Pour que Vincent Verschuere soit encore agriculteur demain
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi introduit par l'éleveur de Saint-Aubin-en-Bray contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Amiens du 8 mars 2022. L'agriculteur est donc condamné à 106.000EUR pour «trouble anormal de voisinage». La FDSEA et JA veulent maintenir la pression médiatique.
«Nous ne laisserons pas tomber Vincent Verschuere, nous voulons tous qu'il soit encore agriculteur demain» : c'est en ces mots que Régis Desrumaux, président de la FDSEA de l'Oise, résume son état d'esprit. État d'esprit qu'il partage avec de nombreux présidents d'organisations professionnelles de l'Oise et même nationales, puisque la FNSEA suit avec grand intérêt cette affaire, emblématique de la difficulté du vivre-ensemble en milieu rural. «La prochaine étape judiciaire pour Vincent, c'est en juin et, d'ici là, nous allons poursuivre notre soutien et notre mobilisation.»
Cette mobilisation va prendre deux formes. La première est un appel à se rassembler le jeudi 21 décembre prochain à 11 h, à Beauvais, place des Maréchaux. Tous les agriculteurs choqués par la décision de la Cour de cassation sont invités à apporter leur soutien à la famille Verschuere. «N'importe quel agriculteur pourrait connaître le même sort !»
D'ores et déjà, Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, et Nadège Lefèvre, présidente du Conseil départemental de l'Oise, qui ont suivi avec attention cette affaire dès le début, ont indiqué qu'ils seraient présents.
La seconde est la prochaine ouverture d'une cagnotte Leetchi. «De nombreux responsables agricoles d'autres départements suivent cette affaire et veulent être aux côtés de Vincent Verschuere. Cette cagnotte sera pensée comme un fonds de soutien commun aux agriculteurs victimes de leurs voisins. Il servira à la famille Verschuere à réaliser les travaux qu'elle va devoir engager et, s'il reste des sommes, elles serviront aux autres agriculteurs dans la même situation», explique le président de la FDSEA. Cette cagnotte sera portée par une association qui reste à déterminer.
Pression médiatique
D'ici juin, toutes les occasions seront bonnes pour remettre en avant cette emblématique affaire, déjà largement couverte par les médias nationaux. «Par exemple, le Salon de l'agriculture sera l'occasion d'en parler et ainsi, jusqu'à la décision du tribunal judiciaire de Beauvais, nous ferons des piqûres de rappel pour maintenir la pression médiatique. Tout le réseau syndical, depuis les cantons jusqu'à la FNSEA et au-delà, est mobilisé», assure Régis Desrumaux.
En attendant, première étape de ce long processus, le rassemblement à Beauvais jeudi 21 décembre. Bien entendu, Vincent Verschuere sera présent. «Après le découragement et l'abattement à l'annonce du rejet du pourvoi en cassation, le soutien de Régis Desrumaux, de la FNSEA, des agriculteurs de toute la France qui m'envoient des messages ou même des personnes non issues du monde agricole me remonte le moral et m'aide à tenir. J'espère que la loi qui sera votée, malheureusement trop tard pour moi, évitera à d'autres exploitants agricoles de subir les mêmes difficultés», veut-il croire. La mobilisation du jeudi 21 le rassurera sans doute : il n'est pas seul.
10 ans de bataille judiciaire
À l'origine des faits, deux nouveaux hangars, l'un de 1.257 m2 destiné à l'élevage de bovins sur une aire paillée et l'autre de 1.550 m2 regroupant une aire paillée, une salle de traite et une laiterie. Soit un investissement de 600.000 EUR. En août 2009, la mairie accorde les permis de construire. Permis renouvelés en décembre 2010. Les hangars se situant à moins de 100 mètres des habitations, la préfecture accorde à Vincent Verschuere une dérogation.
Le 19 février 2013, le tribunal administratif d'Amiens annule finalement les deux autorisations suite au recours d'un collectif de riverains proches de l'exploitation. Mais, entre temps, les bâtiments ont été construits ! Les voisins assignent l'EARL devant le tribunal de grande instance de Beauvais en octobre 2014 et réclament la démolition des bâtiments et l'indemnisation des préjudices subis. Lesquels ? «Bruits, odeurs, mouches en grand nombre» et «meuglements de vaches perceptibles depuis les habitations».
En 2018, le TGI reconnaît un «trouble anormal du voisinage» et condamne l'EARL à 120.000 EUR de dommages et intérêts. Condamnation confirmée en 2022 par la Cour d'appel d'Amiens, qui ramène le montant des dommages et intérêts à 106.000 EUR. Pour payer, Vincent Verschuere reçoit une avance remboursable de 40.000 EUR de la région Hauts-de-France et contracte un emprunt bancaire de 60.000 EUR.
Un autre jugement en 2024
En outre, l'éleveur doit proposer des aménagements permettant de faire cesser les nuisances ou, à défaut, procéder à la démolition des bâtiments. «On travaille à des solutions techniques, on fait réactualiser des devis» précise-t-il. C'est le tribunal judiciaire de Beauvais qui statuera à l'été 2024 mais un changement d'usage ou une démolition mettrait fin à l'activité laitière de la ferme.
Une loi pour protéger les activités agricoles
Hasard du calendrier, le rendu de la Cour de cassation est tombé à peine deux jours après le vote à l'Assemblée nationale d'une proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels (78 voix «pour», 12 «contre» et 3 abstentions). Un texte qui modifie certaines dispositions juridiques relatives aux troubles anormaux de voisinage pour, selon la rapporteure Nicole Le Peih (Renaissance), «bien vivre ensemble sur un même territoire.»
«Si le législateur est intervenu trop tard, il a été sensibilisé par l'affaire Verschuere, on aura dorénavant des règles de droit bien établies qui consacrent l'antériorité de l'activité» explique Timothée Dufour, avocat de l'exploitant. Concrètement, la loi consacre la responsabilité de la personne à l'origine des troubles (sonores, olfactifs...) dans le Code civil, mais celle-ci ne pourra être engagée si lesdits troubles pré-existaient à l'installation de la personne s'estimant dérangée. Voilà qui devrait donner un coup de frein à la multiplication des litiges entre agriculteurs et riverains.
Reste pour maître Dufour, lui-même fils d'agriculteur en Dordogne, à l'occasion de l'examen du texte au Sénat, à «prendre en compte l'évolution de l'activité agricole» sans quoi la proposition de loi ne répondra qu'imparfaitement aux attentes de la profession. «Les litiges naissent durant la phase de développement, lorsqu'il y a une extension.»
Autre enjeu : l'étendue de la proposition de loi. Dans quelle mesure celle-ci concernera-t-elle les activités connexes à l'agriculture : méthanisation, vente à la ferme, accueil touristique etc. ? «Il faudra absolument décliner cette proposition de loi en fonction des filières et des zones géographiques, pour que chacun puisse se l'approprier.» plaide l'avocat. En somme, protéger le monde agricole, au-delà de la ferme. «Il s'agit de garantir la liberté d'entreprendre, pas uniquement le coq sur son tas de fumier.»
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