L'affaire Verschuere, symbole du monde agricole et de la lutte face à l'absurdité
Des élus, des syndicats, des institutions agricoles, des agriculteurs et des riverains sont venus soutenir la famille Verschuere lors d'une marche à Saint-Aubin-en-Bray dans l'Oise le vendredi 6 mai. Cette marée humaine venant, soit du national, du régional ou du département, s'insurge sur la décision du tribunal qui condamne la famille à verser plus de 100.000 EUR de dommages et intérêts à six riverains. La profession craint des répercussions, mais ne se laisse pas abattre.
«On est tous des Vincent», scandent les participants à la marche de soutien pour la famille Verschuere. Le vendredi 6 mai, près de 250 personnes, élus, politiciens, syndicats et riverains se sont rassemblées sur la place de Saint-Aubin-en-Bray (Oise) à l'appel de la FDSEA. Cette manifestation avait trois objectifs : montrer que Vincent Verschuere est en grande difficulté alors qu'il est dans la légalité, prouver que les nuisances ne sont pas fondées et faire en sorte que les décrets de la loi de sauvegarde du patrimoine sensoriel soient pris. Mais rafraîchissons-nous un peu la mémoire.
Trop de bruits, d'odeurs, de mouches
Située rue de la Mare, difficile de distinguer la ferme des autres maisons. Cette disposition juste derrière la maison d'habitation est tout à fait normale. «Dans l'Oise, l'exploitation était au coeur des villages», affirme Vincent Verschuere. Ce jeune éleveur de 33 ans représente la quatrième génération d'agriculteurs à vivre ici. C'est en 2009 qu'il reprend l'exploitation familiale qu'il remet aux normes. Il obtient deux permis de construire pour deux hangars de 2.800 m² afin d'héberger 80 vaches laitières. Une dérogation lui est accordée car les bâtiments sont à moins de 100 m des habitations. Les mises aux normes effectuées en 2010 dans les bâtiments lui ont coûté 600.000 euros.
C'est là que les ennuis commencent ! En 2013, des riverains obtiennent l'annulation des permis. Nouveau procès en 2018, cette fois pour «trouble anormal du voisinage». On reproche à l'exploitant le bruit et l'odeur de ses vaches. Après dix ans de combats, l'éleveur est condamné en appel à verser plus de 100.000 euros de dommages et intérêts à ses voisins. «Il y a 20 ans dans l'Oise, on était 750 éleveurs laitiers. Aujourd'hui, on est déjà descendu à moins de 350. Si, demain, des condamnations comme ça se multiplient, il n'y en aura aucun tout simplement», se désole Vincent Verschuere.
Le 30 décembre 2021, une première manifestation avait été programmée et ce, à quelques jours du procès en appel. «Aujourd'hui, on a la boule au ventre, c'est tout le monde agricole qui est concerné. On ne doit rien lâcher !», s'insurge Régis Desrumaux, président de la FDSEA de l'Oise. Il demande aux présents d'aller visiter l'exploitation des Verschuere pour constater les fameux troubles. Après cinq minutes de marche au sein du village, personne n'a été pris de vomissement à cause des odeurs et n'a subi aucun mal de tête lié aux bruits. «Les oiseaux font plus de bruits que les vaches», lance une riveraine dans le cortège, «on ne sent aucune odeur», ajoute un autre.
«Absurde», «aberrant»
Au milieu du corps de ferme, tour à tour, les élus prennent la parole. Législatives obligent, Olivier Paccaud, sénateur de l'Oise, s'exprime pour l'ensemble des élus. Outré et abasourdi, le sénateur s'interroge sur le devenir de la France, «un Absurdistan, où règnent les juges et les tartuffes». Il ne comprend pas la finalité de cette décision : «dans cette affaire, les juges condamnent un honnête homme dont le seul crime est de vouloir travailler mieux et plus pour nourrir la société. Au début, on était rassemblé au coeur du village, à proximité de l'école, de l'église et de la mairie : un village typique de l'Oise. J'espère qu'un jour, on ne vous obligera pas, madame le maire, à fermer la cour d'école parce qu'éventuellement, ça pourrait troubler le repos et le bien-être égoïste de certains de vos administrés à cause des cris et des chants des enfants. Dès lors, veut-on une campagne sans bruit, sans odeur ? Une ruralité métamorphosée en musée sans paysan alors que jadis, l'agriculture est considérée comme le pétrole vert ! Doit-on abandonner notre souveraineté alimentaire ? On a furieusement besoin de cette agriculture qui peut être mal odorante et bruyante, mais c'est la campagne, la ruralité et la richesse de notre pays !»
Pour Hervé Ancellin, président de la Chambre d'agriculture de l'Oise, la charte de bon voisinage n'a pas été respectée. «Le but est d'éviter ces conflits en prenant en compte l'ensemble des demandes sociétales, en y associant à la fois l'Union des maires de l'Oise, des associations environnementales et plusieurs autres institutions pour justement faire en sorte que le bien-vivre ensemble existe dans notre département. On propose des diagnostics agricoles aux collectivités dans l'élaboration des documents d'urbanisme pour, à la fois permettre le développement des villages en termes d'habitat, d'activités économiques, mais aussi que des projets agricoles aboutissent. Il n'y a aucune raison, ici, de stopper l'activité agricole !»
Pour Nadège Lefebvre, présidente du Conseil départemental de l'Oise, s'installer à la campagne, c'est épouser la ruralité. «Une fois les autorisations signées, on doit vous laisser tranquille. J'estime qu'on oublie trop souvent la ruralité. On ne peut pas avoir l'esprit parisien et puis vivre à la campagne comme à Paris. On épouse la ruralité et on fait en sorte de respecter aussi ses métiers. Vous pouvez compter sur mon engagement pour défendre nos agriculteurs et soutenir cet éleveur courageux qui demande simplement à pouvoir vivre de son travail !»
