La démarche C’est qui le patron? est un ovni
Emmanuel Vasseneix revient sur la démarche C’est qui le patron ?, initiée durant la crise laitière.

Pourquoi vous êtes-vous lancé dans cette aventure ?
Il faut revenir à notre histoire. En 1984, avec l’arrivé des quotas, la laiterie était vouée à disparaître car elle n’était pas située dans une région à vocation laitière. La production était encore plus atomisée et les pôles de consommation, comme Paris, n’étaient pas aussi prégnants. C’est à ce moment que nous avons réorienté l’entreprise vers le conditionnement de liquide alimentaire en prenant le lait, un liquide compliqué, comme base de notre savoir-faire. En 2005, la question s’est posée de nouveau de savoir ce que nous allions faire de notre activité lait. 80 % du lait que nous achetions était vendu en premier prix ! Soit nous arrêtions l’activité lait, soit nous la redéployions.
C’est ce que nous avons fait en nous basant sur quatre piliers : l’origine, la santé, le bien-être animal et le lait équitable. Nous avons ensuite développé des partenariats pour répondre à la demande des producteurs ou des distributeurs. Ainsi sont nés les partenariats avec Cant’Avey’Lot, le lait du Vercors, FaireFrance, et des laits pour Monoprix (bien-être animal), Auchan (origine et bien-être animal), Système U (Biolait), Lidl (origine). En revanche, la marque C’est qui le patron ? pour Carrefour, c’est vraiment un ovni !
Et pourquoi donc ?
Parce que, pour C’est qui le patron ?, c’est le consommateur qui décide. Avant, l’entreprise faisait des études marketing, des analyses, etc. pour comprendre la demande du consommateur. Là, c’est l’inverse. C’est le consommateur qui indique ce qu’il veut. Le processus s’inverse. En plus, le système s’est créé sans rien, juste avec trois personnes, un sondage par internet et du bouche-à-oreille. Je n’y croyais pas vraiment au début.
Vous affichez un prix du lait au producteur de 390 €/1.000 l, mais vous êtes dans un marché volatil, comment adapter le système ?
Toujours par sondage. Si le producteur ne s’y retrouve plus, nous retournons interroger le consommateur. Cela nous est déjà arrivée de le faire, notamment à un moment où la demande a dépassé l’offre. Nous n’avions plus de briques de lait avec bouchon.
Il nous fallait repasser à des briques de lait sans bouchon pour continuer à approvisionner les consommateurs. Nous leur avons donc expliqué le problème qui l’ont très bien accepté. Les 0,05 € économisés sur le bouchon ont été reversés au producteur. Ce fut très transparent.
Comment se répartissent les marges ?
Un tiers part pour le producteur, un tiers pour l’industriel et un tiers pour le distributeur. Avec le distributeur, nous avons calculé ensemble pour conserver nos marges habituelles. 5 % du chiffre d’affaires sont réservés à la communication. C’est une action militante.
Pourquoi aucune autre laiterie n’est rentrée dans le jeu ?
Cela correspond aussi à une stratégie. Le marché du lait de consommation a été tellement détruit en termes de valeur qu’il n’existe que peu d’usines comme la nôtre aujourd’hui. Un groupe comme Lactalis a sa propre stratégie. Quant à Sodiaal, la coopérative présente une facturation qui se veut très égalitaire auprès des producteurs, il aurait été difficile de payer de façon différenciée quelques producteurs.
Quelle vision avez-vous du secteur laitier à l’avenir ?
Pour moi, il y a une vraie stratégie derrière tout ce qui s’est passé depuis deux ans. Tout le monde savait qu’avec la fin des quotas, cela allait être le bazar. Ce sont des décisions purement politiques. Je fais partie de ceux qui imaginent que, d’ici cinq à dix ans, nous allons manquer de matières premières. Si nous n’emmenons pas avec nous les producteurs dans un système plus équitable, ils disparaîtront. Je trouve par exemple scandaleux la problématique des achats des collectivités locales et territoriales. Les politiques nous donnent de grandes leçons de morale et n’achètent pas français ! Je crains aussi pour le bio. Cela risque d’être dangereux si on ne construit pas plus la filière ! Je crois que nous sommes devant un vrai virage, soit demain on paye une alimentation de qualité au juste prix, soit on la paye moins cher. Dans ce cas, ce sera une spécialisation des productions dans certaines régions du monde et surtout une agriculture subventionnée en permanence, si on en souhaite encore une…
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