L'Oise Agricole 22 septembre 2022 a 09h00 | Par Louise Tesse

Ce qu'il faut retenir de la campagne

L'heure était au bilan jeudi 15 septembre à Gouy-sous-Bellonne (62) où le groupe Carré avait réuni agriculteurs et partenaires pour tirer, déjà, les grandes leçons de cette campagne 2022 marquée par vagues de chaleur et stress hydrique.

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De g à d : David Boucher, Jean Deray, Gérard Dessery et Philippe Touchais.
De g à d : David Boucher, Jean Deray, Gérard Dessery et Philippe Touchais. - © L.T.

Cela s'est joué à quelques jours. «On s'est encore fait peur, soupire David Boucher, coach en agronomie au sein de la Ferme Pilote du groupe Carré. Le retour des pluies s'est fait au bon moment et on est passé à côté de la catastrophe.» Le négociant dressait jeudi 15 septembre le bilan de cette campagne 2022, déjà affichée comme l'année la plus chaude et la plus sèche. Voici en cinq points ce qu'il faut en retenir.

Des rendements en hausse

90 q en blé tendre (+4,4 q par rapport à 2021), 86 q en orge d'hiver (+13 q), 46 q en colza (+13 q), 48 q en pois protéagineux (+17 q) : les rendements sont en hausse sur ces cultures.

En colza, seul le PMG flanche

«La campagne est clairement exceptionnelle, résume David Boucher. Les rendements ont été confrontés à ceux en blé ailleurs en France et ils sont meilleurs !»

Concernant les composantes de rendement, le nombre de pieds est bon, la floraison exceptionnelle (11 semaines, contre 8 habituellement), le nombre de grains par silique excellent. Le seul bémol concerne le PMG (poids mille grains, ndlr), ce que le coach explique par différentes hypothèses : des fins de cycles plus aléatoires, de mauvais enracinements (avec des problèmes d'implantation de structure) ou le fait que toutes les composantes ne peuvent être exceptionnelles (la plante compense). Enfin, les pressions des ravageurs et des maladies ont été réduites.

En blé : coup de chaud mais pas d'échaudage

«On a eu un coup de bol car la campagne était précoce : les coups de chaud sont arrivés quand le blé avait déjà un bon grain laiteux», constate le coach. Le retour des précipitations a permis de minéraliser les sols.

Le nombre d'épis par m² est en baisse mais suffisant. «Les meilleures années ne se font pas avec des populations trop importantes», remarque David Boucher.

Les qualités de semis sont très hétérogènes : la plus mauvaise plage de semis se situe fin novembre tandis que la meilleure est début octobre. «Une année ne fait pas l'autre : il faut vraiment varier les plages de semis. On a tendance à tout concentrer mais il faut au contraire l'éviter.»

Coté maladies, certains secteurs ont rencontré une forte pression rouille jaune, surtout à l'est de région, avec parfois de gros impacts sur le rendement. La fertilisation est le point névralgique de l'année : les reprises de végétations ont été compliquées ce qui a induit des carences. Conclusion, il ne faut pas chercher à prendre ou garder ses habitudes mais s'adapter. «Les repères ont changé, les dates ne sont plus les mêmes qu'avant.»

Escourgeon et autres cultures : très variable

Nombre d'épis correct, fertilité d'épis très bonne et PMG correct : la campagne des escourgeons a été semblable à celle de blé. «Certains rendements vont chercher très haut.» Les variétés hybrides, avec un meilleur enracinement, sont au-dessus des lignées avec un rendement moyen à 115,5 pour les premières et 107 pour les secondes.

La forte pression rouille naine mais avec une maîtrise plus aisée qu'en blé a eu un faible impact économique. Les stades ont été galopants toute la campagne. «Les repères que nous connaissons évoluent, il faut suivre le mouvement»

En orge de printemps : les semis précoces s'en sortent bien. «Plus les semis sont tardifs, plus l'addition est salée.»

En pois de printemps : les résultats sont corrects. En lin textile : les rendements sont acceptables. En betteraves sucrières : tout a été compliqué, que ce soit en désherbage ou en ravageurs. En pomme de terre : l'absence de mildiou a permis une belle économie d'intrant. En maïs : ce n'est pas la catastrophe car peu de variétés à floraison pendant les coups de chauds.

Finalement, l'année s'est révélée très compliquée sur certains systèmes avec d'importantes pertes en production comme en rentabilité mais «d'autres s'en sortent plutôt bien».

Le maître mot : la résilience

«La sécheresse de 2022 est comparable voire plus intense que celle de 1976. Pourtant, contrairement à 1976, nous aurons quand même des récoltes», se réjouit David Boucher. Les évolutions de la génétique et des pratiques permettent aux récoltes de passer de passables à très bonnes. «La région est bénie des dieux ! Mais nous ne pouvons pas compter toujours sur la chance. Il faut être conscient que la campagne s'est jouée à quelques jours.» L'adaptation est le maître mot, à conjuguer aux contraintes réglementaires, techniques, économiques et climatiques. «Peut-on augmenter la résilience de nos systèmes avec des réponses transversales ?» Une chose est sûre, il ne faudra pas rester sur des systématismes.

«Toutes nos références ont changé, complète Philippe Touchais, directeur de la ferme Pilote et de l'innovation, et ce dans un contexte de prix élevés. Il nous faut sortir des habitudes : les dates des stades, les doses, les pressions en ravageurs ou encore les besoins azotés sont chamboulés par le changement climatique. Il faut repenser nos trajectoires.»