Gwenaëlle Desrumaux, présidente des JA de l'Oise, et Samuel Vandaele, président des JA France, s'interrogent sur le devenir des jeunes installés. Cette affaire, considérée comme une boîte de Pandore, vient d'éclater et aboutira sans doute à la même injustice pour d'autres jeunes, surtout qu'un dossier de construction sur deux se fait sous dérogation dans l'Oise. «Il faut savoir qu'un jeune agriculteur est pratiquement dans le même cas avec la construction d'un bâtiment hors du village, il ne sait pas quoi faire. Cela décourage les jeunes ! Le problème de demain n'est pas économique, ce sont les riverains», ajoute la présidente.
Dans les années à venir, un agriculteur sur deux va partir en retraite. Pour Samuel Vandaele, c'est le découragement des jeunes : «Comment peut-on donner envie avec ce genre d'affaires ? Surtout que Vincent s'est installé en respectant l'environnement, en modernisant ses bâtiments et en se mettant aux normes. Et il se retrouve attaqué ! Ce n'est pas le vivre-ensemble. On doit tous cohabiter pour faire en sorte d'avoir une agriculture forte, économiquement et socialement. De plus, l'agriculture crée des emplois, capte et stocke du carbone contre le réchauffement climatique, s'adapte aux demandes sociétales. Nous devons créer la Zaad, zone agricole à défendre, afin que ce genre de chose ne se reproduise plus !»
En déplacement le matin à UniLaSalle Beauvais pour parler de l'agriculture de demain, Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France, est venu sur place. «Est-ce que demain, on pourra travailler dans nos campagnes ? ou même produire pour nourrir les autres ? Ce genre de questions, je refuse de me les poser», commence-t-il. Il déclare publiquement et concrètement le soutien de la Région s'il y a une décision qui amène à faire des investissements ou des travaux sur la ferme : «ce que je recherche avant tout, c'est de la cohérence. Toutes les dérogations ont été fournies, il faut que l'État soit cohérent et qu'on ne vienne pas vous reprocher 12 ans de nuisances en fait inexistantes. Ce qui est en jeu dans cette histoire, ce n'est pas seulement la question de l'agriculture, c'est celle du travail et de la ruralité. Quand on décide de venir à la campagne, il ne s'agit pas de retrouver ce que l'on a connu en ville, ni d'imposer des règles. J'appelle au respect ! Je demande que les agriculteurs soient respectés pour ce qu'ils sont et pour ce qu'ils font et que les ruraux soient aussi respectés, c'est comme ça que la France pourra avancer.»
Parallèle avec le conflit ukrainien
Ensuite, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, tient à apporter tout son soutien à l'éleveur. Mais elle veut surtout mettre l'accent sur la guerre en Ukraine et ses retombées. «Il ne faut pas oublier que la Russie et l'Ukraine sont deux grosses puissances agricoles. Le 24 février, tout a basculé lorsque Poutine a envahi l'Ukraine. La Russie représente 18 % du blé mondial échangé et l'Ukraine 12 %. La Russie nous exporte son pétrole à hauteur de 23 % et 17 % de son gaz. Un seul homme a la main sur le robinet de l'énergie et de l'alimentation. 25 pays dans le monde dépendent à plus de 50 % du blé russe et ukrainien. L'Ukraine fournit 63 % de l'huile de tournesol mondiale. Aujourd'hui, on nous critique sur le fait d'abîmer la planète alors que nous sommes capables tous les jours de montrer que notre profession est respectueuse de l'environnement et que nos produits sont de qualité. Cela est lié à une certaine naïveté de décideurs politiques (français, européen, internationaux) qui ont longtemps pensé que le monde était un grand supermarché où l'on pourrait aller acheter ce qu'il y a de moins cher sur chaque continent du monde. Le seul facteur qui nous freine reste le prix. La Pologne et l'Ukraine ont augmenté de 173 % leur production de poulets sur les 10 dernières années pour les livrer dans nos cantines. Ils ne sont pas meilleurs, ils ne sont pas mieux élevés, ils sont moins chers. Ça nous conduit aujourd'hui à une situation de dépendance très grave. Nous avons une inflation jamais connue depuis bien longtemps. Oui, nous avons eu l'année dernière plus de 0,3 % d'augmentation des prix de l'alimentation, mais personne ne dit que le Smic a augmenté depuis des mois. Cela signifie que le pouvoir d'achat est tout de même tiré vers le haut. Alors, ce n'est pas le moment de détruire le travail d'un honnête agriculteur qui est aux normes. Tout le monde veut des produits de proximité, personne ne veut les bâtiments de proximité, c'est quand même un comble ! Laissez-nous vivre et travailler, vous allez sérieusement avoir besoin de nous aussi pour l'énergie et pour l'alimentation.»
Vincent Verschuere souhaite jouer sa dernière carte, le pourvoi en Cassation, sans assurance de succès. La Cour peut très bien estimer qu'il a été jugé correctement sur le fond ou casser le jugement si elle estime que la forme n'a pas été respectée.
Par ailleurs, le monde agricole est dans l'attente de la fameuse loi de préservation du patrimoine sensoriel qui vise à défendre et protéger les bruits et odeurs des campagnes, une réponse aux plaintes abusives déposées ces dernières années comme par exemple pour un coq qui chante ou le son d'une cloche. Régis Desrumaux demande que soient répertoriés les bruits de la campagne. Si rien ne change, des actions coups de poing auront lieu dans les semaines à venir. Force est de constater que durant les deux heures de marche et de discours, aucun bruit ni odeur provenant des bovins n'ont perturbé le rassemblement.
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