La myrtille : un bleuet plein d'avenir
La myrtille occupe une petite place dans le grand panier des fruits rouges. Mais les choses pourraient changer grâce à des pépiniéristes entreprenants.

Voilà plusieurs décennies que les sélectionneurs américains ont apprivoisé la myrtille, un fruit très courant en Amérique du Nord. Nommée blueberry pour les anglophones, Vaccinum corymbum porte le joli nom de bleuet au Québec. Si les Français consomment occasionnellement de la myrtille noire sauvage, tout reste à faire ou presque du côté de sa version cultivée. En amont de cette filière en devenir, se trouvent les pépiniéristes multiplicateurs de génétique.
Dans la vallée de la Loire, en Anjou, Mathieu Billotte, patron de l'entreprise Multibaies, est l'un d'eux. À 41 ans, il a développé à grande échelle la multiplication de plants certifiés de myrtilles arbustives, plus grosses et moins fragiles que les myrtilles sauvages. Une génétique acquise à l'origine de l'exploitation auprès de l'Inra par son père, un conseiller arboriculteur soucieux de développer une production d'appoint.
Prenant la suite, Mathieu a changé de braquet en développant la production à grande échelle afin de répondre à une demande croissante.
Des partenariats avec des obtenteurs, publics ou privés, lui ont permis d'enrichir son offre. Ces acheteurs sont des pépiniéristes et des producteurs français, mais surtout étrangers, venant notamment de Serbie, de Géorgie, de Roumanie et du Maghreb. Un rapide tour d'horizon des sites internet montre que l'engouement pour le fruit est mondial. Dans de nombreux points du globe propices à la culture, la dynamique de production est exponentielle.
Maîtriser toute la chaîne de production
«Nous expédions nos plantes de Varsovie à Agadir», souligne le producteur. La demande de plants s'accroît sur tout le pourtour méditerranéen. Son exploitation de Cheffes (Maine-et-Loire) est calibrée pour produire sous serre un million de myrtilliers par an, avec une main-d'oeuvre de 8 équivalents temps pleins. Les plants sont produits en deux ans, par bouturage à partir d'une collection de 30 variétés de pieds mères précieusement entretenus.
D'abord classique, le bouturage a évolué vers la technique de l'in vitro. Une étape déléguée à une entreprise spécialisée dans la banlieue d'Angers. Les boutures racinées in vitro sont placées 10 semaines à l'étouffée, avant de suivre un parcours de rempotage successif s'achevant par les conditionnements de commercialisation (plant trays de 300 cm3, pot de 1 l, conteneur de 2 l ou 4 l). Une technique économiquement très performante puisqu'elle permet à Multibaies de gagner une année sur le cycle de production. «Nous sommes plus réactifs, c'est vital, même si nos clients les mieux organisés prennent soin de passer leurs commandes un an à l'avance. Notre métier de pépiniériste change. Il ne s'agit plus seulement de maîtriser un savoir-faire familial. Pour vivre sereinement, nous devons maîtriser notre métier de bout en bout. L'horizon de celui qui se cantonne à la simple production de plants est très limité. Il n'y a pas de futur pour nous producteurs si l'on est juste un maillon spécialisé de multiplication de plants sur un marché de moins-disant. Ça ne vaut pas le coup. Il faut se démarquer par la génétique et contractualiser avec un obtenteur qui accepte de vous confier la multiplication d'une ou de plusieurs variétés».
Dénicher de nouvelles pépites
Dernière acquisition mise sur le marché, Pink Lemonade, une jolie variété hybride à fruits roses du genre Vaccinium asheï. Une stratégie qui conduit Mathieu à flâner sur internet et à lancer quelques bouteilles à la mer à propos d'un autre fruit rouge, la mûre. Un message posté sur les réseaux sociaux a été saisi par le salarié français d'un leader sud-américain de la production de mûres. «Il m'a mis en contact avec sa patronne, une Chilienne que j'ai rencontrée au Mexique. À sa demande, j'ai organisé une tournée européenne pour elle et son équipe, et à son issue, nous avons signé un contrat club me confiant la multiplication d'une perle rare, une variété de mûrier remontant».
