L'Oise Agricole 13 juillet 2022 a 17h00 | Par Nathalie Marchand, Nicole Ouvrard et Mathieu Robert

Marc Fesneau : «Pas question de toucher au statut du fermage»

Dans un entretien, le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau - qui vient d'être reconduit lors du dernier remaniement - explique ses récents arbitrages sur la déclinaison nationale de la future Pac et livre sa feuille de route.

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Marc Fesneau fait le point sur les principaux sujets agricoles.
Marc Fesneau fait le point sur les principaux sujets agricoles. - © AGRA PRESSE

Quel est votre bilan, après quelques semaines d'exercice ? Êtes-vous le ministre de la réconciliation avec les ONG, qui étaient en froid avec Julien Denormandie ?

Le ministère de l'Agriculture est à la fois un ministère du temps long, mais aussi de la gestion de crise. Dès mon arrivée, je suis allé aux côtés des agriculteurs touchés par la sécheresse et la grêle, pour répondre aux urgences et fixer des perspectives de long terme. Je ne sais pas si je suis le ministre de la réconciliation, mais je ne pense pas que nous opérions les grandes transitions dont nous avons besoin sans se mettre tous autour de table, y compris avec les ONG. Cela nécessite que l'on pose le cadre de référence : où on est et où on veut aller ? On a besoin d'entrer concrètement dans un certain nombre de sujets. Cela passe par un dialogue en responsabilité avec un seul objectif : pouvoir avancer.

Votre premier grand dossier a été la déclinaison française de la Pac, le PSN, dont vous avez dévoilé la seconde version le 1er juillet. Quelle a été votre ligne ? Que répondez-vous à la FNSEA qui vous accuse de ne pas avoir su résister à Bruxelles ?

Le sujet n'est pas celui-là. Le premier PSN a été envoyé en décembre avec une architecture que je partage totalement, qui vise à avoir un ensemble le plus inclusif possible. C'est une discussion avec la Commission, qui a fait des remarques auxquelles nous sommes tenus de répondre. Sur bien des sujets, nous avons trouvé des points d'atterrissage qui correspondaient à la vision française de la Pac. Il en reste un en finalisation sur la BCAE 7, sur la rotation des cultures, parce qu'il y a un sujet d'applicabilité qui n'est pas valable qu'en France. C'est un sujet sur lequel la Commission est particulièrement exigeante et qui pose des problèmes en particulier pour les cultures de maïs. Nous sommes en train de trouver un chemin.

Sur la HVE, certains ne la trouvaient pas assez exigeante. Nous avons fait un travail de reformatage pour monter en termes d'exigences, avec notamment la suppression de la voie B. Il y a eu un comité la semaine dernière pour valider le nouveau cahier des charges qui va être mis en débat pendant deux mois de consultation publique. Ces changements, nous les avons construits avec les professionnels.

Dans cette deuxième version, l'idée était-elle aussi de répondre à la crise du bio ?

La crise actuelle du bio est une crise économique, qui ne sera pas réglée par la Pac. Quand le prix du lait bio est le même que le lait conventionnel, c'est une question d'organisation de filière et de dialogue exigeant avec la grande distribution. Le contexte, reconnaissons-le, n'est pas favorable, car l'inflation fait qu'il y a un déplacement de consommation du bio vers du plus conventionnel. Je défends la HVE face à ceux qui la décrient. Pour moi, c'est un élément déterminant de l'inclusivité de la transition. Ce n'est pas «rien ou bio». La démarche HVE permet aux agriculteurs de se saisir de la transition et d'en être partie prenante. Le bio répond à d'autres contraintes et rend d'autres services environnementaux, d'où le différentiel qui est opéré entre les deux.

Vous arrivez en pleine période d'aléas climatiques, et en pleine réforme de l'assurance, qui doit être arbitrée d'ici mi-juillet, pour une entrée en vigueur en 2023. Quelle est votre ligne ?

L'objectif est une mise en oeuvre au 1er janvier 2023 d'un texte qui a été publié en mars 2022. C'est un engagement fort pour nos agriculteurs qui sont en première ligne face aux conséquences du changement climatique. C'est un temps très court, mais je suis confiant pour que nous tenions les délais. Il y a trop peu d'assurés et un système de calamités agricoles qui ne répond plus aux problèmes. C'est la base de cette réforme pour construire un système dans lequel l'État mette plus de moyens pour faire en sorte que la couverture assurantielle soit meilleure, en particulier pour les secteurs les plus mal couverts. En juillet, nous allons réunir la conférence des filières pour définir les taux de couverture filière par filière. Nous devons nous mettre d'accord sur ce qui est financé par l'État, par les assureurs et la part que peuvent prendre en charge les agriculteurs, dans le cadre budgétaire qui a été fixé dans la loi, c'est-à-dire jusqu'à 600 millions d'euros par an, soit deux fois plus à terme que le système actuel, en mobilisant la solidarité nationale. Une ordonnance doit être publiée en septembre.

