Des variétés best seller créées dans l’Oise
Camp Rémy, Dinosor, Fluor en blé, ou encore Scarlett et Sébastien en orge brassicole, sont des variétés bien connues des agriculteurs du Nord de la France.

Mais tous ne savent pas qu’elles ont été sélectionnées dans l’Oise, à Froissy, par Unisigma. Une entreprise discrète dont le nom est peu connu, mais dont les produits assurent le succès des récoltes, notamment actuellement avec Fructidor, le blé le plus produit en Picardie mais aussi en France pour la récolte 2018.
Philippe Lerebour, le directeur d’Unisigma, en rappelle les origines. «Au départ, la coopérative de Froissy s’était interrogée sur le fait de pouvoir fournir des semences de qualité et adaptées aux besoins de ses adhérents. C’est en 1979 qu’elle a acheté un petit programme de sélection à un obtenteur privé. Mais elle a très vite compris la nécessité d’obtenir des soutiens et c’est ainsi qu’un GIE (Groupement d’intérêt Economique) a été créé. Aujourd’hui, le GIE Unisigma a trois partenaires importants qui sont des structures agricoles.»
Voilà un point important qui tient à cœur à Philippe Lerebour, histoire de se démarquer des géants de la sélection que sont par exemple Syngenta ou Bayer. Chez Unisigma, les décideurs sont agriculteurs et travaillent pour des agriculteurs. Sont partenaires Agora, la coopérative de l’Oise, qui produit les semences de base d’Unisigma, In Vivo (Semences de France) qui produit et vend les semences commerciales des variétés d’Unisigma grâce aux 42 usines-stations de semences de ses coopératives et enfin Limagrain, la coopérative d’Auvergne avec sa filiale semences d’envergure internationale avec qui Unisigma est associée pour ses programmes de recherche.
Des méthodes de sélection très modernes
Le centre de Froissy est donc dédié à de la recherche appliquée et emploie 24 équivalents temps plein. Les salariés travaillent exclusivement à la création variétale. Schématiquement, il s’agit, grâce à la technique de pollinisation manuelle, de croiser des plantes porteuses de caractères recherchés. Les descendances de ces croisements sont étudiées sur plusieurs générations afin de sélectionner de nouvelles variétés. Ceci prend de 7 à 8 ans. Pour réduire ce temps, Unisigma utilise des techniques conventionnelles mais novatrices lui permettant d’accélérer le processus de 2 à 3 ans.
En parallèle, le marquage moléculaire est de plus en plus utilisé, il permet de repérer les plantes qui portent les gènes intéressants que l’on veut transmettre à de nouvelles variétés. Il faut savoir que le génome du blé, composé des génomes de trois espèces qui se sont croisées il y a des milliers d’années, est 5 fois plus gros que le génome humain ! Il n’est donc pas facile de repérer les séquences d’ADN intéressantes parmi les millions de paires de bases qui composent les 21 chromosomes du blé.
Un travail énorme, mais des algorithmes permettent de croiser la présence de certains marqueurs du génome et des caractéristiques ayant un effet sur le rendement ou sa stabilité par exemple. On peut ainsi prédire que si certaines séquences sont présentes, on a toutes les chances que le blé développe tel ou tel caractère intéressant : rendement, résistance aux maladies, aux virus… Une technique qui permet d’accélérer la recherche et donc de sortir plus vite des nouvelles variétés plus compétitives, cumulant un maximum de critères intéressants.
Mais qu’est-ce qu’une bonne variété ? «Toute la problématique est d’anticiper les besoins des filières et des agriculteurs car il s’agit de créer aujourd’hui la variété qui sera intéressante dans 7 à 8 ans pour l’agriculteur, du fait de la longueur du travail de sélection. Clairement, la résistance aux maladies et à de nouvelles races de rouilles ou de virus fait partie des critères sur lesquels nous travaillons. Sans compter la résistance à la JNO (jaunisse nanisante de l’orge) qui devra être fixée dans nos nouvelles variétés d’orge pour pouvoir se passer du traitement de semences insecticide de type Gaucho» détaille Philippe Lerebour.
La variété idéale n’existe pas ou pas encore, car les nouvelles variétés doivent cumuler un maximum de gènes intéressant pour les agriculteurs et les filières industrielles qui l’utilisent. Pour être certifiée et commercialisée, une variété doit ainsi être distincte de celles qui existent déjà ou ont existé, elle doit être stable et reproductible à l’identique. Enfin, elle doit être homogène (997 pour mille de grains purs).
Chaque obtenteur comme Unisigma soumet ses nouvelles variétés aux essais officiels du CTPS (Comité technique permanent de la Sélection) pendant 2 ans avant d’obtenir, si la variété a tenu ses promesses, son autorisation de commercialisation et son certificat d’obtention variétale (COV) qui est un droit de propriété. À partir de là, Unisigma touchera des royalties lors de la vente des semences issues de sa création variétale. La législation française et européenne reconnaît que l’obtenteur est propriétaire de la construction génétique de sa variété, mais pas des gènes qui lui donnent ses caractères, contrairement aux USA où des gènes peuvent être brevetés.