Multibaies produit aussi sous licence des génétiques appartenant à des universités américaines percevant des royalties sur chaque plant vendu. «Les Américains sont des pragmatiques et c'est simple de faire des affaires avec eux, y compris avec des universitaires», considère Mathieu. Dans la serre de collecte, la taille des myrtilliers et les grappes fructifères montrent le potentiel de la plante. Au milieu des Vaccinum, quelques plants d'un fruit quasi inconnu mais, selon le producteur, promis à un bel avenir : «Il s'agit de camerises ou hascap du Japon, des fruits charnus, oblongs, au parfum ténu à mi-chemin entre la myrtille et la mûre». Un peu à l'étroit sur son site historique, Multibaies est en cours de transfert vers un site de 15 ha, plus grand et surtout non inondable à quelques kilomètres de là. «La nouvelle implantation va nous donner les moyens de déployer une stratégie encore plus complète», conclut ce producteur en pleine ascension.
Forte demande mondiale
Endémiques aux USA, les myrtilles se cantonnaient encore récemment en France à certaines zones montagnardes où quelques trop rares auberges inscrivent à leur carte de fameuses tartes. Mais dans les pays anglo-saxons, le plus discret des fruits rouges est aussi populaire que la fraise ou le cassis grâce une production massifiée. Cette baie au parfum délicat commence à prendre ses marques dans l'Hexagone où les étals la proposent au gré des productions locales, la myrtille arbustive (ou bleuet) côtoyant la sauvage myrtille noire issue de cueillette. En Amérique, en Europe, en Chine, la demande en myrtille explose. Le genre Vaccinium (famille des Éricacées) compte de nombreux membres et les obtenteurs n'ont qu'à piocher dans le réservoir génétique des variétés (Corymbosium, Ovatum, Asheï). De nombreux pays d'Amérique (USA, Argentine, Pérou, Chili, Colombie) exportent pour répondre à la demande des pays d'Europe du Nord où elle est prisée, notamment pour sa haute teneur en antioxydants. La production mondiale est chiffrée à 550.000 t/an.
Leader incontesté, les USA récoltent 260.000 t/an sur environ 36.000 ha en production, un tonnage multiplié par cinq en dix ans. Sur les autres marches du podium, le Canada (165.000 t) et le Pérou (95.000 t). En Europe, l'Espagne annonce une production annuelle de 43.000 t, la Pologne 25.000 t et l'Allemagne 13.000 t. La France se classe 10e avec 9.000 t et 2.400 ha plantés essentiellement en Rhône-Alpes, dans le Sud-Ouest et en Val de Loire. Selon les bassins de production, les rendements moyens varient de 3 t à près de 16 t/ha (Pérou). En Europe, ils se cantonnent dans la fourchette basse de 3 à 4 t/ha sauf en Espagne (12 t/ha)*. Conditions de la réussite, des sols acides, filtrants et une exposition ensoleillée. Sur le marché, la demande reste bien supérieure à l'offre. Une tension qui se retrouve sur les prix, entre 12 EUR et 25 EUR le kilo (barquettes de 125 g) au mois d'août en France (sous FranceAgriMer) selon la provenance, le mode de culture et les marchés avec somme toute des périodes de productions excédentaires faisant ponctuellement chuter les prix. La production s'échelonne de juin à septembre. La plateforme documentaire du CTIFL rappelle que sur ce marché, la France offre un potentiel énorme avec une consommation annuelle de 10 g par habitant, contre 500 g par habitant en Europe du Nord (chiffres 2016).
Les opinions emises par les internautes n'engagent que leurs auteurs. L'Oise Agricole se reserve le droit de suspendre ou d'interrompre la diffusion de tout commentaire dont le contenu serait susceptible de porter atteinte aux tiers ou d'enfreindre les lois et reglements en vigueur, et decline toute responsabilite quant aux opinions emises,