Continuer à produire de la betterave dans l'Oise sans NNI
Le ministère de l'Agriculture a douché lundi 23 janvier les derniers espoirs qui restaient aux betteraviers suite à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne publiée le 19 janvier : la dérogation d'utilisation des néonicotinoïdes, c'est fini.

Afin de maintenir la pérennité de la filière betteravière en France, Marc Fesneau, le ministre de l'Agriculture, a affirmé la nécessité de trouver des alternatives, explorées notamment dans le cadre du PNRI, dans lequel 20 M EUR ont été investis. «Nous allons essayer d'accélérer les choses, mais il nous manque une année», a soutenu le ministre.
Côté producteurs, la CGB pointe qu'en l'absence d'alternatives efficaces déployables en 2023 (qu'elles soient issues du PNRI, plan national de recherche et d'innovation, ou non), la filière se retrouve au pied du mur.
En effet, la catastrophe sanitaire de 2020 est toujours dans les esprits, avec une perte moyenne de rendement de 30 % au niveau national, les exploitations les plus touchées ayant perdu jusqu'à 70 % de leur récolte, dans certaines régions. Dans l'Oise, Alexis Hache, président de la CGB 60, déplore «une décision européenne brutale et définitive, qui laisse la filière dans une situation délicate, chacun se souvenant bien de 2020. Aujourd'hui, le PNRI n'a pas encore apporté de solutions clé en mains.»
Soutien de l'État
Chez Tereos, on ne s'attendait pas à une telle décision qui cause un grand désarroi chez les producteurs. «La coopérative était représentée à la réunion ministérielle de ce lundi et le ministre s'est engagé sur plusieurs points. D'abord, adapter l'homologation de produits comme le Movento ou le Teppeki afin de pouvoir les utiliser en foliaire à bon escient contre les pucerons vecteurs de la jaunisse, ou homologuer plus rapidement de nouvelles molécules. Ensuite, garantir un fonds d'indemnisation des planteurs, hors règle des minimis et sans franchise, jusqu'à ce que des solutions pérennes soient trouvées», explique Grégoire Langlois-Meurinne, administrateur Tereos à Chevrières.
En ce sens, la balle est dans le camp du ministre dont les planteurs attendent qu'il tienne parole en soutenant la filière financièrement, seule alternative pour la sauver. Néanmoins, Marc Fesneau ne s'est pas montré affirmatif quant à l'indemnisation des industriels sucriers qui auront sans doute moins de betteraves à travailler et plus de charges. À la demande du représentant de Tereos, le ministre s'est quand même engagé à ne pas recourir à de nouveaux quotas d'importation de sucre.
Solutions techniques
Yohann Debeauvais, responsable de la délégation ITB (Institut technique de la betterave) pour la Somme et l'Oise, indique que les planteurs devront appliquer en 2023 la même stratégie qu'en 2019 et 2020. À savoir Teppeki à 140 g/ha avec de l'huile, «c'est un aphicide efficace sur les pucerons verts.» De même, une dérogation a été demandé pour deux passages de Movento à 0,45 l/ha + huile. Si la pression pucerons est modérée en 2023, ces applications seront suffisantes, il y aura de la jaunisse, mais avec peu de perte de rendement. Par contre, en cas de forte pression pucerons, ce sera insuffisant pour limiter la jaunisse et il faudra craindre des pertes plus importantes. Dans tous les cas, Yohann Debeauvais conseille aux producteurs de suivre particulièrement leurs parcelles et de se référer à l'OAD (outil d'aide à la décision) «Alerte pucerons» pour déclencher les interventions quand les seuils seront atteints. Autrement dit, il va falloir surveiller les parcelles comme le lait sur le feu, en attendant de nouvelles solutions.
«Les planteurs ont une période délicate à traverser avant l'arrivée sur le marché de variétés tolérantes à la jaunisse, ils ne doivent pas prendre de décision trop hâtive. Les coopérateurs Tereos sont engagés pour plusieurs années et c'est collectivement que nous tiendrons les usines. Certes, la fin de la dérogation arrive une année plus tôt que prévu, mais si l'État est à la hauteur du défi, la betterave doit pouvoir garder sa place dans les assolements», assure Grégoire Langlois-Meurinne.
Toute la filière est dorénavant dans l'attente de propositions concrètes de la part du ministre de l'Agriculture sur les dispositifs à mettre en oeuvre pour palier le manque à gagner et sur leur financement, le prix de la betterave ayant augmenté depuis le dispositif d'indemnisation de 2020. Il a une dizaine de jours pour le faire, à la veille des semis.
La Région Hauts-de-France réagit
«La région Hauts-de-France produit plus de la moitié des betteraves industrielles françaises : ce sont près de 12.000 exploitations, 210.00 hectares, 10 sucreries, 1.500 emplois permanents, 800 emplois saisonniers et un chiffre d'affaire de plus de 350 millions d'euros qui sont menacés par cette décision. Les semenciers se sont fortement mobilisés et ont mis en place deux projets de R&D en génétique très ambitieux. Les acteurs de la filière font donc le nécessaire pour trouver une solution alternative mais le temps accordé n'est pas suffisant, il leur manque 2 à 3 années. La Région Hauts-de-France demande solennellement à l'État et l'Europe de prendre en considération l'important effort de recherche engagé et les délais minimum requis pour aboutir à une nouvelle variété résistante aux pucerons. Les décisions ne peuvent s'appliquer sans prendre en compte l'avancée de la recherche, sauf à condamner au milieu du gué toute une filière, tous les emplois induits, spécialement dans l'industrie sucrière, mais aussi la production d'éthanol. Il en va de notre souveraineté alimentaire et de la production de carburant sur notre territoire, il en va aussi de l'équilibre dans la rotation des cultures, auquel la betterave contribue fortement.»

Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA
Impensable, inadmissible !
C'est d'une absurdité déconcertante de changer les règles alors que la campagne betteravière a largement débuté. Les planteurs ont acheté les semences, les produits phytosanitaires, les engrais et la terre est déjà labourée. Ils ont un contrat à respecter !
Aujourd'hui, on doit arrêter d'interdire sans solution, redonner de la visibilité car qui va prendre les risques dans cette campagne ? les agriculteurs ! De plus, si on se retrouve avec une attaque de pucerons, on aura beau faire des traitements à l'aveugle, les conséquences seront nombreuses, notamment sur la biodiversité. On va démarrer l'année 2023 avec des charges sur les engrais qui ont doublé, voire triplé. Je suis atterré par les conséquences potentielles de cette décision.
Pour maintenir la filière sucre, on n'avait pas besoin de ça. Les agriculteurs vont se désintéresser d'une culture rémunératrice. On va perdre des surfaces betteravières en France. Le comble, c'est que l'on risque d'importer du sucre produit sans aucune transparence, traité avec des produits interdits. C'est l'incohérence complète des politique française et européenne. Les agriculteurs sont tout à fait prêts à réaliser la transition écologique qu'on leur demande, mais il faut qu'elle soit identifiée.
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