En Europe, des gènes obtenus par des procédés essentiellement biologiques ne peuvent pas faire l’objet d’un brevet et sont libres d’accès. Du coup, tous les obtenteurs peuvent utiliser les nouvelles variétés inscrites et commercialisées comme géniteur dans leur construction génétique pour en créer de nouvelles.
Semences certifiées versus fermières
Unisigma met à disposition d’Agora des semences de prébase. Celles-ci seront multipliées en semences de base par des adhérents de la coopérative sous contrat, puis ces semences de base seront ensuite vendues à In Vivo qui les multipliera dans ses stations réparties sur le territoire national et les commercialisera en semences certifiées. Les variétés Unisigma sont donc vendues dans la sacherie à la marque du producteur de semence «Semences de France» avec une étiquette officielle qui garantit leur origine, sur laquelle figure bien le nom de la variété, mais pas celui de son obtenteur (Unisigma). Mais c’est bien l’obtenteur, qui a investi dans la création de la variété qui va toucher une redevance à chaque étiquette Soc apposée (Service officiel de contrôle). Le prix de cette redevance peut être estimé à de 10 €/hectare pour l’agriculteur, qui en achetant des semences certifiées, finance une large part de la création de nouvelles variétés.
Or, depuis quelques années, le marché des semences certifiées est en berne alors que les coûts de la recherche sont de plus en plus élevés (plus de 2,5 millions d’Euros par an pour Unisigma). 2017 est la pire année en ce sens. «La mauvaise année 2016 a mis à mal les trésoreries des agriculteurs et, parallèlement, le travail des trieurs à façon s’est amélioré» analyse Philippe Lerebour. De quoi remettre en cause les moyens financiers pour la recherche de nouvelles variétés. Pourtant, lorsque les agriculteurs livrent leurs grains, une CVO (contribution volontaire obligatoire) est prélevée, dont une part retourne à l’obtenteur, mais celle-ci ne couvre qu’environ 20 % des frais de recherche.
Si les agriculteurs qui utilisent des semences certifiées sont remboursés d’une partie de cette CVO, cette incitation n’est actuellement pas suffisante pour inverser la tendance.
L’utilisation de semences certifiées se cartographie en France : elles sont le plus utilisées dans l’Est et dans les zones de polyculture-élevage comme la Bretagne où l’agriculteur préfère s’assurer sur la qualité de ses cultures. Par contre, les régions de grandes cultures comme les Hauts-de-France ou la Beauce sont les plus mauvais élèves en termes d’utilisation de semences certifiées. Et c’est bien dommage car les semences certifiées produites chaque année le sont à partir de travaux de maintenance des variétés qui assurent une parfaite traçabilité, une stabilité et l’homogénéité des cultures. «Il conviendrait de toiletter le système pour une répartition plus équitable des frais de recherche et de création de nouvelles variétés entre les agriculteurs» développe Philippe Lerebour.
Autre concurrence à venir pour les semences produites par Unisigma, les semences hybrides particulièrement travaillées par des firmes ayant des moyens financiers important. Les hybrides produisent des plantes plus robustes qui résistent mieux à des situations de stress, mais Philippe Lerebour constate que leur utilisation, qui reste marginale, a tendance à se tasser ces deux dernières années, car ces semences sont aussi plus onéreuses pour l’agriculteur, et dans bien des situations le faible cours mondial des céréales ne permet pas leur rentabilisation.
«En blé contrairement au maïs, l’effet hétérosis est faible, ce qui laisse peu de marge de progrès à ces variétés hybrides. Mais certains obtenteurs mettent des moyens importants pour les développer, peut-être y voient-ils un moyen, à terme, d’obliger l’agriculteur à acheter chaque année ses semences» relève Philippe Lerebour. Et parmi les grands succès issus des travaux d’Unisigma, en blé, Fructidor, variété qui peut être travaillée pure en meunerie et présentant de très bons niveaux de résistance aux maladies, Fluor, résistante à la fusariose et pouvant être semée derrière maïs, et aussi Advisor et demain Ténor ; en orge brassicole, Sébastian ; en pois protéagineux, Safran.
Les variétés que vous sèmerez dans les années à venir sont déjà en cours de création. Le pire, c’est que vous ne saurez peut-être pas qu’elles sont made in Oise. C’est tout le paradoxe : créer des best-seller et rester dans l’ombre.
Dans vos semoirs en 2018
En blé, Ténor, multipliée sur 700 ha en France.
En orge brassicole, UN 4756 (Margaux) inscriptible en janvier 2018, variété à 6 rangs résistance à la JNO.
En pois, Safran, 2e variété la plus multipliée en France pour la récolte 2017.
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