Bio : «Nous allons entrer dans des phases de régulation»
Baisse de chiffre d'affaires, fermetures de magasins. Pierrick de Ronne, président de Biocoop, analyse les difficultés actuelles du secteur bio. Il demeure toutefois optimiste sur le devenir d'un secteur qui doit, selon lui, revenir à ses «racines».
LogvenoffVous vous êtes positionné publique-ment, récemment de manière plus tranchée, contre la Pac, la HVE ou les pratiques de Naturalia. Est-ce que le ton a changé chez Biocoop ?
Avec plus de 40 % de parts du marché spécialisé, nous sommes leaders du marché bio. Nous devons tenir notre rôle en termes de structuration des filières, mais aussi de vision. Biocoop est un réseau militant, et nous avons besoin de rappeler notre projet de société dans ce moment difficile pour la filière, d'avoir un discours cohérent avec nos racines. Or, je suis convaincu que certaines réponses qui sont apportées actuellement ressemblent à ce que la grande distribution a fait sur le marché de masse. Baisses de prix, abonnements et promotions ne mèneront qu'à des bras de fer, en repor-tant la pression sur les producteurs. La bio a d'autres choses à raconter que ça. Ensuite, nous avons entendu ces dernières années les pouvoirs publics nous expliquer que le marché fonctionnait et que notre croissance ne justifiait plus d'appui politique ou d'engagement sur l'offre. Mais le rapport de la Cour des comptes le dit clairement : pour être à la hauteur d'une ambition écologique, il faut une politique beaucoup plus engagée.
La grande distribution généraliste, qui pèse 50 % du marché bio au total, a-t-elle pour vous joué un rôle dans les difficultés visibles actuellement sur le lait, les oeufs ou la viande bio ?
Les spécialistes, et Biocoop en tête, ont créé le marché, en y mettant leurs valeurs. À partir de 2015, la grande distribution a tenu son rôle de démocratisation du bio, en portant ce marché. Ce qui a permis de dépasser 6 % de consommation bio en France. Si la grande distribution a respecté le cahier des charges, elle n'a pas repris d'autres valeurs, comme le local, le commerce équitable, ou la lutte contre l'ultra-transformation. Mais dans la conjoncture actuelle, ces ac-teurs sont maintenant dans une logique de déréférencement du bio, préférant d'autres labels comme la HVE ou le zéro résidu de pesticides, moins-disants en termes d'environnement. Nous avons maintenant besoin de remettre de la confiance, et je ne suis pas sûr que la grande distribution nous y aidera cette fois. Bien sûr, Biocoop fait du commerce, et nous essayons de proposer des prix intéressants. Mais nous ne renoncerons pas à nos engagements vis-à-vis des consommateurs comme des producteurs, même dans un contexte d'inflation.
L'inflation semble être plus faible chez les bio. Est-ce que la hausse du prix de l'énergie, notamment, va malgré tout entraîner une revalorisation de vos contrats ?
L'inflation en bio serait d'environ 2 points inférieure à celle des rayons conventionnels. Elle sera forcément répercutée sur nos contrats, mais tout l'enjeu est de dissocier inflation et spéculation. La bio fait une promesse de prix justes aux consommateurs : certains acteurs ne doivent pas s'en-richir en stockant de la moutarde par exemple, ni même en misant sur la baisse des cours lorsque la situation changera. C'est notre avantage en tant que coopératives multi-acteurs, de pouvoir anticiper ce type de pro-blème.
Plusieurs distributeurs bio ont an-noncé des baisses de chiffre d'affaires. Où en êtes-vous ?
La décroissance chez nous est plus faible que celle du marché, de 2,5 % en août dernier quand le marché spécialisé a baissé d'environ 11 %. La consommation alimentaire est la première variable d'ajustement dans ce contexte d'inflation. Nous voyons notamment un recul particulièrement important en fruits et légumes. Même si ces produits sont moins onéreux chez les spécialistes que dans les magasins généralistes, ils restent chers.
Quelles seront les conséquences de ce ralentissement dans la distribution ?
Pourriez-vous fermer des magasins Biocoop ? La restructuration s'accélère, et nous allons entrer dans des phases de régulation, avec des fermetures. Des réseaux sont déjà à vendre, nous ver-rons comment les cartes seront rebat-tues. Chez Biocoop, nous avons eu autour d'une quinzaine de fermetures depuis le début de l'année, mais le solde restera positif au final par rapport à nos 780 magasins actuels. Nous ne pouvons en tout cas pas nous positionner aujourd'hui sur des achats de réseaux, contrairement à des acteurs avec des plus gros capitaux. Ce qui m'intéresse, c'est ce que ces acteurs feront avec leurs nouvelles parts de marché. À court terme, prix bas et abonnement fonctionnent, mais ils ne pourront plus en sortir. Je suis en tout cas confiant pour Biocoop : nos valeurs nous différencieront.
L'Agence bio a confirmé un ralentissement marqué des conversions, ainsi qu'une hausse des arrêts de certifications. Êtes-vous inquiet de cette dynamique ?
La plus faible conversion est normale : on peut comprendre que certains producteurs hésitent à se lancer, dans le contexte. Ce qui est plus inquiétant, c'est la déconversion de producteurs qui passent en conventionnel. Cela peut déstabiliser les filières à terme, et c'est un gros point de vigilance pour nous. Le phénomène est difficile à analyser, mais on peut se demander si certaines personnes qui se déconvertissent actuellement ne sont pas venues récemment dans le bio par opportunisme, parce que le marché était porteur. Ou bien s'il s'agit de difficultés économiques que peuvent traverser les producteurs. Nous avons en tout cas besoin de serrer les rangs, afin que des filières construites depuis quelques décennies ne soient pas déstructurées. Car les acteurs les plus pénalisés actuellement sont ceux qui ont fait le choix du tout bio. Les coopératives qui font à la fois du bio et du conventionnel peuvent en revanche arbitrer, faire des contributions de marge. Tout comme la grande distribution, qui peut aussi se tourner vers les produits qui se vendent le mieux, notamment le premier prix.
Que dire aux producteurs de lait, ou de viande qui voient le cours de leurs produits plonger sous celui du conventionnel ?
Ces sirènes sont fortes, mais il faut résister, car elles ne seront que temporaires. Repartir en conventionnel, c'est se tirer une balle dans le pied à moyen terme. L'enjeu est de faire en-tendre les problèmes des filières, et d'y répondre par des hausses de prix légitimes, en évitant la spéculation.Quelles sont pour vous les réponses à apporter à la situation actuelle du secteur ? Il faut avant tout se réinventer, mieux expliquer les atouts du bio à une gé-nération qui se préoccupe de biodiversité et de climat. Nous avons aussi besoin d'une impulsion politique, notamment en matière de demande, pour rassurer ces acteurs du bio qui n'ont pas connu les difficultés de la filière en 2010 ou 2011. La restauration collective pourrait notamment être un vrai débouché, un vrai marché, mais il ne faut pas que les objectifs soient dilués en mettant au même niveau bio et HVE. La dernière chose, c'est d'accentuer sur le marché des produits transformés. Alors que 10 % du lait vendu est bio, le fromage stagne par exemple autour de 5 %. Je ne crois pas en tout cas que nous avons atteint un plafond de verre. Avec un plus fort soutien politique, il n'y a au-cune raison que la consommation bio n'atteigne pas 10 ou 12 % de parts de marché en France.
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