrêter de jouer les premiers de la classe pour, au final, se retrouver les derniers.»

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