«Le monde n'a jamais autant produit de blé»

Production mondiale, volatilité des prix, contexte géopolitique : Jean Deray, expert en céréales pour le groupe Carré, nous éclaire sur les marchés mondiaux en céréales.

«Cette année, le monde n'a jamais autant produit de blé de son histoire», constate Jean Deray, responsable du service céréales du groupe Carré avant de détailler : les Russes vont produire quasiment 100 Mt ; l'Ukraine, finalement, a récolté 20 Mt (- 6 Mt par rapport aux 5 dernières années) même si l'inquiétude porte sur l'an prochain ; en Europe, «il n'y a pas eu de catastrophe sur les rendements malgré les coups de chaud». En France, la production de blé tendre 2022 avoisinerait les 33.5 Mt. La récolte est normale aux USA, au Canada. Le sort des céréales dépend aussi de celui de la Russie qui rattrape le retard pris cet été. 20 % des blés produits dans le monde s'exportent. «Le poids de la géopolitique est une épée de Damoclès, résume l'expert. Sur le papier, le blé existe mais on ne connaît pas la quantité disponible sur le marché.» Quant aux prix, leur volatilité est inédite. 270 EUR/t avant que ne s'enchaînent : guerre, blocage en mer Noire, panique de la demande, temps sec aux USA, températures caniculaires en Inde. Puis, l'euphorie jusqu'à la mi-mai avec 435 EUR/t. Mi-août, retour à 300 EUR/t suite à un accord politique sur le corridor.

Quant au maïs, l'Europe enregistre une baisse de production de 18 Mt. «En Ukraine, il y a pratiquement un retour à la normale en maïs, remarque Jean Deray, pour faire place à la récolte qui arrive. Un élément fondamental est la remise en cause du couloir d'évacuation des céréales par Poutine.» Au Brésil et en Argentine, les productions ont presque doublé en 5 ans et devraient compenser ce que l'USA et l'UE ne vont pas produire.

«On n'a plus de repères», observe l'expert. Faut-il miser sur une hausse ou sécuriser pour l'an prochain ? Pour lui, la seconde option est à privégier : «sécuriser sa marge en vendant dès maintenant, il y a trop de risques baissiers. Tout peut encore se passer. Le contexte géopolitique est très impactant.»

La hausse des coûts absorbée par celle des rendements

Philippe Touchais, directeur de la ferme Pilote et de l'innovation, a annoncé les résultats de la 5e édition de l'enquête «Experts céréales» menée par le groupe Carré, concernant les coûts de production. Ces derniers sont calculés à partir d'un échantillon composé cette année de 146 parcelles (1 433 ha) cultivées par 40 agriculteurs - volontaires - des Hauts-de-France. Charges opérationnelles, de mécanisation et de structures ont été comptabilisées en tenant compte des aides PAC. Sans surprise, en 2022, quasiment tous les postes sont en hausse (engrais, phytos, semences, mécanisation), ce qui fait grimper de 20 % les coûts de production, passant de 132 EUR/t en 2021 à 135EUR/t cette année. «Le poste engrais est en hausse de + 50 %, cite Philippe Touchais. Certaines stratégies d'achat ont permis de tamponner ces hausses qui auraient pu être encore plus élevées.» Les charges de mécanisation sont également en hausse de 10 % tandis que les aides Pac ont plutôt tendance à la baisse. Cette hausse des charges est absorbée par la hausse des rendements. «C'est le rendement qui fait le résultat : attention aux impasses qui vont coûter cher. Le timing des achats d'engrais et de vente des céréales est un facteur clé de succès.» Tenant compte de l'inflation et de l'augmentation des charges, les prévisions pour 2023 envisagent un coût de production en hausse de 40 %. «Poussée de fièvre sur les engrais, hausse des phytos et semences sont à intégrer, mais les prix de vente restent hauts, nuance le directeur. La marge nette reste néanmoins élevée tant que le cours du blé reste supérieur à 260 EUR/t.»

3 questions à Gérard Dessery, Chef marché engrais du groupe Carré

«70 % des usines européennes fabriquant de l'azote sont fermées»

  • Quelle est la situation de la fabrication d'engrais ?

En France, 2 millions de tonnes d'engrais sont vendus chaque année. Le contexte a changé depuis 18 mois. L'envolée des prix du gaz s'est répercutée sur le prix des engrais et les coûts de production explosent. Certains fabricants arrêtent de produire. 70 % des usines européennes fabriquant de l'azote sont fermées depuis que le prix du gaz a franchi la barre des 150 EUR/ MWh il y a un mois.

  • Comment pourrait-elle évoluer ?

La projection à un an ne laisse pas entrevoir de baisse, l'augmentation se poursuit. Problème : les usines annoncent redémarrer lorsque le gaz sera inférieur à 150 EUR. Cela risque de se produire en période de forte consommation, d'où une flambée des prix. S'ajoute la courbe de la parité : il y a un an 900 $ valaient 760 EUR. Ils en valent 900 aujourd'hui. Par ailleurs, le fret et le transport ont augmenté et manquent cruellement de chauffeurs.

  • Quelle est la tendance du marché ?

Personne ne sait réellement ce qui va se passer. La demande mondiale en azote est toujours soutenue, l'offre européenne très contingentée. Les prix dépendent des cours du gaz et de l'ammoniac. Il est même difficile de se projeter à plus d'un mois pour un fabricant. La coupure de gaz cet hiver est une réelle crainte. Pour les agriculteurs, il faut se donner les moyens de couvrir 80 % de leurs besoins pour garantir la production et prendre zéro risque.

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