Un chèque alimentaire a été annoncé pour la fin d'année. Comment voyez-vous la sélection des produits et la distribution ? Avec quel budget ?

Le chèque alimentaire a une vocation sociale : permettre aux personnes qui ne peuvent accéder à une alimentation durable et de qualité de précisément pouvoir y accéder sans pour autant faire baisser les prix au détriment des agriculteurs. Dans l'idéal, il faudrait que, d'une part, l'État mette une certaine somme, car c'est un dispositif public, et que la grande distribution prenne aussi sa part. La question sera débattue durant l'examen de la loi de finances cet automne. Il nous reste, par ailleurs, à définir le champ des produits éligibles à ce chèque alimentaire : produits frais, sous Siqo (signes d'identification de la qualité et de l'origine), bio, fruits et légumes, circuits courts. Nous allons rentrer dans un débat intéressant.

Le retour des promotions à - 50 % sur les produits alimentaires demandé par des distributeurs pourrait-il remplacer ce dispositif ?

Non ! J'y suis fermement opposé, parce que c'est une dégradation de la répartition de la valeur au détriment des agriculteurs et industries agroalimentaires. À l'instar de notre stratégie depuis cinq ans, les lois Egalim 1 et 2 ont vocation à faire en sorte que, quand il y a de l'inflation, on ne commence pas à fragiliser les agriculteurs et les industries agroalimentaires. Deuxièmement, les distributeurs ont le droit de faire des promotions jusqu'à 34 %, la moyenne c'est 21 %, il faudrait déjà qu'ils aillent à 34 %. Avec Bruno Le Maire, nous avons demandé une mission pour détecter les éventuels abus, où qu'ils soient, et définir les solutions pour y répondre.

Emmanuel Macron avait promis une loi d'orientation agricole pour l'installation. Qu'en attendez-vous ?

Il n'y a pas eu de grande loi touchant la formation, l'installation et la cession, depuis la loi Rocard de 1984. 60 % des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite dans les dix ans, ce qui pose un sujet de renouvellement des générations, mais aussi de souveraineté. Ouvrons tous les sujets qui touchent à l'installation : la formation, la transmission, l'innovation, le foncier, les conditions économiques, la résilience des exploitations face au changement climatique. Avec tous les opérateurs, nous allons regarder l'ensemble des problèmes qui se posent et décliner une boîte à outils. La consultation devrait débuter à la rentrée, pour un horizon à l'été 2023.

La réforme de statut du fermage sera-t-elle incluse ?

Il n'est pas question pour moi de toucher au statut du fermage. Je trouve que c'est un statut qui est protecteur pour le milieu agricole. Qu'il puisse y avoir un lien entre foncier et installation, c'est évident. Et je ne suis pas fermé à l'idée d'avancer sur des sujets de foncier. La question du portage foncier sera par exemple mise au débat. Mais si nous faisons une loi foncière, nous entrons dans une discussion dont, à mon avis, nous ne sortirons pas. Les émissions agricoles de gaz à effet de serre ont stagné en 2021, alors que l'objectif fixé par la SNBC à 2030 est de - 20 %.

Comment y parvenir ?

Le Haut Conseil pour le climat souligne que les trajectoires d'émissions du secteur sont respectées, signe que nous allons dans la bonne direction. Je suis en train de recevoir les filières pour convenir avec elles de la feuille de route que nous pourrons nous donner. Tout ne peut pas reposer sur les agriculteurs, il faut que l'amont et l'aval se mobilisent aussi. Et il ne faut pas oublier le consommateur dans tout cela, qui a aussi sa part de responsabilité à assumer.

Sur les engrais, c'est probablement plus facile qu'en élevage. Il faut regarder les solutions comme l'alimentation des bovins, le stockage et la réutilisation des fumiers... Il faut aussi raisonner en termes de balance et regarder les types d'élevage de bovins qui stockent le plus de carbone. À ce titre, le modèle français a des vertus, de l'exemplarité et entretient le paysage. Quant à l'élevage, ma philosophie n'est pas de garder les prairies et de retirer les vaches. Surtout si le consommateur continue à manger autant de viande qui serait importée de pays moins-disants que nous. Sans élevage, plus de prairie. C'est un vecteur indispensable à la transition agroécologique et à l'évidence un pilier de notre souveraineté. La priorité est la rémunération de l'éleveur, sinon impossible d'envisager les transitions.

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